A mi-chemin entre l’histoire et la géographie, la littérature de voyage retrace le destin de ces hommes partis en quête d’aventure découvrir le monde. Ce livre donne de la place à des géographes – cosmographes bien connus (Marco Polo, Thevet ou Magellan…) et à d’autres qui le sont moins (Battûta, De Conti, Nikitine, De Sahagun, Barentsz…). Ces hommes ont porté un regard sur l’Autre, révélateur de leur époque.

Jean Pierre Duteil est docteur es lettres. Il est professeur d’histoire moderne à Paris VIII. En plus de l’histoire des relations de voyages, il travaille sur l’histoire des rapports religieux et culturels entre Europe et Extrême-Orient. Il a précédemment publié de nombreux ouvrages sur ces deux thèmes (Par exemple : L’Europe à la découverte du monde du XIII° au XVII° siècle. Campus, Colin, 2003. ou bien encore Le mandat du ciel : le rôle des jésuites en Chine, de la mort de François – Xavier à la dissolution de la Compagnie de Jésus, 1552 – 1774. Arguments, 1994).

L’auteur entame son ouvrage par une mise au point sur le vocabulaire de la littérature de voyage. Cet ensemble englobe des récits officiels (ambassades, journal de bord, compte-rendu de mission), des relations à caractère utilitaire (souvent d’ordre commercial) et les chroniques (qui couvrent souvent un champ plus large que le propre voyage de son auteur). Jean Pierre Duteil ne retient que les récits qui se déroulent à l’extérieur du continent européen. Les récits sont déjà fort nombreux (plus d’une quarantaine de textes de longueur inégale). Il exclue ainsi le fameux Journal de voyage en Italie de Montaigne et Les Essais de ce même auteur alors que ces textes sont révélateurs de l’évolution des mentalités de l’époque (voir le chapitre sur les cannibales).

Jean Pierre Duteil adopte un plan chronologique. Les deux premiers chapitres sont consacrés aux voyages effectués au XIII° – XIV° siècles et aux grands thèmes qui nourrissent les récits de ces voyages. Il relate, dans les chapitres suivants, le contenu des récits des découvreurs de l’Afrique, de l’Amérique, de l’Inde et même du monde polaire aux XV° et XV° siècles. La conquête et l’exploitation de ces terres ont fait l’objet de récits aussi.
Au fil des récits, les grands mythes existant à la fin du Moyen Age persistent même s’il y a une évolution à noter. La place du merveilleux recule. Malgré tout, la recherche des personnages qui ont marqué les récits de la fin du Moyen Age alimente ceux de l’époque moderne. Le grand Khan continue à fasciner. La légende du Prêtre Jean, aussi. Les découvreurs sont à la recherche de son royaume. Ce roi qui combat les infidèles d’Afrique jusqu’en Asie est le symbole par excellence de la croisade. De même, les Amazones, le « Vieux de la Montagne », les Anthropophages et les habitants monstrueux persistent dans des récits de l’époque moderne. La vision que les hommes de l’époque moderne ont du monde est encore imparfaite. La lecture des récits écrits précédemment inspire les voyages de découverte et induit en erreur les découvreurs, persuadés d’être arrivés dans des lieux décrits par leurs prédécesseurs. Même les plus grands voyageurs se laissent aller à l’imagination (le mythe de l’El Dorado, par exemple). Beaucoup de récits ont été écrits bien des années après le voyage. La distorsion peut alors être importante. Tous les voyageurs n’ont pas laissé de récits. Certains ont été perdus, d’autres ne sont que des journaux de bord parfois incomplets. L’historien ne peut travailler que sur les traces qu’ont laissé ces voyageurs. Toutefois, les récits de rencontre, figurant dans les œuvres qui nous sont parvenues, permettent de constater la relative mobilité des Européens dès le XIII° siècle même si ceux-ci n’ont pas laissé de traces de leur installation ou de leur passage en terre étrangère.

Au début du XVII° siècle, on constate que les voyages de découverte des siècles précédents ont permis de se faire une idée plus précise du monde. Si les continents sont envisagés dans leur globalité, l’intérieur des terres reste un mystère. Les fleuves ont permis à certains explorateurs de s’engager dans l’intérieur mais la connaissance des continents est très partielle. [Pour en juger, on peut se référer à l’excellente carte réalisée par Malte Brun, certes de la fin du XIX° siècle, exposée en ce moment à la BNF site Richelieu à l’occasion de l’exposition [Trésors photographiques de la société de géographie->http://expositions.bnf.fr/socgeo/grand/001.htm [/footnote]. De même, le continent austral demeure un mystère. Le XVII° siècle verra se multiplier les voyages d’exploration dans cette direction.
L’image de l’Autre évolue par le biais des récits de voyage. Les auteurs insistent sur la sauvagerie de l’Autre. C’est aussi une manière de se mettre en valeur. L’Européen est le civilisé, l’Autre est un sauvage.

On l’aura compris : ce livre est une véritable mine de la littérature de voyage. L’auteur relate d’abord le contenu des récits et les replace dans le contexte international. Toutefois, le parti pris chronologique rend le récit très linéaire. L’abondance de détails fait que le lecteur, une fois le livre fermé, a bien du mal à se rappeler de l’essentiel, si l’on excepte les développements sur les auteurs les plus connus. Le regard porté sur l’Autre par les Européens est bien montré pour ce qu’il en était à la fin du Moyen Age (un chapitre est consacré aux grands thèmes présents dans la littérature de voyage à la fin du Moyen Age). Pour la période proprement dite du présent ouvrage, ces grands thèmes apparaissent au fil du récit mais ne bénéficient pas d’un développement particulier. Ils sont alors dissous dans le texte et perdent ainsi beaucoup de leur valeur.
En fin d’ouvrage, figure la liste des nombreuses sources imprimées (pas moins de 130) que Jean Pierre Duteil a consulté pour réaliser son livre. Une bibliographie thématique suit. Elle est très « historico-centrée ». Fernand Braudel y figure en bonne place ainsi que les ouvrages de grands auteurs historiens (Chaunu, Lestringant, Pétré – Grenouilleau….). Mais, elle ne laisse toutefois pas de place à Christian Grataloup, le géographe, et à sa Géohistoire de la mondialisation qui a marqué l’année 2007 avec cette publication. C’est regrettable car même si la problématique n’est pas la même, l’approche de la mondialisation par le temps long s’appuie sur les récits de voyage. La bibliographie de son ouvrage en atteste.
On regrettera, par ailleurs, l’absence de cartes informatives. L’ouvrage comprend quelques cartes mais elles sont surtout là pour permettre au lecteur une localisation. Elles n’apportent pas grand-chose. Il aurait été bon de reproduire les cartes de l’époque : Atlas Catalan, par exemple… Le lecteur aurait ainsi pu constater l’état des connaissances géographiques de l’époque et leur évolution au fil des découvertes.

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