Comment et pourquoi le chrononyme Restauration s’est-il imposé après la Révolution et l’Empire ? Et les Années folles, le furent-elles partout ? Et l’Âge d’argent russe ? L’équipe réunie sous la direction de Dominique Kalifa, habitué à ces sentiers temporels (La véritable histoire de la Belle époque, 2017), frappe fort avec cet ouvrage que tout professeur.e d’histoire-géographie se doit de lire. En particulier, les collègues qui enseignent en classe de première et de terminale trouveront énormément de matière, tant au niveau historiographique qu’à celui des divers acteurs de ces séquences chronologiques de l’histoire contemporaine. Rappelons par ailleurs que les nouveaux programmes de seconde insistent d’emblée sur ces problématiques.

Petits noms mais grandes époques

Les quatorze contributions proposent chacune environ vingt pages et présentent une évidente homogénéité scientifique. Retenons également qu’elles se penchent sur la dimension territoriale des termes analysés, soit leur potentiel transnational. Par exemple, le Printemps des peuples de 1848 porte-t-il les mêmes valeurs dans l’espace germanique et dans l’espace français, et en Europe ? Ou encore, les Années folles convoquent-elles des enjeux identiques aux Etats-Unis et en France ? Ces interrogations, passionnantes en ce qu’elles révèlent certaines dynamiques géopolitiques et culturelles, complètent un arsenal qui va de l’étude étymologique, fouillée comme dans La Restauration de Philippe Boutry, à l’observation chronologique, où l’on découvre des usages et des temporalités mouvantes à l’instar de la Restauration, tout d’abord perçue dans la séquence 1814-1830 puis épaissie à la période 1814-1848, ou du Printemps des Peuples, souvent engoncé dans l’année 1848, alors que des historiens, dont J Lalouette, défendent un bornage allant de 1846 (révoltes de Cracovie) à 1851 (Coup d’Etat de L-N Bonaparte).

Plasticité, faillite ou succès ?

Enfin, le sens véhiculé par les chrononymes au sein d’un même espace laisse apparaître une plasticité et des captations idéologiques parfois stupéfiantes. L’exemple du Risorgimento développé par Carlotta Sorba, que récupèrent les Chemises noires fascistes en 1932, avant que le mouvement de libération nationale ne l’érige en mythe fondateur de l’antifascisme signale l’ambivalence de cette grande époque du roman national transalpin. Cette ambivalence est renforcée ces dernières années par l’émergence de contre-récits risorgimentaux. Ainsi, en 2017, le conseil régional des Pouilles approuve une journée officielle de commémoration en l’honneur des victimes du Risorgimento. Le temps génère donc des noms d’époque, les travaille jusqu’à les tordre, témoignant de l’évolution des idées. De leur succès ou de leur faillite.

L’ère des post-

Et que dire du temps présent? Le XXè siècle fût, selon Eric Hobsbawm, l’Âge des extrêmes. Peut-être. Depuis la fin de ce siècle, l’ère des post semble l’emporter avec en têtes de gondole le post-modernisme, le post-communisme, le post-colonialisme, jalons d’une instabilité devenue planétaire ? Finalement, la généralisation de ce préfixe fait écrire à D Kalifa dans l’éclairant épilogue «on ne dit pas à quoi on adhère, mais à quoi on succède» (p343). Ce passionnant élargissement de la réflexion sur les dénominations périodiques qui invite très justement anciens – Marc Bloch, Lucien Febvre – et modernes – Krzysztof Pomyan, Patrick Modiano – rappelle que l’histoire fait sens, au pluriel, à la fois dans sa complexité et dans ses lectures plurielles.