Dans la vague commémorative actuelle, avec l’omniprésence du centenaire de la Grande guerre, il peut apparaître comme surprenant que nul n’ait véritablement pensé, surtout en ce début novembre 2014, à rappeler que la guerre d’Algérie a commencé le 1er novembre 1954, il y a tout juste 60 ans. Cet ouvrage s’inscrit probablement dans cette démarche, et si certains témoignages peuvent sembler intéressants, ils ne sont pas véritablement inédits.

Ce caractère inédit n’est certainement pas un argument qui permet de fonder la valeur historique d’une publication.

L’ouvrage est une juxtaposition de témoignages, précédée d’une présentation générale sur l’histoire de l’Algérie, des débuts de la période coloniale jusqu’au départ des pieds-noirs. On peut  s’interroger sur les titres de cette première partie, « on les disait pieds-noirs », qui oppose le temps des bâtisseurs à celui de l’espoir trahi et de l’abandon. Sans doute, convient-il de coller à ce titre qui fait des pieds-noirs « les bernés de l’histoire ».
Ils l’ont été assurément, à la fois par « la grande histoire » mais aussi par la somme de « leurs petites histoires », qui les amenait à croire qu’il pouvaient maintenir pour l’éternité « l’Algérie de papa ».
Soyons clair, il y a beaucoup à dire sur un certain nombre de raccourcis historiques, notamment à propos de la place du christianisme dans l’Algérie pré-coloniale. La citation, hors de tout contexte d’Alexandre Del Valle, qui se fait le porte-drapeau de la lutte contre la « cristianophobie » n’est pas véritablement la meilleure des démarches.
Relevons ensuite un résumé rapide entrecoupé de citations et d’extraits de textes, pour la plupart tous très connus, sur cette guerre d’Algérie, et sur cet enchaînement de circonstances qui a conduit à cette profonde déchirure.
Le fil conducteur de cette histoire de près de deux siècles de présence française en Algérie en 74 pages est bien celui qui conduit à l’abandon, après que le retour du général de Gaulle en 1958 ait été qualifié d’« espoir trahi ». Pour le reste, on retrouve dans cet album de famille différents témoignages, d’intérêt inégal. Ils traduisent dans la plupart des cas des destins ordinaires, ceux de ce petit peuple pied-noir venu de la périphérie du bassin méditerranéen, des bâtisseurs incontestablement, d’une Algérie qu’ils ont eu le tort de penser hors du temps. Alors effectivement, en montrant que pour la plupart de ces témoins, ceux qui ont quitté leur terre natale après 1962, la cicatrice reste encore ouverte, l’auteur participe de ce que l’on pourrait qualifier « de combat mémoriel ». Cela n’est pas d’une très grande originalité, même ces témoins disparaissent peu à peu et que par conséquent cet ouvrage présente un intérêt conservatoire.
Cela ne veut pas dire pour autant qu’il faille nier la réalité du drame vécu, ce sentiment d’abandon, cette trahison subie qui a pu conduire aux pires des excès.
De la même façon, Il n’est pas inintéressant de retracer l’histoire de cet exil, ces difficultés à faire sa place dans une société française qui n’avait rien prévu pour accueillir 800 000 de ses ressortissants, et au final cette capacité à rebondir. Dans la plupart des témoignages, et même si, encore une fois, les souvenirs sont pieusement entretenus, la réussite d’une vie finit par se dessiner.
Incontestablement, cet ouvrage n’a pas vocation à être « une histoire de la guerre d’Algérie », ni même une histoire des pieds-noirs. Bien d’autres publications peuvent y prétendre. Et notamment celle-ci :Guy Pervillé,  Oran, 5 juillet 1962. Leçon d’histoire sur un massacre, Éditions Vendémiaire, 2014
Il présente toutefois l’intérêt de rappeler comment la perception de ces souvenirs a pu évoluer, et à ce titre il peut servir l’historiographie de cet épisode algérien. Bruno Modica
La présentation de l’éditeur
Toussaint 1954 : une trentaine d’attentats antieuropéens fait basculer l’Algérie dans la guerre. Huit ans plus tard, plus d’un million de pieds-noirs, spoliés, traumatisés, chassés d’un pays où ils croyaient être chez eux, sont « rapatriés » en catastrophe en métropole, où leur exode est minimisé et leur mémoire piétinée, alors que la plupart ne sont pas de riches colons « à cravache et cigare », comme disait Camus, mais des ouvriers et des ingénieurs, des enseignants et des médecins, des commerçants… Documents à l’appui, Alain Vincenot retrace l’histoire de la présence française en Algérie, du débarquement de Sidi Ferruch (1830) aux accords d’Évian (1962). Surtout, il donne la parole aux pieds-noirs de tous milieux: un avocat dont le père était lié à Ferhat Abbas et au général Jouhaud ; l’épouse d’un homme engagé dans la branche armée de l’OAS ; la lle d’un résistant juif proche des milieux chrétiens anticolonialistes ; une des victimes de l’attentat du Milk Bar, à Alger, en 1956 ; la lle d’un habitant de Sidi Bel Abbès, disparu lors du massacre du 5 juillet 1962 à Oran… Simples et précis, leurs récits sont irremplaçables. Ils témoignent, dit Boualem Sansal, de «ce que fut au jour le jour, avec ses heurs et ses malheurs, ses espoirs et ses désillusions, la vie de ces migrants venus de toute la Méditerranée, ces Français de la Métropole, ces Juifs, ces Arabes, ces Berbères, qui étaient tous si proches et si lointains».
Alain Vincenot, journaliste, est né en 1949 en Savoie. Collaborateur du Quotidien de Paris, du Pèlerin, de France-Soir, il est l’auteur de La France résistante, histoires de héros ordinaires (Syrtes, 2004), Je veux revoir maman : des enfants juifs cachés sous l’Occupation (préface de Simone Veil, Syrtes, 2005), Les Larmes de la rue des Rosiers (préface d’Elie Wiesel, Syrtes, 2010). Les éditions de l’Archipel ont publié Vel’ d’Hiv : 16 juillet 1942 (2012) et Pieds-noirs : les bernés de l’Histoire (2014), qui recueillaient déjà des témoignages inédits.