« Les mises en guerre de l’Etat, 1914-1918 en perspective », est le nom d’un colloque organisé en 2014 par le Collectif de recherche et de débat international sur la guerre 1914-1918 (CRID 14-18). Sous la direction de Sylvain Bertschy et Philippe Salson, ce colloque a réuni une cinquantaine de chercheurs et d’universitaires de plusieurs pays, dont trente-deux contributeurs. Cet ouvrage est décrit par ses auteurs comme une « entreprise collective de réécriture des interventions visant à faire entrer en résonance » les différentes communications. L’objectif affiché est de renouveler l’historiographie de la Grande Guerre en proposant des approches sociales et sociopolitiques, et en se décentrant des enjeux culturels.

 

L’expression « mises en guerre » a été préférée à celle de « mobilisation », cette dernière étant trop attachée à l’armée, les auteurs ont choisi une expression permettant d’englober plus largement comment l’État parvient à faire la guerre, mais également ce que la guerre fait à l’Etat. L’Etat est défini comme « l’ensemble des agents et des institutions qui luttent pour et travaillent à la concentration de ressources organisationnelles, matérielles et symboliques leur permettant de revendiquer avec succès le monopole de la violence physique et symbolique légitime et d’en assurer les conditions de reproduction ».

 

Les mises en guerre de l’État sont étudiées à travers 14 enquêtes se concentrant sur les ruptures et les ajustements de l’État en temps de guerre.

 

La première partie de l’ouvrage s’intéresse aux modes de participation au conflit et à l’encadrement des populations civiles et militaires.

Tout d’abord, Nicolas Mariot propose une étude sur la mobilisation normalienne de la rue d’Ulm. Il travaille sur le type d’affectation des Normaliens : l’infanterie, l’artillerie, les bureaux, etc. Il évoque la puissance des réseaux et ceux que l’on nomme les « embusqués ».

De son côté, Jean-François Condette étudie la mise en guerre de l’École dans la zone non-occupée du Nord-Pas-de-Calais. Il évoque entre autre le manque d’instituteurs et les méthodes pour suppléer à ce manque ou encore les réquisitions des écoles par l’armée.

Marie Derrien propose une étude sur les asiles d’aliénés et la problématique de l’origine du financement entre l’État et les collectivités territoriales dans un contexte d’augmentation des dépenses.

Valériane Milloz s’intéresse au dispositif pénitentiaire pour les soldats condamnés. Elle pose la question suivante : « comment éviter que les peines de prison n’apparaissent comme une aubaine [pour les soldats] ? ». Au sein de l’armée, des « sections de disciplines » sont créées, puis des « sections de répression » à partir de juin 1917, et ce pour mieux encadrer les soldats « récalcitrants ».

Marie-Bénédicte Vincent, dans le cadre de la ville de Fulda en Allemagne, se penche sur l’augmentation du contrôle étatique en Allemagne. La loi du 5 décembre 1916 impose un recensement de tous les hommes de l’arrière pour les affecter dans les secteurs clés. Le Kriegsamt (Bureau de guerre) est créé pour gérer l’économie de guerre. Se met alors en place une relation triangulaire entre l’administration centrale, municipale et militaire. L’auteur conclue sur un échec économique.

Irene Guerrini et Marco Pluviano évoquent quant à eux l’organisation du temps libre des soldats dans le cadre des « foyers du soldat » en Italie. Impulsés par l’Eglise avec Giovanni Monozzi, ces foyers sont progressivement encadrés par l’Etat qui y voit plusieurs fonctions : d’abord un moyen de contrôler le moral des soldats, ensuite la possibilité de transmettre des valeurs patriotiques et nationalistes.

Enfin, Peggy Bette se propose d’étudier des pratiques assistancielles dans le cas des emplois réservés aux veuves de guerre, à la manufacture des tabacs de Morlaix. L’auteur montre comment l’État français devient un État employeur et social.

 

La seconde partie de l’ouvrage interroge le rapport entre l’action privée et l’action publique, ainsi que les réformes engagées en temps de guerre.

Stéphane le Bras s’intéresse au négoce des vins languedociens. Il pose la question de l’approvisionnement en vin des Poilus et de la manière dont les marchés supportent cet effort. En octobre 1914, le ministère de la Guerre décide que chaque homme en zone de combat aura une ration correspondant à 25 centilitres de vin par jour. Il faut donc acheminer 1 million de litres minimum par jour. A partir de 1915, la gestion du ravitaillement est organisée par l’armée. Les négociations entre le secteur privé et l’armée sont institutionnalisées avec la création du comité consultatif commercial des vins.

Pierre Chancerel évoque ensuite l’administration par l’État du marché du charbon dans le cadre du Bureau national des charbons (créé en 1916). Il montre comment l’État fixe les prix de vente maximaux et organise les transports.

Sylvain Bertschy et François Buton proposent une étude du Groupement des services chirurgicaux et scientifiques créés en avril 1917 et montrent de quelle manière ils préfigurent les CHU.

Gérard Bodé évoque pour sa part la création de l’école de mutilés pour la rééducation professionnelle des blessés et mutilés de guerre. Nommée « École Joffre », elle est placée sous la tutelle du ministère de la Guerre et de la ville de Lyon.

Philippe Salson se penche sur l’aide social dans le cas des communes occupées de l’Aisne et donc coupées de l’État français. Les maires restent alors la seule autorité légale, l’intermédiaire entre l’occupant et les administrés. Les municipalités telles que Laon ou Saint-Quentin peuvent alors s’affranchir de leurs obligations légales en matière d’assistance aux pauvres et confier une partie de cette aide aux notables.

Fabio Degli Espoti évoque quant à lui la ville de Bologne, commune socialiste. Le maire Francesco Zanardi met en place un ambitieux programme d’assistance concurrencée par la bourgeoisie libérale locale.

Alex Dowdall nous propose enfin une étude sur le ravitaillement en nourriture des villes du front. Dans les zones non-occupées, les autorités locales parviennent à ravitailler suffisamment ces villes et à éviter la spéculation. Cela permet le maintien de la cohésion sociale. En zone occupée, le ravitaillement est plus précaire et l’on voit intervenir des organisations caritatives comme la Commission for Relief in Belgium (CRB) de Herbert Hoover.

 

L’ouvrage s’achève sur un contre-point de Blaise Wilfert-Portal qui propose une étude sur le processus d’étatisation en Europe au XIXe et le met en lien avec le processus de mondialisation.

 

 

 

Notes sur les directeurs de l’ouvrage :

Sylvain Bertschy, Université Paul Valéry Montpellier (CRISES), CRID 14-18

Philippe Salson, CRID 14-18