Les mobilités spatiales dans les villes intermédiaires. Territoires, pratiques, régulations. Actes du colloque de Clermont-Ferrand, 25 et 26 novembre 2010. M. Giroud, H. Mainet et J-C. Edouard. (dir.) Presses universitaires Blaise Pascal, 2011. 494 pages. 25€.

Félicitations aux Presses Universitaires Blaise Pascal ! A peine un an après la tenue du colloque : Les mobilités spatiales dans les villes intermédiaires (novembre 2010), voilà que paraissent les actes ! Ce court délai est fort appréciable et suffisamment rare pour être signalé.

Organisé par le CERAMAC (EA 997 Centre d’études et de Recherches Appliquées au Massif Central, à la Moyenne Montagne et aux Espaces Fragiles), ce colloque avait une touche auvergnate au sens large par les contributions qu’il a rassemblés. Toutefois, le Massif Central n’est pas le seul territoire où la thématique de l’intermédiarité interpelle : Ile de France, Bretagne, Pays de la Loire, Nord, Est sans compter des « territoires plus exotiques » (Algérie, Togo, Pologne, Colombie britannique, Québec, La Réunion).

Centré sur les villes intermédiaires : « Ces villes qui sont en situation intermédiaire dans l’organisation spatiale métropolitaine ou dans la hiérarchie urbaine. », ce colloque proposait une approche par les mobilités. Ces dernières permettent de rendre compte de l’organisation et des dynamiques spatiales des villes intermédiaires. Les moyens mis en œuvre pour étudier les mobilités des habitants des villes intermédiaires ou de communes périurbaines sont multiples : entretiens semi-directifs, relevés GPS réalisés par l’université de Tours, méthode des enquêtes interactives de réponses déclarées, exploitation de bases de données, questionnaires, cartes mentales…

L’inégale capacité des individus à être mobiles dans le contexte de ces villes intermédiaires se pose avec une acuité particulière dans le cas des étudiants et des lycéens. Lorsque ces populations combinent une localisation résidentielle périphérique, la situation achève de se compliquer. Armelle Chopin et Matthieu Delage étudient les mobilités de loisirs des étudiants de l’Université de Marne la Vallée : « une université « hors la ville » », caractéristique d’une intermédiarité. « Dans la mesure où la phase entre la fin des études et le départ du domicile parental ne cesse de s’allonger (Galland, 2000 ; De Singly, 2001), la question de la mobilité est à replacer dans le cadre plus large de la sphère familiale (Kaufmann, Widmer, 2005). » Enfants, puis ados du périurbain, ils sont désormais étudiants du périurbain. Vivant sous le toit de leurs parents, la fréquentation de la fac exige qu’ils se déplacent énormément alors que les transports en commun sont mal adaptés aux faibles densités. Posséder le permis de conduire permet d’être plus autonome dans ses études, son travail et ses loisirs. C’est un plus quand on n’a pas d’espace à soi et que l’on est « contraint d’ « habiter les interstices » pour reprendre ici l’expression d’Aurélie Martin (2010), mais aussi de flirter dans les « interstices de l’urbain ». Pour autant, « les natifs du périurbain ne se voient pas comme vivant en périphérie de Paris mais inversement, c’est bien Paris qui apparaît en périphérie de leur espace de vie éclaté. » Ceux qui habitent l’est francilien lointain ont un rapport différent puisqu’ils résident la semaine à proximité de l’université et rentrent le week-end chez leurs parents.

Divers degrés d’intermédiarités émergent. « Ce n’est pas seulement un entre-deux, avec des villes interposées, en simple position d’interface entre ville et campagne, entre Paris et ce qui serait le vaste désert de l’Est francilien. » Trois gradients sont dégagés car comme le dit Laurent Cailly dans son article sur le périurbain tourangeau, « les espaces urbains qui entourent les grandes aires métropolitaines et ceux qui bordent les villes intermédiaires ne se ressemblent pas. » Différents types de centralités se dégagent selon le degré de périurbanisation (voir les schémas de Laurent Cailly et d’Armelle Chopin et Matthieu Delage).

L’analyse des trajectoires résidentielles par le biais des migrations constitue le deuxième groupe d’intervention du colloque. Hadrien Dubucs, qui travaille sur les migrants japonais, montre que les villes intermédiaires constituent une étape résidentielle entre Tokyo et Paris. Emilie Jamet constate que la ville intermédiaire est une étape dans un parcours migratoire pour les jeunes, originaires du Québec. Elle a conduit en parallèle la même étude avec la Colombie britannique. Si les jeunes Québécois d’Abitibi-Témiscamingue quittent la ville intermédiaire pour la grande ville (Montréal, par exemple) afin de poursuivre des études, ils le font dans une logique de diaspora. Sur place, ils appartiennent à des réseaux qui les amènent à côtoyer des jeunes ayant la même origine géographique qu’eux. Par conséquent, une fois les études terminées, ils sont nombreux à revenir dans leur ville intermédiaire de départ. La migration peut donc être une ressource pour le territoire d’origine. Ce phénomène n’est pas constaté pour les jeunes originaires de la Colombie britannique (pas de culture de diaspora à Vancouver). Quelque soit la temporalité retenue (quotidienne ou trajectoires résidentielles), le concept central questionné lors de ces deux jours de colloque est bien celui de l’intermédiarité. Il émerge depuis quelques temps car celui de centre / périphérie est de plus en plus remis en cause en sciences politiques et en géographie politique. L’intermédiaire peut s’approcher à travers l’idée de relais, d’après Hadrien Commenges et Enric Mendizabal Riera. Les mobilités sont à considérer comme un système composé d’un mouvement cyclique, mouvement linéaire, mouvement interne à un espace de vie et mouvement extérieur à un espace de vie (Kaufmann, 1997). Un relais est une commune à la fois polarisée et polarisante. Elle se caractérise par sa polyvalence ou multifonctionnalité contrairement aux pôles spécialisés. Ces communes émettent autant de flux de mobilités qu’elles en reçoivent.

Tous ces phénomènes de mobilité sont complexes et difficiles à appréhender par les acteurs de l’aménagement du territoire. Les collectivités territoriales mandatent des enquêtes pour essayer de rendre plus efficace et surtout plus rentable un service de transport en commun. L’étude menée par les étudiants en Master 2 Gestion sociale de l’environnement et valorisation des ressources territoriales est un parfait exemple de géographie active. La communauté d’agglomération de l’Albigeois (C2A) a confié à l’université de Toulouse une réflexion sur le faible succès des transports en commun dans l’agglomération. Les étudiants ont ainsi pu montrer que les mobilités douces (marche, vélo) avaient une place non négligeable pour les habitants du cœur de l’agglomération. Ville intermédiaire, Albi est vite parcourue, y compris à pieds, pour un habitant de l’agglomération. Les transports en commun exigent de davantage de temps pour parcourir les mêmes distances. Aussi, l’étude a montré que ce sont essentiellement des populations « captives » (scolaires, retraités, RMIstes, chômeurs) qui empruntent les transports. Dès qu’un ménage dispose d’une automobile, il recourt à son usage y compris pour se rendre dans le cœur de l’agglomération, surtout si le domicile de ce ménage est situé en couronne périurbaine. Il faut dire que les parkings ne manquent pas, y compris au cœur de l’agglomération et rendent d’autant plus facile son accès en automobile. Quand il est plus simple de venir dans un lieu en automobile, plutôt qu’en transports en commun, pourquoi aurait-on recours à un mode de transport contraignant (horaires, faible cadence) ? Les transports à la demande, mis en place dans les espaces ruraux et les villes intermédiaires, ont une place limitée dans les déplacements. Ils sont bien souvent, comme le montre l’étude menée par l’université de Lille (Elodie Castex, Vincent Houillon, Christophe Gibout, Severine Frère), en inadéquation avec les demandes des usagers. Cela peut paraître paradoxal, mais c’est pourtant une réalité.

Pour Matthieu Giroud, à qui revient la difficile tâche de conclure ce volume, comprendre les mobilités spatiales dans les villes intermédiaires nécessite d’aller au-delà de la segmentation apparue lors de ce colloque. Si les mobilités quotidiennes ont bien été traitées lors de cette réunion comme les trajectoires résidentielles des habitants, il regrette que l’articulation entre les deux soit trop souvent absente. C’est sans doute là que les efforts doivent porter à la fois pour les chercheurs comme pour les collectivités territoriales. Car, faute de mise à disposition des habitants de moyens opérationnels pour se déplacer, c’est encore et toujours l’automobile qui sera privilégiée !

Catherine Didier-Fèvre © Les Clionautes