Professeur à l’université Montpellier 3, Jean-Paul Bord expose, avec cet ouvrage, un regard très personnel sur une carrière de « géographe-cartographe » en insistant bien sur la complémentarité des deux métiers. Dans les trois étapes de la carte (conception mentale, réalisation matérielle, interprétation/communication), le temps passé à la réalisation technique semble se faire au détriment des deux autres, ce qui constitue un écueil d’autant plus important que l’ensemble de cette chaine se voit de plus en plus réalisée par une seule et même personne.
Le concepteur d’une carte a une grande responsabilité, satisfaire ses commanditaires et destinataires, d’où la nécessité de maîtriser les règles de base de la sémiologie qui, selon l’auteur, semble oubliée dans de nombreux cas de figures.
Pour illustrer son propos, Jean-Paul Bord n’hésite pas à réagir sur de « mauvaise cartes » (surchargées, illisibles…) tirées des médias ou à y faire réagir, dans un souci pédagogique, ses étudiants qui, au delà de proposer des solutions alternatives, se sont pris au jeu en établissant une « petite boutique des horreurs » en la matière.
Si la carte sert à représenter, elle est aussi faite pour convaincre et, là encore, deux bons exemples sur la Russie montrent que les choix opérés peuvent donner des résultats très différents, au niveau de la couleur (un « produit culturel ») mais également au niveau du choix du type de projection (l’impression de l’immensité du territoire peut beaucoup y varier).
Soucieux de prendre en compte les conceptions des autres et de montrer la diversité du métier de cartographe, Jean-Paul Bord propose également une analyse de 6 points de vue (dont le sien) permettant une comparaison entre des approches universitaires, opérationnelles, journalistiques ou même encore à visée « esthétisante » (voir sur ce point la contribution de Francis Dhée, « artiste cartographe », qui insère des personnages militaires, des dates et des drapeaux sur des cartes IGN pour mieux y repérer les lieux de bataille tout en évitant de surcharger la légende).
L’auteur formule finalement au long de cet ouvrage un véritable plaidoyer en faveurs des concepts qui semblent insuffisamment investis, preuve d’une carence épistémologique dans ce domaine de la cartographie, la géographie ayant été mieux lotie. L’exemple des découpages en régions est évocateur, elles ont, pendant très longtemps, et encore aujourd’hui par endroits, constitué l’échelon de référence du découpage des cartes de France sans que la pertinence de découper ainsi ne soit discutée.
C’est bien là l’apport de ce livre, une bonne méthodologie sur les techniques de réalisations des cartes mais surtout une réflexion sur sa conception mentale préalable et sa communication envers des destinataires variés, d’où l’intérêt de toujours s’adapter à son public.
Sur la forme, les documents colorés sont nombreux (une trentaine), variés et de qualité, on apprécie même de voir des esquisses en complément des résultats informatisés finaux mais on pourra juste regretter, dans la façon d’avoir agencé les chapitres, que les premières cartes n’arrivent qu’après la page 70, laissant un gros volet théorique à digérer avant de pouvoir « se rincer l’œil ».