La période estivale offre souvent l’occasion de méditer sur nos pratiques touristiques. Après une lecture l’an dernier de « L’envie du monde » de Jean-Didier Urbain, c’est sur différents « Lieux du voyage » que le géographe Rémy KnafouAvec la collaboration de Amandine Chapuis, Jean-Christophe Gay, Carine Fournier, Sylvie Pickel nous emmène ici au travers de la collection « Lieux de » du Cavalier Bleu que nous avions eu l’occasion de découvrir sous l’angle de la culture.

 

L’ouvrage se structure autour d’études thématiques sur la fonctionnalité des lieux choisis en exemple (souvent en duo) selon qu’ils évoquent le désir, la sociabilité, les déplacements, l’hébergement…

En préface et introduction, il est rappelé que l’être humain, dans une certaine vision de supériorité face à ses semblables, voudrait se prétendre « voyageur » et non simple « touriste », celui qui bronzerait idiot et qui, « au mieux ne comprendrait rien au monde mais au pire le saccagerait inconsidérément ». Mais celui qui bronze se concentre bel et bien sur une finalité, mais plus immédiate, centrée sur la fonction récréative.

Les lieux possèdent une histoire prétouristique et leur touristicité résulte bien des premiers touristes originels. La mise à distance du quotidien est la règle de base, peu importe l’endroit, ce qui montre que la vision euclidienne n’est plus le critère premier pour amener un peu plus d’exotisme.

Evoquant le désir, les auteurs mettent à nouveau en parallèle le voyageur, pour qui la route importe, et le touriste qui se préoccupe surtout de sa destination. Mais les lieux les plus désirés ne sont pas forcément les plus fréquentés et les désirs diffèrent selon les sociétés.

Quels exemples thématiques sont convoqués ?

Les îles tout d’abord : « fantasmes de l’isolement, d’un exotisme pas nécessairement tropical », « terres propices au bonheur épicurien », « refuges »…mais devenant parfois de véritables « îles hôtels » assumant tous les « caprices » du touriste. A Oléron, des salines ont été remises en fonctionnement pour assouvir le besoin de pédagogie locale des visiteurs puisqu’elles s’avèrent non rentables.

Les lieux du déplacement, au travers du sentiment de monumentalité des gares, des aéroports lorsque la démocratisation de ces moyens de transports était à ses débuts, ne sont-ils pas aujourd’hui devenus des non-lieux, tous identiques ? Responsable du choc culturel brutal lors de l’arrivée dans un pays complément différent, l’avion symbolise bien l’absence de gradation dans la structure d’un déplacement. Dès lors, comment être soi chez l’autre ? La remise en cause des certitudes peut passer par l’envie de s’installer durablement ailleurs ou par une certaine désinhibition. En complément de l’avion, la route symbolise, elle, le bonheur de partir mais au travers d’une certaine uniformité dans les mêmes embouteillages, les mêmes destinations…

La comparaison entre une auberge de jeunesse amstellodamoise « envahie » par trois étudiantes parisiennes et la plupart des palaces de la planète montre comment les lieux d’hébergement peuvent devenir des marqueurs du passage des touristes.

Benidorm et Saint-Tropez illustrent quant à elles le modèle de l’entre-soi. Si la rencontre avec l’autochtone est souvent citée par des touristes voulant un peu « sortir du lot » en se rapprochant des « voyageurs », on se rend compte qu’il n’en est rien (2 milliards de touristes contre quelques milliers de voyageurs) et que les rencontres se font entre touristes. Poussé à l’extrême, ce raisonnement sur la sociabilité amène à des villes où la population locale devient minoritaire. Mais cet entre-soi peut prendre deux dimensions : une approche « réelle » où l’on tente de se cacher au maximum (notamment son argent) mais aussi une approche « affichée » où « le regard des autres semble une condition indispensable à la jouissance de son avoir ».

La création d’un lieu est étudiée au travers de Deauville, chapitre qui permet de définir le concept de « station » tout en s’interrogeant sur la dualité avec sa voisine Trouville.

Marrakech et Venise symbolisent elles les lieux subvertis. La place Jeema El Fna voit l’effectif de ses conteurs diminuer, peu enclins à prendre la relève depuis le classement du lieu par l’UNESCO qui les associe, dans l’esprit des visiteurs, à des salariés de l’ONU et de la municipalité. C’est là le mélange détonnant engendré par la touristification et la patrimonialisation qui aménagent les espaces, pavant les dernières ruelles, les éclairant, ne laissant plus de place pour…le crottin de cheval soigneusement recueilli. Cette vision noire de la mise en tourisme peut toutefois être un peu nuancée à l’appui d’un texte sur l’Océanie qui explique que certains gestes locaux, certains savoir-faire peuvent reprendre vie grâce à la demande extérieure.

Barcelone et Montmartre évoquent les lieux de masse. Le parcours immuable vers une place du Tertre si instrumentalisée laisse place à un tourisme plus discret mais réel aux alentours (Abbesses) et encore un peu au delà (Pigalle, Barbès). Quant à Barcelone, les auteurs se demandent si « la métropole ne nourrit pas elle-même son spectacle, un spectacle complaisamment exposé pour nourrir la fréquentation touristique ».

Plus classique, l’étude des plages (de la Côte d’Azur à la Gold Coast) révèle un succès non démenti pour ces lieux sur lesquels personne n’aurait osé parier si la balnéothérapie n’était pas venue s’en mêlerNotons ici une petite coquille p 159: « A quoi auraient pu servir ces longues bandes infertiles…? ».

Qui mieux que Las Vegas pouvait ensuite représenter les lieux de l’amusement ? C’est là la ville de tous les records dont le panneau originel d’entrée d’agglomération a été conservé puis reculé au fur et à mesure des extensions du bâti.

Un dernier chapitre évoque les « lieux limites ». Ce terme limite peut s’interpréter dans son sens spatial, un peu comme une fin du monde (Ushuaia ou encore Manaus que la déforestation a pu rendre plus accessible) mais aussi comme une limite à la démarche touristique elle-même. Une petite catégorie d’individus semble se prendre d’intérêt pour des lieux dangereux comme les villes en guerre, les sites post-catastrophe écologique…si bien que l’on a pu inaugurer le qualificatif de « glauque trotters ». En parallèle, on peut se questionner sur la fréquentation croissante du site d’Auschwitz alors que les faits s’éloignent et les derniers témoins se raréfient. Mais de touristes au sens classique il ne s’agit point puisque les visiteurs sont plutôt là dans le cadre d’une institution (scolaire). De plus, il est précisé que la hausse de cette fréquentation pose des problèmes d’information sur des publics qui font la queue et qui ne savent pas toujours comment se comporter face aux différentes composantes du site.

La conclusion s’ouvre sur le fait que ces lieux de désir sont finalement toujours désirés et donc, qu’en y accolant le suffixe « durable », on peut en arriver à les qualifier de « désidurables ». Trois remarques permettent de cerner le phénomène touristique : il ouvre à la découverte du Monde, il met aujourd’hui nécessairement en compétition les lieux et participe donc à leur uniformisation et enfin, il représente l’archétype du lieu sans conflit, du moins en apparence (les conditions de vie et de travail des employés du secteur touristique ne sont pas tout aussi roses).

Un petit ouvrage passionnant, très fluide et très bien rédigé et qui, encore une fois, permet de nous questionner sur notre rapport aux loisirs et aux déplacements.

Xavier Leroux © Les Clionautes