Maîtres de conférences à l’université Paris 7-Diderot, Marianne Morange et Camille Schmoll (avec la collaboration d’Etienne Toureille sur un chapitre) proposent avec cet ouvrage une démarche complète (de la formulation du sujet et de la problématique à la présentation des résultats en passant par le traitement et l’analyse des données) de méthodologieComme le rappelle Alex Muchielli (2004), « une méthode est une stratégie associée à des techniques pour comprendre et expliquer un phénomène ». de recherche en géographie.

Importés d’autres sciences sociales mais devenant spécifiques du fait du caractère non transposable du terrain, les outils qualitatifs sont convoqués lorsque les questionnements sont difficilement mesurables (pratiques, sensations, émotions, relations, perceptions, représentations…) ou lorsque les sources manquent.

La démarche est séduisante car elle permet, entre autres, un réajustement régulier entre théorique et empirique, une prise en compte des subjectivités des individus et des rôles d’acteurs mais bénéficie de l’apport croisé entre enquêteur et enquêté. On appréciera d’emblée les précautions prises pour soulever les questions d’éthique qui traversent le processus de recherche : l’utopique neutralité des données et des points de vue, la réciprocité non symétrique des investissements de chacun.

Et si l’enquête qualitative répond plutôt à la question « Comment » en travaillant sur les moyens et que l’enquête quantitative cherche plutôt le « Pourquoi » et la causalité, la complémentarité entre les deux approches peut tout à fait s’envisager : le qualitatif peut confirmer du quantitatif difficile à interpréter et il est tout à fait possible de traiter quantitativement des données constituées qualitativement.

Après cette présentation générale, l’ouvrage se structure en chapitres répondant à la logique chronologique de l’enquête.

Le déroulé de l’enquête nécessite une grande adaptabilité (accepter des « plans B »), un dosage entre procédés individuels et collectifs, de bien différencier thématique et problématique, de prendre des contacts avec des interlocuteurs clés, de bien délimiter son terrain sans s’enfermer dans la seule échelle locale (terrain pouvant d’ailleurs se refermer : contexte géopolitique devant complexe, informaticien faisant défaut…), de tenir compte des temporalités (civiles mais spécifiques à l’enquêteur devant se ménager des temps de pauses et de respiration) jusqu’au point où le terrain ne semble plus rien nous apporter de neuf.

Ensuite, l’observation, utile et séduisante, doit s’appuyer sur d’autres méthodes pour éviter la surinterprétation par l’espace par rapport à ce qui est non visible. Si les espaces publics, libres, anonymes, sont faciles à appréhender en premier lieu, ils ne peuvent suffire. Les autres sens que la vue interviennent. On peut parler d’observation flottante, participante, non participante…et un conseil, notez tant que c’est frais !

L’entretien vient ensuite : en groupe, dynamique, en interaction, en ateliers, il peut rayonner par « boule de neige » pour se constituer un réseau de personnes à interviewer. La marche exploratoire ou le parcours commenté sont particulièrement adaptés à la géographie, notamment les thèmes liés à l’aménagement du territoireVoir la thèse de Juan Torres (2008) « La recherche par le projet d’aménagement : comprendre le vélo chez les enfants à travers les projets Grandir en Ville de Montréal et Guadalajara »..

La carte mentale fait l’objet d’un développement spécifique. Objet de psychologie comportementaliste récupéré par les géographes qui y ont intégré une dimension sociale, la carte mentale n’est pas vraiment une carte stricto-censu et ne doit pas être détachée de son contexte et de son auteur. Ses fonctions comme le rappelait Jean-Pierre Paulet en 2002, sont d’évaluer des distances, des préférences et des opinions et le degré de connaissance d’un phénomène spatial. La carte mentale peut se travailler selon différentes approches : des représentations libres (mais il faut du corpus), des cartes interprétatives (avec un fond de carte plus large, donné aux enquêtés, pour cerner des limites), des schémas conceptuels. Il est intéressant de noter qu’il est précisé que des alternatives existent lorsque le geste graphique n’est pas maîtrisé : parcours iconographiques ou jeu avec objets pour le cas des enfantsVoir Depeau S et Ramadier T (2010), »Approche méthodologique (JRS) et développementale de la représentation de l’espace urbain quotidien de l’enfant », in Danic I, David O, Depeau S (dir), Enfants et jeunes dans les espaces du quotidien, Rennes, PUR, pp 61-74..

Le traitement correspond à l’utilisation des données : tableaux, croquis et organigrammes sont ici précieux pour saisir les interactions et les relations. Il faut là accepter l’idée d’un certain « déchet » du matériau recueilli. L’interprétation peut mobiliser des logiciels spécifiques pour analyse textuellement des contenus mais la finesse du jeu des hésitations, de la fragmentation des paroles ne peuvent pas être passées au crible de l’analyse lexicographique (exemple de la forte polysémie du terme « concertation » pp 156-157).

Enfin, c’est un chapitre sur le rendu, l’écriture et la présentation des résultats qui vient clore le propos : la soumission de son travail au regard de l’autre peut être source d’angoisse et de procrastination mais il est nécessaire, à un moment donné, de faire la cassure avec son terrain…que l’on va nécessairement déformer. On peut adopter un style déjà un peu adapté (pour monter en généralisation) ou souhaiter rester le plus fidèle au réel. On peut bien entendu croiser les deux styles de présentation. En tous cas, le conseil clé ici est de faire court, simple, clair, d’être très précautionneux avec les tentatives de touches d’humour tant celui-ci n’est pas universel. Il faut faire un point sur « l’état de l’art », la contextualisation, la méthodologie, les résultats, de bien intégrer les citations au texte et bien sûr d’adapter tout ça selon que le rendu se fera à l’université (soutenance) ou dans le cadre de la restitution auprès des populations enquêtés.

En définitive, un très bon ouvrage, limpide et très complet (des exercices de mises en situation agrémentent l’ensemble), sur ces outils finalement fortement mobilisés par les géographes à en croire la riche (et très récente !) bibliographie mobilisée. Il manquait donc une synthèse qui viendra agrémenter les colonnes de la rubrique méthodologie de la Cliothèque et à qui on souhaitera de rencontrer un important lectorat.