Jean DEMANGEOT était professeur honoraire de l’université de Paris 10 et président honoraire de l’association des géographes français car, c’est désormais à l’imparfait de l’indicatif qu’il faut conjuguer les verbes, l’auteur nous ayant quitté le 8 février 2009.
Il n’en reste pas moins que Jean DEMANGEOT, a marqué de nombreuses générations de géographes avec ses ouvrages et ses articles. On retiendra surtout de lui que c’était un géographe de terrain qui, très tôt, aura saisi et su traduire la conception écologique de la géographie physique.
Ce livre, la 10e édition revue et corrigée des milieux « naturels » du globe, est tout entier consacré à une tentative de conciliation entre écologie et géographie. Tentative que l’auteur qualifie lui-même « d’imparfait » parce qu’il estime que « les liaisons ne sont pas encore […] solides ». La route est pourtant tracée. La direction est claire. Jean DEMANGEOT nous invite à travers cet ultime ouvrage à poursuivre cette réflexion pour que demain, l’écogéographie, (écologie-géographique et non économie-géographie) puisse acquérir ses lettres de noblesses.
La structure de l’ouvrage est très classique. Constitué en trois parties, il nous invite à découvrir tout d’abord « les éléments constitutifs des milieux ‘naturels’ » puis il aborde les « milieux ‘naturels’ difficiles » avant de présenter les « milieux ‘naturels’ maniables ». Le tout divisé en 24 chapitres. Cette longue étude fouillée représente l’essentiel du livre soit environ 4/5e. Quant au 1/5e restant soit environ 60 pages, le lecteur aura le plaisir de trouver une abondante bibliographie classée par chapitre ; ainsi que 8 pages consacrées à répertorier l’index des noms de lieux cités et enfin 23 pages où l’auteur présente un index thématique alphabétique. Cet index répertorie les termes utilisés dans l’ouvrage mais il les fait précéder d’une lettre conforme à un enchaînement à savoir : biotope + biocénose = écosystème, et, écosystème + anthropisation = ‘ milieu naturel ‘.
Les chapitres, eux aussi, se coulent dans une structure identique. Chacun est doté d’une citation en rapport avec le contenu mais leurs auteurs ne sont pas des géographes. Dès l’entrée du chapitre, le lecteur est donc amené à découvrir les milieux « naturels » sous la plume de nombreux écrivains du monde entier qui, avec des mots, ont su « peindre » la réalité qui nous entoure. C’est également une invitation à découvrir ces ouvrages.
Il s’en suit un exposé très clair, largement pourvu en documents divers (cartes, croquis, tableaux etc.) avec une introduction et une conclusion (dans la première partie) et qui s’achève sur une rubrique lecture. Là, l’auteur nous présente selon le cas, une ou deux lectures qui sont en fait des extraits soit d’ouvrages, soit d’articles. Chaque chapitre se referme donc sur un exemple ayant valeur d’illustration de la démonstration menée.
Partie 1 : Eléments constitutifs des milieux « naturels ».
Cette partie est découpée en 9 chapitres qui rappellent les découpages des cours de géographie physique dispensés jadis. La nouveauté réside dans l’approche. L’auteur fait une sérieuse mise au point de l’avancée scientifique sans négligée les fondements du passé. Ainsi, dans sa partie « mise en place des océans et des continents », il retrace « l’hypothèse des ponts continentaux » puis « l’hypothèse de la dérive des continents » pour s’attarder sur les dernières découvertes liées à « l’explication par l’expansion des fonds océaniques ». Le lecteur averti a de fait une progression qui lui permet d’avancer sur un terrain connu et le profane pourra quant à lui suivre l’évolution des recherches scientifiques.
Suivant fidèlement l’intitulé de sa première partie, l’auteur, en 8 chapitres, nous fait une description complète des éléments qui constituent les milieux dits « naturels ». A la lecture du sommaire on pourrait être tenté de dire qu’il y a soit des répétitions inutiles, voire des redondances fâcheuses, soit un manque de cohérence dans la démonstration. En effet, comme ce genre d’ouvrage est souvent lu par des entrées différentes, le lecteur trouvera au chapitre 2 un sous-chapitre intitulé « C. L’eau dans l’atmosphère » alors que tout le chapitre 5 est consacré aux « eaux continentales ». Il est évident que le chapitre 2 intitulé « la composante climatique » ne pouvait contenir les données du chapitre 5. Mais, à première vue, on était en droit de s’attendre à un rapprochement de ces notions complémentaires. Il n’en est rien. Et c’est bien là une originalité de l’ouvrage parce qu’il amène le lecteur du chapitre 1 « les reliefs continentaux et sous-marins jusqu’au chapitre 9 « Risques naturels et pollutions » a comprendre ce qu’est un milieu et pourquoi l’adjectif « naturel » a été mis entre guillemets dans le titre même du livre.
Il en va d’ailleurs de même du chapitre 1 intitulé « les reliefs continentaux et sous-marins » alors que « les types de reliefs » constituent le chapitre 7 !
En fait, toute cette partie est construite pour donner la mesure de l’interaction entre les éléments constitutifs des différents milieux dits « naturels » comme l’auteur le souligne dès les premières pages lorsqu’il nous dit : « dans tout milieu naturel […] on doit distinguer entre la partie minérale, le biotope, et la partie vivante et organique, la biocénose » et de poursuivre : «le biotope étant à la fois le support et la source d’énergie de la biocénose ». En d’autres termes, Jean DEMANGEOT nous décrit l’écosystème auquel il ajoutera dans les parties deux et trois de l’ouvrage une « dose » d’anthropisation pour nous faire découvrir les milieux « naturels ».
Partie 2 : Les milieux « naturels » difficiles.
L’auteur qualifie globalement les milieux « naturels » de difficiles lorsque la vie végétale ou humaine est rare à cause des conditions qui y règnent.
Les cinq premiers chapitres de cette partie identifient l’eau et la température comme des éléments déterminants.
C’est pourquoi, Jean DEMANGEOT débutent par « l’aridité et ses variantes ». L’aridité étant un facteur limitatif au développement végétal et à l’installation humaine, l’auteur mène sa démarche de manière graduelle pour aboutir aux milieux semi-arides. Pour ces derniers, il met l’accent sur le développement de civilisations qui y avaient trouvé, jadis, des ressources pour l’élevage et l’agriculture ce qui a permis la fondation de villes. Et de conclure qu’aujourd’hui ce milieu compte environ 800 millions d’habitants ce qui rend « les excès climatiques, inondations ou désertifications » beaucoup plus « douloureux ».
Après cette présentation des milieux arides avec ses variantes, l’auteur nous dresse, dans le chapitre suivant, une typologie des déserts et semi-désert avec de nombreux exemples. Et là, l’enseignant pourra puiser des descriptions pour illustrer ses cours d’autant mieux que le nombre de tableaux climatiques et de schémas sont importants.
Puis, Jean DEMANGEOT passe « du chaud au froid ». Le chapitre 12 traite des « rigueurs polaires » dont l’auteur nous dit qu’ils sont « les plus inhospitaliers de tous les milieux du globe. De ce fait ils sont les moins habités, donc les moins dénaturés » et l’on serait tenté de dire les plus « naturels ». Arctique et Antarctique y sont largement décrits en faisant ressortir leurs points communs et leurs différences.
Enfin, et presque « naturellement », l’auteur aborde les toundras circumpolaires. Essentiellement océaniques dans l’hémisphère austral, ces milieux sont continentaux dans l’hémisphère boréal et constituent une transition entre le désert polaire et la forêt boréale. Souvent présenté comme des « milieux hybrides et sans personnalité », l’auteur nous dévoile, ici, une toundra originale qui permet de mieux comprendre les milieux tempérés.
Et pour finir, Jean DEMANGEOT nous présente « la grande forêt boréale » avec sa variété de climat et sa « biocénose toute neuve ». Milieu difficile à n’en pas douter, la forêt boréale offre cependant de « magnifiques territoires de chasse et de pêche ». Mais, nous précise l’auteur, « la circulation y est très difficile […] la chaleur accumulée est insuffisante, l’enneigement trop long et le sol trop acide ». C’est pourquoi le milieu reste difficile.
L’énumération des milieux « naturels » difficiles mérite, d’après l’auteur, de faire une place entière à « la montagne alpine » avec le chapitre 15 et à « l’océan mondial » avec le chapitre 16.
La montagne qui a déjà été abordée dans le chapitre 1 avec « les reliefs continentaux et sous-marins » puis dans le chapitre 7 avec « les types de reliefs » est abordée ici, sous l’angle de « l’effet des climats passés et présents » mais presque exclusivement dans les Alpes. Si l’étude est bien menée, on pourra peut-être simplement regretter que seule la conclusion entrevoit « l’étagement montagnard dans le monde ».
Quant au chapitre consacré à « l’océan mondial », son étude est envisagée sous son aspect bénéfique c’est-à-dire en tant « qu’origine de toute eau circulante », en tant que « source (mesurée) de richesse, en tant que «voie de communication universelle ».
Partie 3 : les milieux « naturels » maniables.
Bien que le terme de « maniable » ne soit jamais expliqué, le lecteur aura très rapidement compris que la maniabilité se confond avec le degré d’anthropisation du milieu. Jean DEMANGEOT nous livre ainsi une bonne description des « forêts tropicales » pour lesquelles il souligne qu’elles sont « éminemment favorables à l’homme par sa chaleur et son humidité » et c’est la raison pour laquelle elles ont été « profondément humanisées » au rythme de l’histoire.
Suit l’étude des savanes pour lesquelles il distingue les veilles et les jeunes. L’auteur nous dévoile que « par suite de l’exceptionnelle vitalité de la végétation tropicale beaucoup de milieux qui paraissent naturels aujourd’hui ont été, autrefois, profondément anthropisés ». Et il cite à titre d’exemple le Yucatan.
Puis Jean DEMANGEOT aborde les montagnes intertropicales elles aussi victimes d’anthropisation mais dont il nous dit en substance que « les populations tropicales [installées] dans les montagnes s’acclimatèrent à l’altitude au point de ne plus pouvoir redescendre : elles étaient piégées ». C’est ainsi que l’on peut expliquer que « les montagnes [en Chine du Sud soient] pelées et désertées parce qu’elles ont été surexploitées et peuplées depuis fort longtemps.
Arrivent ensuite les contrastes méditerranéens qui en dépit de leurs excès sont très favorables à l’homme. Ces milieux où l’homme est, et a toujours été très présent permettent l’installation de l’industrie, des cultures spécialisées et surtout le tourisme. L’anthropisation est ici particulièrement marquée.
Après ces milieux baignés par la chaleur, l’auteur passe en revue les « nuances du tempéré forestier » auquel il consacre le chapitre 21 pour présenter les « prairies et les pampas » dans le chapitre 22. Si les milieux du tempéré forestier ont connu une longue histoire d’anthropisation, l’auteur nous rappelle que « les prairies n’ont pas été […] épargnées par l’homme : par les sociétés indigènes à faibles moyens techniques d’abord, par les sociétés coloniales mieux outillées ensuite. »
Et pour finir l’étude des milieux, l’auteur nous présente les « îles et rivages ». Après avoir décrit ces milieux, Jean DEMANGEOT conclue que ce sont des milieux bénéfiques ce qui explique leur forte anthropisation, au moins ponctuellement. Il n’en reste pas moins qu’ils apparaissent souvent comme naturels car, nous dit-il, « la force et la variabilité des flux qui les animent et les nettoient régulièrement des déchets de l’anthropisation » en donne cette impression.
Et pour conclure, Jean DEMANGEOT, sur près de 18 pages, « ramasse en quelques paragraphes les facteurs généraux de l’anthropisation» car, nous dit-il, « les sociétés humaines ont toutes, à des degrés divers, marqué la nature ». Mais il amorce également un débat en renvoyant dos à dos « le libéralisme mou et irresponsable et l’écologisme pur et dur ». L’auteur plaide en fait pour un progrès matériel accompagné d’un progrès spirituel concomitant, une invitation à laquelle chacun pourrait et devrait répondre…
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