Ce deuxième ouvrage de Pascal Picq dans la collection « expliqué à… », au Seuil, fait suite à celui consacré à Darwin et au concept d’évolution PICQ Pascal, Darwin et l’évolution expliqués à nos petits-enfants, Le Seuil, janvier 2009, 155 pages.publié en 2009 pour l’année anniversaire de sa naissance et de la parution de son maître ouvrage, l’origine des espèces au moyen de la sélection naturelle.
Pascal Picq, célèbre paléoanthropologue français ayant travaillé aux côté d’Yves Coppens au Collège de France, est très attaché à la diffusion des nouvelles connaissances scientifiques auprès d’un large public.
Cet ouvrage, comme le premier, lui permet d’une part de faire le point sur les connaissances scientifiques sur les origines de l’homme, d’insister d’autre part sur les progrès récents de la génétique, de la linguistique et de l’éthologie des grands singe dans le but avoué, enfin, de combattre les idées reçues et tenaces quant aux rapports entre l’homme et les grands singes ainsi que de la place de l’homme sur Terre.
Le propos de Pascal Picq s’organise en deux grandes parties, la quête des origines de l’homme à travers la recherche du dernier ancêtre commun Le dernier ancêtre commun entre la lignée des chimpanzés et des hommes. (DAC). et l’évolution de la lignée humaine à partir de ce DAC.
Hommes et grands singes, une histoire de famille… difficile à accepter…
Dans un premier temps, Pascal Picq s’attache à replacer l’homme dans l’évolution des espèces, c’est-à-dire auprès des grands singes africains. Ainsi il part de l’idée reçue que « l’homme descend du singe » pour dénoncer l’échelle naturelle des espèces faisant aboutir, inéluctablement, les espèces archaïques (les singes en l’occurrence), à une espèce évoluée, l’homme. A l’aide de la systématique phylogénétique La systématique phylogénétique classe les espèces selon leurs relations de parenté. , Pascal Picq explique que l’homme possède des caractères anatomiques (dents, os, organes, molécules sanguines) qui permettent de le classer aux côtés des grands singes d’Afrique et plus particulièrement des chimpanzés et des gorilles. L’homme n’est donc plus la seule espèce parmi le groupe des hominoïdes mais doit laisser de la place aux chimpanzés, grands singes les plus proches ainsi qu’aux gorilles.
Cette révolution dans la classification des espèces, esquissée en partie par Darwin, implique alors que les hommes et les chimpanzés ont une relation de parenté et non de descendance et partagent un dernier ancêtre commun…
A la recherche du DAC, les progrès de l’éthologie
La recherche de ce DAC constitue un des horizons scientifiques de la paléoanthropologie actuelle. C’est la conjonction de plusieurs sciences qui permet pas à pas de dessiner les contours du portrait de ce DAC et ainsi de débroussailler les origines de l’homme autour de trois questions : Où est apparu ce DAC ? Quand a-t-il vu le jour ? A quoi ressemblait-il ?
Tout d’abord, ce DAC est africain, comme le supposait déjà Darwin en 1871, car les chimpanzés ne sont pas sortis d’Afrique.
Ensuite, les progrès de la génétique ont permis d’attribuer un âge à ce DAC, c’est-à-dire de dater la séparation des lignées des hommes et des chimpanzés en Afrique. La fourchette actuellement retenue se situe entre 5 et 10 millions avec une préférence pour 5 et 7 millions d’années.
Enfin, le développement récent, dans les années 1950, de l’éthologie des grands singes permet de préciser peu à peu l’identité de ce DAC, rassemblant en lui des caractères propres aux chimpanzés, aux hommes, mais n’étant ni homme, ni chimpanzé.
Darwin avait également pressenti que l’intérêt à porter aux grands singes était une des clés pour comprendre d’où vient l’homme.
Grâce à l’éthologie des grands singes africains, Pascal Picq s’attèle à démonter les idées reçues sur la spécificité de l’espèce humaine en démontrant les similitudes comportementales entre les grands singes et le genre humain.
Il en va ainsi de l’idée que l’outil soit uniquement l’apanage de l’homme alors que les chimpanzés en utilisent également, l’idée de culture, ensuite, peut tout à fait s’appliquer aux comportements des grands singes. Même le langage et l’expression de sentiments ne sont pas le propre de l’homme d’après les expériences menées sur des chimpanzés actuels, depuis ces cinquante dernières années.
Les avancées de l’éthologie ont donc fait tomber un à un les bastions de ce qu’ont croyait être le propre de l’homme : l’outil, le langage, le gros cerveau et surtout la bipédie…
A la recherche du DAC, les progrès de la génétique*
Les récents progrès de la génétique Le séquençage du génome humain a été réalisé en 2003. ont permis de confirmer la proximité entre l’homme et le chimpanzé en démontrant la communauté de gènes entre les deux espèces, 99%, soit 1% de gènes différents.
Les différences, minimes du point de vue de la génétique, entre l’homme et le chimpanzé ne résident pas dans le nombre de gènes, mais dans leurs combinaisons. Il n’y a donc pas de gènes de l’humain, de la bipédie ou du langage, mais une évolution génétique qui a composé des combinaisons génétiques différentes.
Ces combinaisons ont donné lieu au développement de capacités, de potentialités, ce que l’on appelle l’inné. Cependant, ces potentialités ne se réalisent réellement que grâce aux relations avec l’environnement, par l’apprentissage, ce que l’on nomme l’acquis. Ainsi, l’homme naît avec la capacité d’être bipède, mais doit apprendre à l’être. Le chimpanzé peut également être bipède, mais ne possède pas les mêmes capacités en termes de bipédie que l’homme.
L’homme naît avec des aptitudes qu’il convient de développer ; ces aptitudes proviennent d’un héritage de l’évolution, en d’autres termes de combinaisons génétiques, mais qui resteraient à l’état de potentialités si elles n’étaient pas favorisées par l’environnement. Ce sont les interactions entre les gènes et l’environnement qui ont donc différencié, en grande partie, l’homme du chimpanzé.
Orrorin, Toumaï et Ardi, une « african story »
Dans un second temps, Pascal Picq s’attache à retracer les évolutions de la lignée humaine en convoquant les plus récentes découvertes de la paléoanthropologie.
Ces fossiles aux différences anatomiques marquées sont datés entre 7 et 5,5 millions d’années et sont tous africains. Cependant ces fossiles restent inclassables car possédant des caractères anatomiques proches des chimpanzés et des hommes. Mais Pascal Picq reste persuadé d’une chose, ils avaient tous une aptitude à la bipédie, une bipédie différenciée, certes, mais une bipédie quand même. Cette thèse de Pascal Picq est importante car elle remet totalement en cause les origines de l’homme que l’on a longtemps cherché dans les savanes africaines et il faudrait alors regarder vers le monde de la forêt où vivaient ces premiers fossiles plus ou moins bipèdes.
Enfin, si les origines de l’homme sont africaines, on ne sait plus si elles se situent à l’est ou à l’ouest car la découverte de Toumaï en 2003 à l’ouest du Rift africain a remis en cause le modèle de « l’East Side Story » d’Yves Coppens.
Les australopithèques, une « puzzle story »
Les australopithèques ont peuplé l’Afrique entre 4 et 3 millions d’années. Leur anatomie est dite « en mosaïque » car elle comporte des éléments ressemblant à ceux des chimpanzés actuels (longs pieds, articulation du genou lâche, membres inférieurs courts…) et aux hommes (bassin court et large, col du fémur).
Cette anatomie en puzzle correspond au mode de vie des australopithèques évoluant dans un milieu en mosaïque constitué de forêts et de savanes plus ou moins arborées. Ainsi leur mode de locomotion était pluriel entre le déplacement dans les arbres et une bipédie chaloupée.
Ces australopithèques évoluent vers une forme plus robuste surnommés les paranthropes, autour de 2,5 et 1 millions d’années et sont contemporains des premiers hommes.
Les premiers pas du genre Homo et les premiers outils en pierre taillée
Un premier fossile, retrouvé en 1964, constitué d’une face moins robuste, d’un plus gros cerveau et de mains plus fines a consacré une nouvelle espèce, Homo habilis. Accompagné des premiers outils en pierre taillée, il devient le premier représentant du genre homo, mais les doutes persistent sur l’inventeur de la pierre taillée, habilis ou paranthropes ?
L’utilisation de la pierre taillée permet alors la diversification du régime alimentaire ainsi qu’une organisation sociale plus complexe, l’apport en protéines animales a pu jouer un rôle dans le développement anatomique des premiers hommes.
La spéciation géographique et l’émergence d’Homo Ergaster
Entre 1,9 et 1,5 millions d’années, après une dérive génétique d’Habilis, liée à une séparation géographique d’une partie de la population, Homo Ergaster serait peu à peu apparu à l’est de l’Afrique.
Ergaster se caractérise par sa grande taille et son squelette locomoteur performant très proche du nôtre lui permettant ainsi de longues escapades pouvant le mener jusqu’en Géorgie où un fossile daté de 1,7 million d’années a été retrouvé.
Ergaster se caractérise également par un cerveau plus important et des dispositions anatomiques lui permettant le langage articulé.
Il est en outre l’inventeur du biface, utilise le feu et construit des abris.
Ergaster est un superprédateur et son gros cerveau suppose des organisations sociales plus complexes.
Enfin, Ergaster est l’espèce Homo qui opère la première sortie d’Afrique entre 1,6 et 0,6 millions d’années. Les premières traces du genre Homo en Europe remonteraient à 1,3 millions d’années.
Une humanité, deux espèces d’hommes, une concurrence, Neandertal et Cro-Magnon
Après 600 000 ans, d’Homo Ergaster émerge plusieurs espèces et notamment Neandertal au Nord et Sapiens au Sud. Ils sont contemporains entre 100 000 ans et 50 000 ans Une faute de frappe s’est glissée page 148, il faut lire entre 100 000 ans et 50 000 ans et non entre 10 000 ans et 50 000 ans. .
Neandertal possède une morphologie plus râblée avec un gros thorax et des membres plus courts afin de limiter la perte de chaleur en Europe glaciaire. Neandertal chasse de grandes proies, utilisent des percuteurs et enterrent ses morts.
Poussé au Sud par le froid, il est amené à rencontrer Sapiens aux environs du Moyen-Orient ; ils ont presque tout en commun (chasse, abris, outils, sépulture…) mais ils sont génétiquement différents On ne retrouve aucune trace d’ADN de Neandertal dans le nôtre, celui de Sapiens. et ne peuvent alors se reproduire.
On retrouve des traces d’Homo Sapiens en dehors d’Afrique aux environs de 200 000 ans, au Moyen-Orient. L’Australie est conquise vers 50 000 ans grâce à une navigation par-delà l’horizon. Sapiens arrive en Europe vers 60 000 ans, on le surnomme Cro-Magnon. La concurrence entre les deux espèces tourne à l’avantage de Cro-Magnon et Neandertal s’éteint ainsi entre 30 000 et 25 000 ans.
Homo sapiens continue de parcourir la Terre et se retrouve en Amérique vers 30 000 ans.
Pascal Picq conclut son ouvrage en abordant la notion d’art et de civilisation chez Cro-Magnon en soulignant son inventivité dans ce domaine. Les grottes, sépultures et objets ont entrouvert la porte du monde invisible des Cro-Magnon, les croyances, symboles et modes de vie.
Dans un langage clair et d’une grande rigueur, faisant une large place à l’humour ainsi qu’aux réflexions caustiques, Pascal Picq nous expose dans un récit précis et vivant, sans concessions faites à la connaissance scientifique, les origines de l’homme. L’économie et la sobriété de la collection sont peut être dommageables pour des ouvrages destinés aux enfants et qui ne comportent aucune illustration (crânes, squelettes, arbres phylogénétiques). Au travers de ce récit des origines, Pascal Picq souhaite également présenter une certaine vision de la science faite de pluridisciplinarité et de réfutabilité. C’est enfin une certaine vision de l’homme qui émane du propos de Pascal Picq, une humanité consciente et responsable de son destin qui sait d’où elle vient et qui a pris la mesure de l’improbabilité et de la fragilité de son existence…