Les zombies sont plus que jamais d’actualité. Ils nous envahissent tant au cinéma et à la télévision que dans l’édition. Dans la BD, les jeux vidéo et maintenant dans le monde des idées. Après la parution l’année passée de « Géographie Zombie, les ruines du capitalisme » de Manouk Borzakian chez Playlist Society, nous arrive en ce début d’année 2020 le dernier opus de Paul Krugman, « Lutter contre les idées Zombies. Ces idées qui détruisent l’Amérique » chez Flammarion.

Paul Krugman est un économiste nord-américain devenu célèbre pour son anticipation de la crise asiatique de 1997. Chroniqueur au New York Times depuis vingt ans après, je cite, « avoir rédigé quelques éditoriaux mensuels pour Fortune et pour Slate », ce Prix Nobel d’économie 2008, rassemble dans cet ouvrage quinze ans de ses chroniques économiques bi-hebdomadaires.

A travers quatorze chapitres (quand même) il s’attache à nous expliquer en pédagogue et à démonter toutes ces idées délétères qui nous sont exposées et imposées régulièrement par les politiques depuis des années pour rendre acceptable ce qui ne l’est pas. Des idées que Paul Krugman désigne comme des idées-zombies. Depuis la justification du démantèlement du système de santé, le refus des Américains de financer un système sanitaire public, en passant par le mécanisme des bulles immobilières, les politiques d’austérité, le climato-scepticisme jusqu’aux Fake news, en conclusion.

Afin de rendre compréhensibles des notions et des idées souvent obscures au pékin moyen que nous sommes, il nous livre dans l’introduction sa recette pour aborder l’analyse économique. Celle-ci tient en quatre lignes :

– Privilégier les sujets simples

– Utiliser un langage courant  

– Dénoncer les arguments malhonnêtes

– Révéler les conflits d’intérêts sous -jacent.

Alliant analyse historique des idées qu’il critique et proposant des alternatives viables Krugman réalise un beau travail de vulgarisation de sa discipline. Certes notre esprit critique toujours en éveil ne peut s’empêcher de s’interroger sur la réelle validité des thèses qu’il développe dans cet ouvrage. Tant il est vrai qu’un prix Nobel d’économie, pour être un label de sérieux, n’en est pas pour autant gage d’impartialité. Et tant il est vrai qu’on s’exprime toujours d’un point de vue. Sur ce point Paul Krugman, en plus d’être un libéral au sens américain du terme, c’est-à-dire adepte d’un progressisme sociétal, ne se cache pas d’être un (néo) Keynésien convaincu. La position de John Maynard Keynes était, telle qu’expliquée par Krugman, de : « valoriser l’économie de marché, tout en étant prêt à une action publique forte si nécessaire. » 

La cible de l’auteur est, vous l’aurez compris, le néolibéralisme et ses représentants tant en économie qu’en politique. Est-il nécessaire de les nommer ? Le dernier en date sévit depuis trois ans à la Maison Blanche. Paul Krugman pointe également le rôle de la presse qui fait et défait les candidats et : « invite les journalistes à se demander s’ils rapportent des faits ou s’ils se livrent simplement à des insinuations… » et il invite le public : « a lire la presse avec un œil critique. »

Où l’on comprendra qu’il n’y a pas de grand complot généralisé mais bien une armée de spin doctors chargés de nous rendre digestes et acceptables des idées qui vont à l’encontre des droits et des libertés fondamentales de l’être humain de base. A savoir : le droit d’avoir accès à des soins de qualité, le droit d’avoir un toit sur sa tête, de vivre dans un environnement préservé, une vie décente à l’abri du besoin. 

Dans le chapitre V intitulé : « L’euro : un pont trop loin », l’économiste livre son sentiment sur la construction européenne, une construction politique noble et louable dans ses intentions premières mais qui, tel un bourdon (il cite Mario Draghi, ancien président de la Banque centrale européenne : « L’euro est comme un bourdon. C’est un mystère de la nature : il ne devrait pas voler, et pourtant il vole… ») s’est crashé sur l’autel de la monnaie unique. Une erreur économique selon Krugman qui réduit la capacité d’un pays à faire face à des « chocs asymétriques ». Une explication qui semble cohérente mais que l’Européenne convaincue que je suis à eu quelque mal à accepter d’emblée.  

Pour les ignorants complets que la plupart d’entre nous sommes en matière économique, ce livre offre l’opportunité de mieux comprendre les raisonnements de ce domaine des Sciences sociales et les théories qui les sous-tendent. 

Paul Krugman nous livre au final un opus au style clair, agréable à lire et non dénué d’humour par moments. Le propos est dense tant par le nombre de sujets exposés que par les analyses qu’il développe. Cependant cette densité réside plus dans l’impression de redite qui apparait au fil de la lecture. C’est bien là le défaut des compilations de chroniques. Pour vraiment apprécier ce livre et le travail de son auteur, je vous conseille de le lire régulièrement mais par tranches, à petites doses, sous peine de ne pouvoir parvenir à son terme. Et ce serait dommage car dans les pages finales Paul Krugman se livre sur sa personne. Dans un passage où il évoque sa façon de travailler, il écrit, je cite : « Je crois que Schumpeter prétendait être non seulement le meilleur économiste, mais aussi le meilleur cavalier et le meilleur amant dans son Autriche natale. Pour ma part, je ne monte pas à cheval et je me fais peu d’illusions sur mes compétences dans les autres domaines (cependant je suis assez bon cuisinier). » Ces petites saillies nous révèlent l’homme derrière l’économiste. Il achève d’emporter l’adhésion, de l’historienne de formation que je suis, quand il reconnait être entré en économie non par les mathématiques, la voie classique de la profession mais par l’histoire son premier amour, de son propre aveu. Mais au fait, pourquoi les « idées-zombies ? ». Je vous laisse le soin de trouver l’origine de cette expression au détour d’un chapitre. Je ne voudrais pas spoiler l’intrigue de ce livre qui au final est aussi une véritable plongée dans la culture nord-américaine. Nous viennent à l’esprit des images du « Loup de Wall Street, de Casino, de La couleur de l’argent… » et bien sur de World War Z et autres figures cinématographiques du zombie comme métaphore de notre société où les hommes abandonnent leur humanité pour l’illusion de la prospérité.