Florence Regourd est agrégée et docteure en histoire. Professeure de chaire supérieure honoraire, elle est spécialiste dans l’étude des monuments aux Morts de la Première Guerre mondiale. Trente ans de recherches sur le terrain et dans les archives lui permettent de présenter dans cet ouvrage les spécificités des monuments vendéens en les replaçant dans le contexte national.

Son introduction, très complète, nous présente la genèse de la recherche sur les monuments aux Morts ainsi que les motivations de sa recherche sur ce sujet.

Les premiers travaux sur les monuments aux Morts de la Vendée remontent aux années 1980. A cette époque, débutent les premières recherches à l’échelle départementale  dans le cadre « d’une enquête lancée auprès des communes avec la Conservation départementale des Musées. »

Ces travaux pionniers en la matière faisaient  suite à la publication de la thèse d’Antoine Prost sur les « Anciens combattants et la société française 1914-1918″ et le volume III consacré aux mentalités et idéologie où était établie une typologie des monuments aux morts qui fera longtemps autorité. Ces travaux de recherche sur les traces de la Grande Guerre seront poursuivis par Annette Becker. De nombreux étudiants travaillèrent sur ce thème en effectuant des recensements des monuments aux Morts dans leur canton, département ou région. Les travaux de Maurice Agulhon apportèrent un éclairage liant histoire et art.

Par la suite, les sites internet prirent le relais avec un impressionnant fonds iconographique. De même la numérisation des documents des Archives Départementales a enrichi l’accès aux données concernant les monuments aux Morts, les plans, les affiches, les conditions de leur érection ainsi que les cérémonies commémoratives.

A l’occasion du Centenaire de la Grande Guerre, de nombreux érudits locaux ont également étudié le monument aux Morts de leur ville ou village.

Des tentatives de synthèse ont été réalisées notamment en 2000 avec « 36 000 communes, 36 000 cicatrices, les monuments aux Morts de la Grande Guerre » à partir des photographies de Raymond Depardon.

Etudier les monuments aux Morts, c’est étudier divers aspects au-delà de l’aspect commémoration et célébration des soldats morts au champ d’honneur, c’est travailler sur la place de la femme, c’est y voir un objet didactique, c’est le voir sous l’aspect religieux, politique… C’est aussi y voir un terrain de confrontation entre les différentes « écoles », entre celle de « l’Historial de Péronne » qui « privilégie l’interprétation d’une guerre consentie au lieu d’être contrainte et subie » et celle du CRID 14-18 refusant cette « explication de la ténacité des soldats par consentement patriotique. »

Florence Regourd n’a pas souhaité entrer dans cette « polémique des comportements ». Pour cette publication, une nouvelle enquête a été lancée en 2014.

92 communes ont répondu, et leurs réponses confrontées aux résultats de l’enquête des années 80. La synthèse présentée ici ne représente pas toutes les communes mais est bien représentative de l’ensemble des monuments aux Morts vendéens.

D’ailleurs y a-t-il une spécificité vendéenne ? Il ne faut pas oublier que le monument aux Morts est un monument public, donc laïque. Qu’en est-il dans une région qui a été troublée par la loi de Séparation de l’Eglise et de l’Etat de 1905, dans une région « où la République n’est vraiment acceptée qu’à la veille de la Grande Guerre ? ». C’est sur cette problématique que le travail de Florence Regourd s’appuie.

L’ouvrage  se présente en 4 parties : « Le culte des soldats morts pour la France », «  La mémoire des pierres typologie », « Le prix de l’hommage : les enjeux politiques », et « La mémoire des hommes ».

* La première partie se découpe en 3 chapitres qui présentent les trois premiers éléments que l’on étudie quand on réalise des recherches sur les monuments aux Morts.

Tout d’abord, de qui vient l’initiative de l’érection du monument ? On pourrait croire qu’il s’agit prioritairement de la commune mais cela n’est pas aussi simple. A ce titre les délibérations des Conseils Municipaux sont des sources incontournables pour qui veut travailler sur les traces de la Grande Guerre avec les monuments commémoratifs. Certaines communes prennent la décision très tôt, dès 1916 par exemple pour la commune de Triaize. Il faut attendre  octobre 1919 pour que des lois régissent les modalités de commémoration, notamment celle du 25 octobre qui fixe le montant de la subvention « en proportion de l’effort et du sacrifice qu’elles feront [les communes] en vue de glorifier les héros morts pour la patrie. »

Les initiatives peuvent être publiques ou privées venant de personnes ayant perdu un être cher à la guerre.  Il reste néanmoins, pour que le projet soit validé, que le dossier soit présenté par la commune afin que celui-ci passe en commission. De même, la souscription en vue de financer le projet est lancée par la municipalité

Ensuite, l’auteur explique le  « processus d’édification des monuments » afin d’établir une chronologie. La plupart des communes érige leur monument dans les 2-3 années qui suivent l’Armistice, quelques exceptions avec des délibérations prises pendant le conflit et des monuments érigés avant la fin de la guerre. En Vendée, comme dans l’ensemble de la France, les monuments sont érigés entre 1920 et 1925.

Le troisième élément étudié est le choix de son emplacement. Le lieu choisi est symbolique : un terrain municipal donc laïque, dans le cimetière ou près de l’église donc religieux, un lieu privé, un don d’un habitant ?

Ce choix peut être sujet à de nombreuses polémiques dans la commune, au sein du conseil municipal selon les orientations politiques des uns et des autres. Des querelles également religieuses entre la commune et l’Eglise peuvent aussi avoir lieu.

En Vendée, près de la moitié des monuments est d’ordre funéraire puisqu’ils se trouvent au cimetière, 65 % si on comptabilise les monuments à proximité de l’église.

Dans beaucoup de communes, l’hommage rendu aux soldats est double, à la fois municipal et à la fois religieux : monument, plaque dans l’église, piétà, tableaux… Il est à remarquer que la liste des noms des disparus peut différer entre le monument public et celui religieux car pour le religieux, seuls les paroissiens sont inscrits.

Un autre sujet à polémique est celui d’associer ou non les soldats de la guerre de 70 à ceux de 14-18 sur un même monument quand celui-ci existe. Ces monuments sont peu nombreux en Vendée : 9 sur 900 érigés en France. Une seule commune a mis dans un même espace les deux commémorations. Dans les autres cas, on construit à côté en élargissant l’enclos du monument de 70.

 

* La deuxième partie s’attache à étudier, et c’est un élément primordial dans le travail mené sur les monuments aux Morts, la typologie de ces objets de commémoration.

C’est Antoine Prost, qui a le premier, proposé un classement : monument civique, monument funéraire – patriotique, monument de la Victoire, monument funéraire et monument pacifiste. Ce classement s’appuie sur l’iconographie, la statuaire, la dédicace, le lieu d’édification.

Florence Regourd a donc étudié cet aspect des monuments vendées qui se révèlent très diversifiés, la question se pose de savoir si cette variété correspond à ce que les historiens constatent sur le territoire français.

– Comme dans beaucoup d’autres endroits, le monument stèle est le plus fréquent, c’est « le monument funéraire par nature » : obélisque, colonne tronquée, stèle, Les ornements peuvent changer selon les communes. Un chapitre est d’ailleurs consacré aux références religieuses de ces monuments. La croix latine est un élément largement représenté sur plus des deux tiers des 307 monuments vendéens. Les monuments avec statue sont minoritaires mais dans ce groupe la statue du poilu est fréquente avec celle poilu – aumônier notamment dans les régions de forte pratique religieuse.

Il faut savoir également que la commission chargée d’étudier les dossiers pouvait refuser ou demander des modifications si un élément religieux était apposé sur un monument érigé dans le domaine public. Quand ils sont érigés dans le domaine paroissial ou  le cimetière la question ne se posait pas. On trouve donc en Vendée de nombreuses croix du cimetière, des calvaires, des autels, des représentations du Christ et du Sacré-Cœur. La Vendée a une dévotion toute particulière au Sacré-Cœur. La Vierge Marie est également représentée, ainsi que des anges protecteurs. Des chapelles, des grottes accueillent les monuments aux Morts.

La célébration de Jeanne d’Arc appartient au type funéraire – patriotique, elle est fréquente dans les régions catholiques.

Dans le groupe statuaire, on trouve également des poilus à l’agonie, étreignant le drapeau, des gisants, des poilus blessés…

– Le deuxième type de monument est celui patriotique, civique et républicain : poilus triomphants, coq gaulois, bustes, médaillons, effigies de poilus, attributs patriotiques, Victoire ailée, allégories de figures féminines. Il est peu représenté en Vendée contrairement au reste du pays, seule l’épigraphie patriotique est majoritaire sur plus de 80 % des inscriptions relevées.

– Le troisième type relevé est celui des monuments civiques avec des figures de la Nation comme Marianne, le poilu de garde, la liste des morts, rarement un tableau d’honneur.

Chaque chapitre est amplement documenté par des exemples précis et très détaillés

– Cette deuxième partie s’achève avec les monuments complexes qui peuvent entrer dans plusieurs catégories. L’auteur nous décrit précisément chaque monument et son historique. Il est intéressant de noter que l’auteur a réservé quelques paragraphes pour expliquer ce que les monuments vendéens ne représentent pas, au contraire de ce que l’on peut rencontrer dans d’autres régions.

Un encart de photographies couleur recense les monuments remarquables.

 

* La troisième partie de l’ouvrage s’intéresse à un autre point important qui est le cadre législatif et institutionnel dans lequel s’inscrit l’érection d’un monument aux Morts. L’Etat, en effet, en fixe les règles. C’est-à- dire les modalités de financement, les subventions accordées.

Eriger un monument coûte cher, les subventions de l’Etat s’avèrent souvent insuffisantes. « La moindre croix en granit dépasse les 2 000 francs. » La souscription publique est un moyen de ramener de l’argent. Des crédits sont également votés au budget communal, quelquefois un emprunt est engagé.

Eriger un monument c’est aussi choisir le modèle, les matériaux, choisir sur catalogue ou mettre en place un concours auprès d’artistes pour avoir un monument original. En Vendée, les productions et les compétences locales sont privilégiées, question de coût.

Cette troisième partie se termine sur un bilan comparatif, le coût du monument est-il une question politique ? A savoir si selon l’orientation politique de la commune, il y a différenciation dans la mise en œuvre des moyens. Pour l’auteur, toute règle générale est à proscrire. Certes il y a diversité des convictions et des sensibilités mais il y a bien une volonté générale faisant taire les dissensions antérieures au conflit.

 

* La quatrième et dernière partie aborde l’aspect de l’inauguration du monument aux Morts. Elle se doit d’honorer les morts et de marquer les vivants.

La question est de savoir quand inaugurer le monument, faut-il attendre le retour de tous les démobilisés de la commune ? Et les prisonniers, ces « oubliés » ? Et les disparus ? Quels noms mettre sur le monument : ceux qui sont morts des suites de leurs blessures contractées au front vont-ils y figurer ? Et ceux morts de leurs blessures après l’Armistice ?

Des fêtes du retour sont organisées avant les inaugurations pour les démobilisés. Ces manifestations marquent « l’unité d’une communauté que l’on veut soudée derrière ses soldats, à un moment où l’on en doute. »

100 ans après la fin du conflit, il y a encore beaucoup de difficultés à disposer d’un bilan exhaustif et définitif, il faut donc imaginer ce qu’il en est au début des années 20. On s’accorde aujourd’hui à 22 000 morts, 5% de la population recensée en 1911. Le bilan est très lourd. Pourquoi alors que la Vendée est hors du front ? Tout simplement parce que les pertes ont bien plus touché les populations rurales. Il reste néanmoins encore complexe de faire des statistiques dans ce domaine du fait de la variation des données et de la problématique des oubliés. Les listes sont encore mises à jour actuellement.

Les fêtes d’inauguration sont bien codifiées, elles « correspondent à un rituel collectif qui s’est peu à peu fixé au cours de la période  de frénésie d’édification des années 1920. » Un dimanche, le 11 novembre à partir de la loi du 24 octobre 1922, un protocole : cérémonie civile, Appel des Morts, dévoilement du monument, discours cérémonie religieuse, procession et bénédiction du monument.

Cette fête est à double sens, c’est un moment de recueillement mais aussi un moment d’éclat, de hauteur, de joie, avec un caractère familial et intime.

Ces manifestations sont toujours décorées et pavoisées, la musique est présente avec les fanfares et les cloches. Le moment le plus émouvant reste bien évidemment l’Appel aux Morts. Les familles, les veuves, les orphelins, les enfants des écoles sont présents. La présence des veuves est importante, ce sont des veuves de héros, morts au Champ d’Honneur. Les enfants ont un rôle à jouer, les morts doivent servir d’exemples.

Les discours prononcés à cette occasion sont un élément important à étudier, ils « diffusent une thématique idéologico – politique. Ils sont chargés doublement des problématiques de l’époque récemment vécue qu’on célèbre, et celle à laquelle les politiques aspirent. »

Un encart présente quelques exemples de cérémonies d’inauguration en photographie.

Enfin, et après l’inauguration ? « Si les fonctions pédagogiques du monument aux Morts ne sont plus aujourd’hui à démontrer, on s’interroge sur la nécessité de les perpétuer, les pérenniser. »

Les cérémonies du 11 novembre vont jouer un rôle important dans la pérennisation du souvenir. La loi du 24 octobre 1922 crée donc un modèle de fête comme dit précédemment mais ce qui est important, c’est l’article 3 qui indique que « la loi du 13 juillet 1905 concernant les fêtes légales ne sera pas applicable à la fête du 11 novembre. »

L’idée du  devoir de mémoire dont on parle beaucoup, est moderne, récente. Il impose d’abord le souvenir mais vise à reconnaître les responsabilités.

Après une petite conclusion reprenant les analyses finales des quatre parties, le lecteur aborde une grande partie consacrée aux archives et aux photographies des monuments aux morts étudiés et présentés dans cet ouvrage. Rangés par ordre alphabétique, les photographies récentes sont accompagnées quand c’est possible du document d’archives montrant le projet du monument. Il est en effet très intéressant de comparer les deux, de constater les ajouts de décoration, les modifications effectuées, les différents projets et celui retenu.

L’ouvrage se termine par un index des noms de personnes, un index des noms de lieux, la table des matières et un descriptif du centre vendéen de recherches historiques.

 

C’est un ouvrage extrêmement complet et détaillé que nous livre Florence Regourd. Tous les aspects des monuments aux Morts sont étudiés. Le vaste panel qu’elle a réussi à recenser permet une vision très précise des monuments vendéens. Ses exemples sont nombreux, bien choisis et illustrent parfaitement son propos.

Son analyse est très intéressante, fine et met en parallèle la Vendée et le contexte national. Ce travail permet de se rendre compte de tous les enjeux qui entourent le monument érigé dans chaque commune : enjeux de société, enjeux financiers, enjeux politiques, enjeux religieux et enjeux de mémoire.

Les illustrations sont mises en valeur dans des encarts et sont de très bonne qualité. Elles sont nombreuses, ce qui est indispensable quand on parle de ce sujet.

Un petit bémol  sur la forme : le choix de la police d’écriture qui rend la lecture un peu fastidieuse.

Cet ouvrage permettra aux historiens intéressés par cette thématique d’enrichir leurs propres recherches, pour les autres d’avoir une vue complète sur la genèse de ce monument si particulier qu’est un monument aux Morts, connu de tous et souvent ignoré de beaucoup. Il est à souhaiter que cette initiative continue à se propager dans d’autres départements, dans d’autres régions afin d’obtenir une vision complète des monuments aux Morts en France.