Ce nouvel ouvrage de Joël Cornette arrive à point nommé. En effet, cette année 2022 est marquée par l’élection d’un (nouveau) « monarque républicain » doté de l’onction du suffrage universel et par une nouvelle question au CAPES d’histoire-géographie pour la session prochaine qui s’intitulera «La construction de l’État monarchique en France de 1380 à 1715 ». Dans un style clair et percutant, l’auteur nous propose ici une magistrale mise au point scientifique ainsi qu’un kaléidoscope passionnant de l’absolutisme français de 1515 à 1715.

Joël Cornette, professeur émérite à l’université Paris 8-Vincennes, est l’auteur bien connu de nombreux ouvrages sur la France d’Ancien Régime et plus particulièrement sur la construction de l’absolutisme français dont L’affirmation de l’État absolu, Absolutisme et Lumières et Versailles, le pouvoir de la pierre. Il fait partie du comité scientifique de la revue L’Histoire qui est le partenaire de cette publication aux éditions Tallandier.

Dans l’avant-propos, Joël Cornette revient sur cette monarchie française, marquée une tradition absolutiste, qui singularise l’histoire de France. Cette « obsession française » s’est affirmée très tôt puis s’est construite progressivement tout au long des XVIe et XVIIe s. Le ressourcement du pouvoir royal s’est fait dans la quasi-immobilité grâce à un système d’archaïsme sacré dont la cérémonie du sacre est la pièce maîtresse. L’auteur développe ici le « rituel de Reims » qui apporte le surcroît de légitimité au monarque français. Le roi, s’il reste un laïc, détient désormais un pouvoir divin qui justifie la plénitude de l’autorité royale. Cette description de la cérémonie nous fait comprendre que, plus que tout autre cérémonial d’État, le sacre est un élément essentiel d’une véritable religion royale au service d’un pouvoir absolu.

Le livre de se décline ensuite en deux parties :

– une introduction, texte original rédigé à l’occasion de cette publication, qui parcourt deux siècles de construction et de déconstruction du roi absolu.

– une mosaïque d’articles rédigés par l’auteur pour le magazine L’Histoire qui sont en partie réactualisés et qui dessinent l’image de l’État royal de la Renaissance aux Lumières.

L’ouvrage se termine par des notes succinctes mais intéressantes, des repères chronologiques et par une bibliographie indicative.

 

L’introduction

Dès le Moyen-Age et les règnes de Philippe Auguste à Louis XI en passant par Philippe le Bel ou Louis IX, la tentation et l’affirmation de l’absolutisme ont été inhérentes au principe monarchique. Pour la période qui nous intéresse, Joël Cornette distingue plusieurs temporalités marquées par l’alternance de périodes d’autorité renforcée et de séquences de crises intenses.

Le premier absolutisme de 1515 à 1562

Les images, les peintures, les cérémonies, les textes, les poèmes mettent en place une véritable publicité royale. Aussi, l’appareil d’État s’affermit. Par exemple, le Conseil du roi, dans un système au départ mouvant et peu formalisé, devient un élément central de l’administration du royaume. Il se compose de grands féodaux et de conseillers spécialistes puis de véritables secrétaires d’État et ministres. Enfin, la multiplication des présidiaux et des charges royales permettent au monarque d’amoindrir la puissance judiciaire des Parlements et de s’attacher la fidélité de familles qui voient dans l’État royal le meilleur moyen de réussir. Afin de nuancer ce tableau, Joël Cornette n’oublie pas de citer Montaigne pour qui les provinces du royaume restent encore bien éloignées de la Cour et des décisions royales.

Le temps des guerres de Religion de 1562 à 1598 (voire 1629 avec la paix d’Alès)

Durant les huit guerres, s’affrontent deux conceptions antagonistes de la monarchie : d’un côté les partisans de l’absolutisme royal, de l’autre les ligueurs et les protestants. Par exemple, les ligueurs sont l’envers de l’État absolu. Ils revendiquent l’élection du roi, le choix des ministres, le vote des impôts et militent pour l’indépendance des villes. Ils souhaitent le triomphe du pouvoir local sur le pouvoir central. Ligueurs et protestants demandent en fait la mise place d’une monarchie tempérée par des organismes de représentation de la société (états généraux, états provinciaux, villes, …) afin de constituer un contrepoids à la seule souveraineté royale. Durant ces troubles, l’« iconoclasme royal » s’affirme en riposte au processus de sacralité du roi : multiplication des pamphlets, destruction du tombeau de Louis XI en 1562, imaginaire de la « reine noire » à propos de Catherine de Médicis, développement des thèses « monarchomaques » allant jusqu’à justifier le tyrannicide aussi bien du côté ligueur que protestant (« le vilain Hérodes », anagramme d’Henri de Valois »). Dans ce contexte, Henri IV, dont la succession dynastique pose problème à certains, va réussir à affirmer sa légitimé religieuse et à instaurer la monarchie bourbonienne par de multiples moyens : sacre, victoires militaires, traités avec les villes ligueuses, reconstruction économique, … Avec Henri IV, on assiste à la fabrication d’un roi par l’image grâce à toute une iconographie royale (estampes, gravures, tableaux, …) : roi de guerre, roi de justice, roi élu de Dieu, … Ici, Joël Cornette revient sur le célèbre blanc henricien qui devient élément d’identification et de légitimation.

La monarchie du Grand Siècle

A partir de là dans l’ouvrage, la guerre devient le fil conducteur qui permet de saisir le renforcement absolutiste du XVIIe s. La guerre, raison d’État par excellence, car elle met en jeu la survie de l’État, ne peut suivre le cours procédurier et la lenteur ordinaire de la justice. Elle sera alors le moteur et l’accélérateur d’une monarchie toujours plus centralisée. Par exemple, Richelieu, à la tête d’un véritable cabinet de presse, fait justifier, au nom de ce bien public, une politique désormais affranchie de tout contrepoids et de tout contrôle. « Née d’une urgence militaire, la conjoncture politique et institutionnelle devenait la structure même de l’État royal dans sa version absolue ».

La période de la Fronde (1648-1653) est une (dernière) résistance « séparatiste » au pouvoir central avant la Révolution de 1789. Les Frondes (parlementaire, nobiliaire, populaire) sont avant tout la conséquence directe des changements violents imposés d’en haut par Louis XIII et Richelieu. Les mouvements de contestations (magistrats, aristocrates, peuples des villes et des campagnes …) vont manquer d’unité de protestation et de continuité d’action. Louis XIV comprend alors la nécessité d’affaiblir les Parlements et de contrôler directement les aristocrates. Ce fut une des raisons de Versailles et de ses rituels. « Les seigneurs malcontents et quelque peu rustres du premier XVIIe siècle furent transformés en serviles courtisans ». Mais cette Cour a aussi contribué « à restaurer ce qui constituait l’essence même des relations rompues par Richelieu entre le roi et sa noblesse » : restauration de la valeur de la noblesse et visibilité royale retrouvée. L’hyperpersonnalisation de la puissance royale est désormais sanctuarisée dans le Versailles de Louis XIV. L’État louisquatorzien a donc réussi à imposer cette nécessité de la présence du roi et notamment sur les champs de bataille. Pour Joël Cornette, le premier règne de Louis XIV, jusque 1661, est donc une période d’apprentissage politique.

Suivra le règne des « années Colbert » de 1661 à 1683 qui est le temps des « réformations » c’est-à-dire des ordonnances, des édits, des règlements, … (Code forestier, Code criminel, Code commercial, …). Toute cette législation permet d’accroître la grandeur et la puissance de l’État ainsi que du roi. Mais, la conjoncture économique mauvaise et la guerre (Hollande puis Europe) vont faire entrer la monarchie française dans l’ère des déficits. La révocation de l’édit de Nantes de 1685 va elle renforcer les oppositions et les résistances intellectuelles à l’absolutisme louisquatorzien.

Tout cela fait basculer Louis XIV dans son « troisième règne ». Afin de saisir à la fois, les difficultés de cette dernière partie de règne (disettes, crise financière, revers militaires, …) et en même temps le développement d’une haute administration spécialisée et structurée dans le cadre « d’un processus d’arithmétisation du politique », Joël Cornette détaille avec originalité le parcours de Nicolas Desmaretz, serviteur zélé de l’État jusqu’à être contrôleur général des Finances de 1708 à 1715, qui inaugure cette longue tradition française qui mène à nos hauts fonctionnaires d’aujourd’hui.

 

 La mosaïque d’articles

Première partie – Un premier absolutisme (1515-1559)

1. « Plaisant, opulent et abondant royaume »

2. Les châteaux de la « vallée des rois »

3. Fontainebleau : un récit à la gloire du roi absolu

4. Le français : la langue du roi et des poètes

Partie II – Des guerres de Religion au règne d’Henri IV

5. Catholiques et protestants : les violences des « guerriers de Dieu »

6. Saint-Barthélemy : qui est responsable ?

7. La prise du pouvoir par Henri IV

8. L’édit de Nantes : liberté de la croyance, obéissance au roi absolu

9. L’assassinat d’Henri IV

Partie III – Les années cardinales (1610-1661)

10. Louis XIII : dans l’intimité d’un enfant-roi

11. Au service du roi absolu : le révélateur des livres de chevet de Richelieu

12. L’« araignée » du cardinal-ministre : le père Joseph , conseiller occulte de Richelieu

13. Un instrument de l’État absolu : la naissance de l’armée moderne

14. Comment les rois apprennent à faire la guerre

15. Les impôts du roi et le coût de la guerre : au cœur de l’État de finances

16. Mazarin, le cardinal millionnaire

17. La Fronde : la fin d’un monde

Partie IV – L’État Louis XIV

18. Le nouveau Louis XIV est arrivé

19. Comment Louis XIV a pris le pouvoir

20. Serviteur du roi absolu ou affairiste modèle ? Colbert en procès

21. Louis XIV : l’histoire c’est moi

22. Louis XIV ou la religion royale

23. Deux conceptions de la monarchie : la querelle Bossuet-Fénelon

24. Le roi et son peintre : l’invention de l’art officiel

25. Versailles : la palais le plus grand du monde

26. Versailles : vie et mœurs de la Cour

27. Vauban, serviteur critique du roi absolu

28. Les années de misère du Roi-Soleil

29. Louis XIV n’est plus un roi absolu

 

Dans la conclusion, Joël Cornette rappelle qu’après la mort de Louis XIV, le souverain est alors désacralisé. On déconstruit les images glorieuses pour décliner les faiblesses royales sous tous les modes. Il s’agit de tuer le roi absolu par l’image et le texte. Mais les règnes suivants et notamment la régence de Philippe d’Orléans soulignent aussi que si le rois changent et restent la clef de voûte du système absolutiste, ce n’est plus de lui que tout procède. En effet, les cadres administratifs existants permettent désormais de faire fonctionner l’État royal. A la veille de la Révolution, cette « énergie absolutiste » déployée par le régent puis Louis XV et Louis XVI ne doit pas faire oublier l’incapacité structurelle de l’État absolu à se réformer.

Finalement, cette nouvelle et très belle publication de Joël Cornette permet de bien saisir la centralité de l’État moderne cristallisée dans la personne du souverain pour la période 1515-1715. La construction de ce pouvoir absolu est observée à travers le prisme des temporalités, des évènements (massacre de la Saint Barthélémy, sacre d’Henri IV, naissance de Louis XIV, la Fronde, …) des acteurs (François Leclerc du Tremblay dit le père Joseph, Mazarin, Colbert, Vauban, …), des lieux (Chambord, Fontainebleau, Versailles, …) et des différents domaines (politique, administratif, fiscal, militaire, artistique, religieux, …). L’absolutisme qui s’est construit aux XVIe et XVIIe s. « ne peut se comprendre hors de la théorie et de la pratique d’une souveraineté entière qui reconnaît au monarque le monopole de la contrainte sur tous les sujets afin d’instituer l’ordre et de la maintenir ».

Pour les Clionautes, Armand Bruthiaux