Les auteurs de cet ouvrage magnifique sont les suivants.

Maurice Gautier : instituteur public retraité, titulaire d’un DEA de l’université de Rennes 2, archéologue aérien bénévole, depuis plus de 30 ans en Bretagne. On lui doit la découverte de 2600 entités archéologiques. De 1995 à 1997, il était chargé d’études à la Carte archéologique du SRA Bretagne avec pour mission le dépouillement des vues verticales de l’IGN, il fut coresponsable des fouilles triennales sur le site de Saint-Just (1990 -1992).

Philippe Guigon : contrôleur de la circulation aérienne retraité. Il est titulaire d’une licence de pilote privé (2000 heures de vol), docteur en archéologie de l’université de Rennes 1, il a dirigé les fouilles archéologiques du camp des Salles à Locronan (1986–1991) et de l’ancienne église paroissiale de Maxent (1990–1980)

Gilles Leroux : archéologue à l’INRAP (Institut nationale de recherches préventives), spécialiste de missions de généraliste en milieu rural, il est aussi prospecteur aérien et grâce à lui, 5000 découvertes servent quotidiennement de références pour la recherche archéologique.

Dans une première préface, Bruno Bréart, Conservateur en chef du Patrimoine émérite, évoque une autre aventure humaine, celle de la photographie aérienne, grâce à l’application d’une méthode de prospection originale l’utilisant. C’est qui va nous permettre d’obtenir une image de l’occupation humaine de territoire au fil des siècles, voire des millénaires. Partons à la découverte de nos anciens locataires, le sol semblant avoir enregistré la mémoire de l’humanité …

Le terrain d’intervention observé par Maurice Gautier et Gilles Leroux est l’Armorique, ce coin du Grand Ouest considéré depuis longtemps comme un « désert archéologique ». Les caractéristiques de la région ne sont pas favorables à la détection : la nature du substrat géologique (prédominance des schistes, granites, grès) et ses couvertures superficielles, le morcellement des paysages, l’occupation des sols et la nature des travaux agraires n’offrent pas les meilleures garanties. Pourtant, cet espace offre des potentialités.

Le livre nous présente donc le bilan de 30 années consacrées au survol du massif armoricain, une contribution fondamentale pour la connaissance du patrimoine archéologique de la région. Ce n’est pas un catalogue, les 400 illustrations sont sélectionnées, légendées : il s’agit donc d’une masse documentaire originale et en grande partie inédite.

La pratique de l’archéologie aérienne exige de ses acteurs une parfaite connaissance des terroirs survolés, de la « littérature archéologique » rendant compte de l’évolution des recherches menées sur le terrain (prospections au sol, sondages, fouilles programmées ou préventives…).

L’archéologie aérienne nécessite de la patience et de nombreuses campagnes de prospection pour optimiser les résultats : il faut imaginer la répétition de survols échelonnés en toutes saisons, par tous les temps, avec l’inquiétude que chaque survol pourra apporter son lot de découvertes pour recevoir les aides financières.

Cet ouvrage peut donc plaire aux archéologues, aux gestionnaires de patrimoine, mais également à tous ceux qui se passionnent pour l’histoire de leur région, de par l’originalité des prises de vue, la beauté des sites mégalithiques dans leur environnement, les paysages typiques comme ceux des bocages, de Guérande… et de surcroît, sensibles à la progression des atteintes aux paysages.

Yves Menez, Conservateur régional de l’archéologie en Bretagne, reprend lui l’historique des premières prospections, avec le survol réalisé par Pierre-Rolland Giot et Charles–Tanguy le Roux lors de la grande sécheresse de 1976. Des milliers de sites seront ainsi découverts et protégés par la demande en zone non constructible dans les plans locaux d’urbanisme, pour les habitats les plus remarquables ou encore par l’émission d’arrêtés préfectoraux imposant la transmission à la Direction régionale des affaires culturelles de Bretagne des demandes d’urbanisme sur les parcelles concernées. Il est donc question d’archéologie préventive, suivie de fouilles lorsque l’intérêt des vestiges le justifiait. C’est le travail de ces archéologues aériens qui a permis de compléter la carte archéologique nationale. Avant 2010, il s’agit de diapositives, depuis de clichés numériques.

La conservation de ces documents est assurée par des chercheurs bénévoles ou par les associations au sein desquelles ils ont œuvré. Monsieur Menez déplore la rareté des échanges entre les prospecteurs aériens, à l’origine de la découverte de ces sites, et les archéologues en charge des sondages ou des fouilles réalisées sur certains d’entre eux. La mise en ligne des rapports de fouille ou de prospections (http ://bibliotheque.numerique.sra-bretagne.fr/) est un atout majeur, complété par une classification et une typologie de ces clichés, afin de faciliter une approche chronologique de l’histoire des territoires survolés et de permettre aux archéologues en charge de l’étude de tel ou tel site destiné sa représentativité au sein des territoires concernés.

Ces prospections aériennes constituent donc une étape incontournable dans l’étude de l’histoire de nos campagnes ; elles sont complétées par d’autres méthodes, par exemple l’analyse des lidars, qui mesure de manière très précise sur la topographie des terrains, permettant ainsi de repérer et de cartographier les vestiges de monuments funéraires, de parcellaires, d’habitats enclos ou d’enceintes fortifiées préservés au sein des forêts ou des landes bretonnes. Les évolutions rapides des technologies numériques permettront également d’envisager un dépouillement automatisé des fonds documentaires (vues satellitaires, clichés verticaux de l’IGN) afin de détecter des anomalies qui pourraient révéler l’existence de sites archéologiques, à vérifier sur le terrain.

Les 22 670 sites archéologiques actuellement recensés en Bretagne ne sont donc que la partie immergée de l’iceberg, « celle composée des vestiges des occupations humaines ayant suffisamment impacté les paysages pour que leurs traces demeurent relativement perceptibles quelques siècles ou millénaires après leur abandon ».

Pour Dominique Garcia, Président de l’Institut national de recherches archéologiques préventives, le travail de Gilles Leroux, Maurice Gautier et Philippe Guigon est une « donnée scientifique de première importance dans notre capacité collective à connaître et protéger ce patrimoine fragile et enfoui », qui concourt à nourrir la base de données du patrimoine de demain au travers de la multiplication de ses couvertures photographiques, je souligne la très belle expression de « laboureur des nuages » dont il se sert pour évoquer les archéologues aériens.

Enfin, Jean–Philippe Bouvet, Conservateur régional de l’archéologie des Pays de la Loire, reprend la géographie des pays de la Loire : le Massif armoricain, le Bassin aquitain, le Bassin parisien et la vallée de la Loire. Il s’étend ensuite sur la diversité des paysages, des bocages qui dominent encore en Mayenne, dans la partie occidentale du Maine-et-Loire, dans le nord de la Loire-Atlantique ou de la Vendée, la culture de la vigne qui occupe une place prépondérante dans la partie orientale du Maine-et-Loire et méridionale de la Loire-Atlantique, les grandes plaines, surtout présentes dans le sud de la Vendée, le nord de la Sarthe, et dans le sud-ouest du Maine-et-Loire, les grandes forêts dont celles de Bercé, Sillé-le-Guillaume et Perseigne, celle de Mayenne, du Gâvre en Loire-Atlantique, de Mervant-Vouvant, en Vendée, et des massifs du Baugeois ou de Gennes-Val-de-Loire, en Maine-et-Loire.

Monsieur Bouvet reprend lui aussi l’historique de l’archéologie aérienne en citant des sites précis. Pour lui, la détection des sites archéologiques peut parfois s’effectuer sur l’écran d’ordinateur à la visualisation des images de survols offertes par Géoportail, ou en utilisant la méthode du lidar. Mais l’ouvrage Les moissons du ciel constituent « un vecteur de qualité sur la connaissance du patrimoine archéologique, datant du néolithique à nos jours ».

Au fronton du préambule, les auteurs rendent hommage « aux nombreux prospecteurs bénévoles qui, par passion, sur la terre comme au ciel, tentent de faire revivre le riche passé de la région de leur terroir… sans oublier les valeureux terrassiers des temps anciens qui, contraints ou entreprenants, ont creusé des kilomètres de fossés devenus, par la magie de l’histoire, un terrain de jeu presque inépuisable pour les archéologues ».

Maurice Gautier, de Philippe Guigon, de Gilles Leroux présentent l’ouvrage comme le « produit d’un travail scientifique, mais aussi une aventure humaine et archéologique, qui vise à montrer un large, spécialiste, mais également profane, des choses de l’air et/ou de l’archéologie », le constat d’une artificialisation des sols par les humains, les paysages étudiés sont essentiellement ruraux, parfois périurbains, les villes n’étant étudiées qu’à leur marge, permettant d’augmenter notre compréhension des modes d’occupation du sol sur le Massif armoricain.

Il nous est donc présenté un historique de l’archéologie aérienne, une présentation de l’Ouest de la France, le Massif armoricain, à la pointe occidentale de l’Europe occidentale, avec les contraintes et potentialités de l’espace survolé (géologie et pédologie, les climats, le réseau hydrographique, la mosaïque de paysages), avec l’appui de cartes remarquables ; il s’ensuit des réflexions méthodologiques avec les principes de détection et les techniques, la pratique des contrôles au sol, les avis des différents acteurs (pilote, prospecteur aérien) avec l’appui d’exemples riches et magnifiques à observer, le plaisir des yeux n’est pas à négliger. Les auteurs reprennent les premiers peuplements de l’Ouest armoricain, qui débute il y a environ 600 000 ans. L’influence des changements climatiques impacte les migrations humaines.

Le parti pris est de nous dresser un parcours chronologique du troisième millénaire avant notre ère (le Paléolithique selon l’aveu des auteurs leur échappant totalement), l’Âge du bronze et celui du fer, l’Antiquité, avec découverte une quantité de sites inédits, en même temps que de multiples tronçons de voies de toutes natures et fonctions, le Moyen Âge a laissé moins de traces visibles de là-haut, moins en tout cas que celles des époques moderne et contemporaine.

Dans un chapitre, Il est question des agriculteurs, éleveurs et bâtisseurs du Néolithique. La néolithisation de la zone authentique de l’Europe et « le fruit d’un contact entre un fonds indigène de peuplement et un mouvement porteur de techniques nouvelles, notamment en matière agricole, qui s’est mis en branle au Proche-Orient il y a plus de 10 000 ans et qui, par ondes successives provenant conjointement des régions danubienne et méditerranéenne, a fini par toucher la péninsule armoricaine vers le sixième millénaire avant J.-C ». Dans une autre partie, ce sont les petits princes, métallurgistes, paysans de l’âge de Bronze qui sont évoqués avec toujours le renfort d’une carte, d’une analyse étayée par des exemples précis et des photographies à la compréhension facilitée par un éclairage précis et profane.

Et voici nos ancêtres les Gaulois, le titre étant un clin d’œil aux leçons d’histoire de la Communale de la IIIe République. Cette partie est particulièrement bien réussie avec une présentation toujours soutenue par la rigueur scientifique des auteurs. L’âge de Fer débute vers 800 avant notre ère pour s’achever avec la conquête de la Gaule par les Romains en 52 av. J.-C. : il se caractérise par la maîtrise d’un nouveau métal servant à fabriquer des armes, puis à l’outillage agricole. Ce sont des populations que l’on connaît mal, notamment leur vie quotidienne, leurs types d’habitat, leurs lieux de culte, leur emprise sur les paysages. Les photographies apportent des renseignements essentiels sur les habitats, les enclos, les parcelles, le réseau viaire, les promontoires fortifiés, les premières villes.

Viennent ensuite les analyses de l’empreinte romaine en Armorique, avec les agglomérations, les types d’habitat, l’aménagement du territoire, les lieux de culte tels que le fanum des Mordelles en Ille-et-Vilaine, avec la cella centrale hexagonale, s’inscrivant dans une galerie de circulation de 12 m de côté jouxtant un porche carré de 4 m de côté. Mais, il est aussi question des cuves de salaisons maçonnées servant à produire le garum, des mines d’or ou de quartz,…

La diversité des séquences du Moyen Âge, une si longue période, s’appuie sur des sources documentaires, celles émises pour des élites laïques, Bellatores, et surtout Oratores, religieuses, servant à asseoir leur autorité. Là encore, le haut Moyen Âge se caractérise par l’arrivée de nouvelles populations, dont les Francs et les Bretons : ce sont leurs traces archéologiques, les habitats, les lieux de culte et les sépultures qui ne sont révélées que par des fouilles, selon les auteurs, l’avion n’étant guère propice à leur détection. S’y rajoute la complexité des frontières, particulièrement fluctuantes, suivant les circonstances politico-militaires, le morcellement du pouvoir, l’implantation des lieux de pouvoir sur des endroits naturellement fortifiés, aisés à défendre et ayant connu pour cette raison une très longue utilisation. C’est ensuite le patrimoine des abbayes et des églises qui est observé à la loupe, les traces de l’occupation des laboratores enfin.

L’ouvrage se poursuit par les périodes moderne et contemporaine, s’interrogeant sur des évolutions ou des révolutions, avec la dynamique bocagère, les châteaux et parcs de plaisance les aménagements hydrauliques, les ressources minières et se conclut par la période de 1939 à nos jours et l’entrée dans un nouveau monde, avec les traces indéniables laissées par la Seconde Guerre mondiale dans les paysages, les blockhaus pour ne citer qu’eux, les impacts des bombes, mais aussi les bouleversements des espaces façonnés dans l’après-guerre. Les paysages étudiés peuvent être étudiés conjointement par l’archéologie et l’histoire, la géographie humaine, afin « de comprendre leur originalité, leur dynamique, leur éventuelle mise à l’écart, et tenter de hiérarchiser certaines entités spatiales en mettant en évidence des centres, des périphéries, des modèles, des réseaux, des flux, etc ». Les auteurs se concentrent bien évidemment sur les mutations agricoles, notamment en Bretagne, première région agricole française (rappelons-nous de l’expression « le modèle agricole breton »), les crises successives de l’agriculture remettant en cause la dimension productiviste et mortifère de ce modèle.

C’est donc aussi le panorama des espaces industriels et technologiques, de la périurbanisation et de son impact sur les espaces, de l’attractivité littorale, des énergies. Je vous invite à découvrir aussi cette amusante présentation des leurres et des vues insolites, qui peuvent troubler même l’œil exercé, si elle n’est pas étayée par une enquête minutieuse, la nature offrant des bizarreries qui peuvent sembler être de la main de l’homme.

Pour conclure, c’est une aventure de 30 ans et une promenade de cinq millénaires, faite par des passionnés d’une archéologie aérienne encore trop marginale, la seule branche réalisée par des bénévoles. Mais au-delà de ces photographies, lire cet ouvrage, c’est aussi prendre conscience de la fragilité de nos civilisations mortelles.