Cet ouvrage constitue une lecture rafraîchissante pour nos cours. Parmi les nombreux sujets qu’il aborde, on relève la question de l’aménagement des littoraux, celle de la gestion de l’eau, la croissance et l’étalement urbain, le développement durable, la question de l’énergie ou celle des transports. Le livre, qui est tout sauf ennuyeux, paraît en même temps que l’ouvrage de Fernand VergerFernand Verger, Zones humides du littoral français : estuaires, deltas, marais et lagunes, Belin, 2009 sur les zones humides signalé sur France Culture, dans l’émission Planète du 10 février 2010. Il faut par ailleurs rappeler que la Convention internationale de Ramsar sur les zones humides (1971) a été actualisée, en novembre 2008 par la Déclaration de Changwon sur le bien-être humain et les zones humides. Ce livre était probablement sous presse à ce moment. Sans doute n’est-il pas inutile de rappeler que pour la région Pays de Loire, les zones humides classées Ramsar sont la Grande Brière (1995), les Basses Vallées angevines (1995), les Marais salants de Guérande et du Més (1995) et le Lac de Grand-Lieu (1995). La Grande Brière est également un parc naturel régional (PNR). On peut classer le présent ouvrage dans « environnement » comme dans l’étude de la France ou celle des littoraux.

Le fruit transdisciplinaire d’un projet éditorial pluridisciplinaire destiné aux acteurs géographiques

L’ouvrage est né de travaux entrepris de façon autonome par différentes disciplines universitaires des campus nantais. Le développement, dans ces disciplines, de travaux consacrés à l’estuaire de la Loire a conduit, dans le cadre de la mise en place de la réforme Licence-Master-Doctorat (LMD) à réunir des chercheurs d’horizons divers autour des deux noyaux constitués localement par le master en « Économie et gestion du développement durable » et le master professionnel de géographie « Développement durable, conflits d’usage et gestion intégrée des zones côtières (GIZC) ». Ce travail est fondé sur le mot d’ordre des Agendas 21 locaux « penser globalement et agir localement ». Malgré quelques atermoiements, l’ouvrage a fini par réunir une vingtaine de chercheurs venus du droit, de la géographie, de l’économie et de la sociologie autour de l’économiste Laure Desprès, qui coordonne l’ensemble. Plurisdisciplinaire par la distribution des auteurs, ce livre est largement transdisciplinaire dans sa conception.

Nantes, métropole dynamique, est née de l’estuaire et se situe au cœur d’un système fragile et précieux. L’estuaire est dans une situation intermédiaire entre celui de la Seine, particulièrement pollué, et celui de la Gironde qui, malgré sa vulnérabilité devant les pollutions, est confronté à des activités moins intenses que l’estuaire ligérien. C’est en partant d’un contexte mondial qui est celui de la raréfaction des ressources ou des bouleversements que sont le réchauffement, la pollution ou le démantèlement de la PAC, que l’équipe des auteurs propose d’analyser comment les problèmes se posent à l’échelle locale, toujours reliée au global. On constate le soin d’articuler les échelles et de situer le local dans un contexte mondial.

La multiplicité des acteurs et des problèmes

Parmi les premiers problèmes qui se posent, il faut signaler que le Schéma de cohérence du territoire (SCOT) de Nantes ne couvre pas tout l’estuaire. Ainsi, la rive sud de la Loire est liée au SCOT du Pays de Retz. Au Nord, Guérande, le Croizic, la Baule se regroupent avec d’autres communes dans la communauté du Cap-Atlantique. L’estuaire entre dans le champ d’intervention de deux Schémas d’aménagement et de gestion de l’eau (SAGE mis en place par la Loi sur l’eau de 1992). Il s’inscrit toutefois dans un contexte qui est celui du Grand Ouest, marqué par une coopération relativement bonne entre les différentes collectivités, notamment l’Association communautaire de l’estuaire de la Loire (ACEL – 1985), la Communauté d’agglomération de la région nazairienne et de l’estuaire (CARENE), Nantes métropole, etc. Cette bonne coopération a conduit à des mesures que les auteurs jugent encore timides, notamment celles qui visent à limiter l’étalement de l’aire urbaine nantaise.

A l’est de Montoir de Bretagne, la question de l’extension portuaire de Donges-Est figure en bonne place, même si son importance n’est pas celle qu’on souligne parfois dans nos manuels. Il est également question du troisième franchissement de la Loire entre Nantes et Saint-Nazaire, après le pont de Saint-Nazaire (1974) ou de la construction de l’aéroport de Notre-Dame des Landes, à l’opposé du principe du Grenelle de l’environnement. Pour toutes ces questions et pour beaucoup d’autres, l’équipe des auteurs relève les carences d’une étude publique conduite en 2002 et abordant l’extension de Donges-Est, les services d’épuration, la pollution ou la production halieutique. Les contraintes environnementales n’étaient pas intégrées à ce travail. Sans prétendre réfléchir à la place des citoyens, le présent ouvrage propose d’informer les différents acteurs. Il ne s’agit pas cependant de proposer un projet clef en main mais plutôt de fournir les outils nécessaires. L’un des constats les plus évidents ayant préludé à cet ouvrage est dans la difficulté de gouvernance qui caractérise un écosystème estuarien dont la conscience des habitants peine à comprendre l’unité. Après avoir défini dans une première partie ce qu’est l’estuaire de la Loire, présenté dans son articulation avec le concept de développement durable, l’ouvrage se propose d’étudier les différentes pressions anthropiques caractérisant cet espace. Il s’intéresse dans une troisième partie aux réponses en cours actuellement et propose de nouvelles pistes dans la quatrième et dernière partie.

Définir ce qu’est l’estuaire de la Loire

La définition par Loic Ménanteau (géographe) de l’estuaire de la Loire précède les regards croisés de Philippe Tessier (économiste) et Jacques Guillaume (géographe). Cette partie témoigne des différences d’approches disciplinaires qui ont été surmontées. Il est d’ailleurs amusant que les géographes, non sans emprunter à l’histoire, rappellent aux juristes que ce qu’ils voient comme un espace naturel est un espace construit (ce qu’illustre p. 257 la photo de l’îlot de Bilho). Patrick le Louarn (juriste) s’intéresse quant à lui à la difficile définition juridique de l’estuaire. Par ailleurs, il est très clair que l’unité du système de l’estuaire ne correspond à aucune équivalence dans l’espace perçu, aucune espèce de solidarité territoriale, même si les acteurs politiques essaient de susciter cette solidarité d’appartenance via des activités de loisirs pédestres ou cyclistes. Ainsi, Stéphane Guyard (sociologue), montre que la démarche de réintroduction des vaches nantaises dans cet espace se heurte à deux identités : celle de la rive nord, plutôt bretonne, et celle de la rive sud, plus proche de l’identité vendéenne. Cette partie de l’ouvrage met donc en évidence un estuaire très mal identifié par ses habitants et qui fait ou doit faire l’objet de politiques bien identifiées comme le souligne André-Hubert Mesnard (juriste).

Une nature fragile confrontée à une activité humaine en forte croissance

Cette seconde partie interroge les différents types d’impact dans le contexte de la littoralisation. Elle démarre avec la question de la pression démographique, confrontée à un processus de vieillissement qui va de pair avec l’amélioration des revenus des habitants concernés (Christine-Barnet-Verzat, Henry Noguès, économistes). La population progresse davantage sur la rive sud que sur la rive nord où les espaces ruraux ont tendance à stagner. L’étude du SCOT de la métropole Nantes-Saint-Nazaire (Jean-François Struillou, juriste) et celle des dynamiques centripètes et centrifuges de la région nantaise (Laurent Devisme, sociologue, École supérieure d’architecture) permettent entre autres de souligner les ambiguïtés du discours des acteurs dénonçant un étalement urbain qui n’a cessé de se développer. J.-F Struillou s’interroge par ailleurs sur la normativité du SCOT dont il souligne la dimension pédagogique. Jacques Guillaume (géographe) pose le problème de l’avenir du pôle industriel et portuaire de l’estuaire, insuffisamment diversifié. Il relève le décalage entre certaines entreprises générant peu de trafic pour un nombre d’emplois importants et celles qui portent le trafic avec un nombre d’emplois moins significatif. Dans le premier cas, les Forges de Basse-Loire, aujourd’hui intégrées à Arcelor-Mittal, représentent 750 emplois et un trafic de 410 000 tonnes. Le port leur permet d’accéder aux marchés atlantique et méditerranéen. L’exemple des chantiers navals est lui aussi développé. Dans le second cas, la filière énergétique pèse d’un poids moins important sur l’emploi régional mais reste fondamentale pour l’activité portuaire. La filière est représentée entre autres par la raffinerie de Donges, confrontée au développement des méthaniers (dont on sait que le fort tirant d’air demande des installations importantes) dans un contexte de croissance des trafics de Gaz naturel liquéfié (GNL). Soucieux d’éviter d’opposer de façon manichéenne le développement économique à l’environnement, Jacques Guillaume souligne au contraire les synergies à l’œuvre. Cette opposition potentielle entre l’écologique et l’économique revient dans la contribution consacrée au conflit portuaire autour de l’extension de Donges-Est qui, officiellement, n’est pas abandonnée (Patrice Guillotreau, Laure Desprès, économistes, Claire Choblet, géographe). La question de la pêche ligérienne clôt cette seconde partie en interrogeant la façon dont s’articule le contact entre eaux fluviales et maritimes, développement de la vie animale et végétale et activités humaines dans le contexte régional et national (Yves Perraudeau, économiste). Les auteurs reconnaissent dans la conclusion de cette partie ne pas avoir pu intégrer d’analyse phytosanitaire. C’est effectivement dommage dans un contexte marqué, plus au nord (on songe aux Côtes d’Armor), par l’empoisonnement de la terre et de l’eau et par la difficulté d’arbitrer les conflits d’usages sans mettre fin à des activités économiques vitales. Sans doute l’estuaire de la Loire n’est-il pas dans la situation extrême des Côtes d’Armor ou des deux DROM des Antilles.

Les réponses aux problèmes

C’est le thème de la 3e partie de l’ouvrage, qui souligne les dispositifs de zonage de protection et le développement d’un soutien public à une économie non rentable à court terme. Les dispositifs de zonages sont étudiés par les géographes Céline Chadenas, Loïc Ménanteau, Laurent Pourinet et le juriste Jean-François Struillou. Ils sont illustrés par une série de planches en couleur. Les trois géographes questionnent ensuite la place du patrimoine naturel dans les documents locaux de planification urbaine s’intéressant aux communes situées au cœur de l’estuaire. Le juriste Luc Bodiguel consacre sa contribution à l’expérimentation locale de Natura 2000 considérée comme un nouveau type de gouvernance locale. Laurent Pourinet, Céline Chadenas (géographes) et Chantal Deniaux (Chambre d’agriculture) abordent l’agriculture et les mesures agro-environnementales (MAE) dans une zone de 4600 hectares entre Pellerin et Paimbœuf, sur la rive gauche. On y constate contre tout stéréotype, la prise en compte croissante de l’élément environnemental par les agriculteurs (mais la Chambre d’agriculture bretonne et les responsables de la filière porcine bretonne affirment à juste titre la même chose dans les Côtes d’Armor sans résoudre les problèmes d’eutrophisation). L’économiste Pascal Glémain clôt cette partie sur l’étude des rapports entre économie marchande et publique, et économie sociale et solidaire dans le cadre de la gestion des déchets de la zone estuarienne.

A la recherche de nouvelles pistes

Ces nouvelles pistes paraissent fondamentales face à l’argument d’une pseudo-évidence économique qui postule la nocivité économique du développement durable ou l’inutilité des zones humides et des oiseaux ; face aussi à ceux qui prétendent faire vivre toute l’humanité dans un écrin préservé de tout impératif économique, au milieu des fleurs et des oiseaux. Dorothée Brécard (économiste) confronte le calcul économique au développement durable en revenant sur le Port autonome de Nantes-Saint-Nazaire à Donges. Elle repose la question de la gratuité des richesses naturelles, qui favorise la pollution, et celle du report des coûts publics des pollutions industrielles sur les entreprises confrontées aujourd’hui au droit à polluer. Face à la question souvent mal comprise de l’utilité des zones humides, les géographes Claire Choblet et Masha Maslianskaia-Pautrel proposent une liste de fonctions et des méthodes de quantification de l’utilité économique de ces zones, par exemple à travers le coût de transport vers ces zones des citadins en quête de loisirs. Elles proposent également d’évaluer les fonctions d’habitat pour les poissons et d’épuration exercées par les zones humides, notamment dans le SAGE « Estuaire de la Loire » dont 14 % de l’espace est constitué de zones humides. Cette fonction d’épuration d’une partie des effluents par les zones humides est confrontée à son équivalent en coût de remplacement dans l’hypothèse d’une disparition des zones. A partir de quelques expériences locales, Laure Desprès, Agnès Pouillaude, Corinne Bagoulla, Philippe Tessier, Arnaud du Crest (économistes), Céline Chadenas, Hallie Thompson et Patrick Pottier (géographes) proposent eux-aussi des indicateurs de développement durable

Faut-il lire ce livre quand on porte un intérêt limité à la région Pays de Loire, à la question des estuaires ou à celle des zones humides ?

A priori, les deux grandes difficultés d’un tel ouvrage étaient une part dans son caractère collectif et d’autre part dans la pluridisciplinarité des contributeurs. Les ouvrages collectifs sont trop souvent de simples compilations où le travail éditorial a fait l’économie de réunions chronophages marquées par la déperdition des énergies. Dans le cas présent, les deux écueils paraissent avoir été évités. Sans doute parce que les auteurs sont tous impliqués dans un espace universitaire restreint, plus favorable à un travail éditorial collectif. L’ouvrage est par ailleurs marqué dans chacune des parties et des sous-parties par la volonté d’articuler chaque élément au tout. Certains chapitres ont d’ailleurs pu être retouchés à la lecture des autres contributions, ce qui est la marque d’un grand souci pédagogique. Ici, les auteurs, confrontés au regard d’autres disciplines, ont tendance à éviter l’ésotérisme d’un jargon disciplinaire abscons. Tant mieux. Agrémenté d’un encart de planches cartographiques et de photographies en couleurs, proposant de nombreux tableaux et graphiques, cet ouvrage présente donc des qualités rares et n’est jamais ennuyeux. Le fait qu’il soit écrit pour l’ensemble des acteurs, citoyens inclus, le dote de qualités pédagogiques certaines. On n’y trouve pas ce défaut classique qui consiste à procéder par allusion à ce que tout le monde est censé savoir. Tout y est défini et expliqué, y compris le développement durable. L’articulation entre local et global est sans cesse rappelée.

Faut-il lire ce livre quand on porte un intérêt limité à la région Pays de Loire, à la question des estuaires ou à celle des zones humides ? La réponse est oui (la preuve) tant il est vrai que l’ouvrage est riche en possibilités d’exploitations en classe. Il est clair qu’il ne pourra pas être réutilisé tel quel. Des extraits de textes, des tableaux, des graphiques, la cartographie simplifiée des zones protégées peuvent être utilisés en classe, dans une étude de cas. Celle-ci peut porter sur les littoraux en seconde, ce qui était déjà le cas de celle qui était proposée par le manuel Bréal de seconde (2005) sur le littoral de Lorient à Noirmoutier. Même en 6e (Habiter la ville, habiter les littoraux), la connaissance approfondie d’un cas particulier peut permettre de trouver les mots et la démarche pédagogique autorisant une transposition auprès de très jeunes élèves. Dans le cadre de l’étude de la France en 4e (Aménagement du territoire), en 3e (Conséquence des mutations économiques) ou surtout en première (Des milieux entre nature et société), l’une des pierres d’achoppement de l’ouvrage lors des premiers contacts entre juristes et géographes (milieux naturels ou construits), peut être fondée sur la photographie couleur du banc de Bilho (Claire Chadenas, p. 257). Cet îlot artificiel, constitué par le dépôt de sable et de vases issus du dragage du chenal de Loire entre 1979 et 1981 est aujourd’hui intégré à la Zone de protection spéciale (ZPS) « Estuaire de la Loire » et à la zone Natura 2000 du même nom. Elle est en effet reconnue comme un site d’importance pour la reproduction des oiseaux. Or, il s’agit bien du fruit de l’action anthropique.

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