Aliénor d’Aquitaine, Richard Coeur de Lion, Jean sans Terre … des noms qui résonnent dans l’inconscient français mais aussi britannique.

Or, tous ces illustres personnages ont comme point commun d’appartenir à une famille qui va influencer durablement l’Europe médiévale entre le XIIe et le XIVe siècle : les Plantagenêts. C’est de cette dynastie, descendante des comtes d’Anjou, que Dan Jones raconte l’histoire épique dans cet ouvrage.

Diplômé au Pembroke College de l’université de Cambridge, Dan Jones est un journaliste et historien britannique, spécialiste du Moyen Âge. De la trempe d’un Simon Sebag Montefiore qui l’a influencé, il est l’un des jeunes représentants de la « narrative non-fiction ». Les Plantagenêts a été un best-seller aux Etats-Unis et en Angleterre et est son premier ouvrage traduit en français. Depuis, seul Croisés. Une histoire épique des guerres pour la Terre sainte (Cherche Midi, 2022), a été traduit en France.

Le temps des naufrages (1120-1154)

Dans cette première partie, Dan Jones dresse d’abord le tableau de l’état pitoyable de l’Angleterre à la fin de l’époque normande suite aux règnes de Guillaume le Conquérant et de ses deux fils, Guillaume le Roux et Henri Ier. A la mort de ce dernier, l’Angleterre et la Normandie entrent alors dans une terrible période de guerre civile. En effet, deux prétendants au trône s’opposent : Etienne de Blois, petit-fils de Guillaume le Conquérant, et l’ex-impératrice Mathilde, sa petite-fille. Pendant une vingtaine d’années, l’Angleterre sera divisée entre deux gouvernements et ses campagnes dévastées par les mercenaires.

Mathilde finit par l’emporter mais la réunion du royaume n’intervient vraiment qu’avec l’accession au trône de son fils aîné qu’elle a eu avec le comte d’Anjou Geoffroy Plantagenêt. Ce premier roi Plantagenêt qui accède au pouvoir sous le nom d’Henri II (1154-1189) va imposer sa domination sur une mosaïque de territoires allant des marges de l’Ecosse jusqu’aux Pyrénées grâce à sa chance, à son énergie et ses qualités militaires.

Le temps de l’Empire (1154-1204)

Dans cette deuxième partie, Dan Jones revient sur les conquêtes réalisées par Henri II, conquêtes qu’il parvient peu à peu à intégrer en un empire cohérent. Mais, son règne est aussi marqué par son différend avec son conseiller et meilleur ami, Thomas Becket, différend qui se terminera par un meurtre blasphématoire qui entachera la réputation d’Henri II. Il connaît aussi de multiples difficultés avec ses enfants qui s’estiment peu intégrés à la direction de l’Empire : ces derniers sont d’ailleurs soutenus dans leurs revendications par leur mère Aliénor d’Aquitaine. Toutes ces difficultés ne doivent cependant pas occulter le remarquable bilan du règne d’Henri II : en plus d’agrandir ses possessions, il met aussi en place des réformes avant-gardistes en matière de droit, de justice et d’administration, dotant l’Angleterre d’un système juridique et de principes de gouvernement qui vont persister plusieurs siècles.

A la mort d’Henri II, son troisième fils, Richard Ier (1189-1199), dit Coeur de Lion, hérite de l’Empire Plantagenêt. Celui-ci, contrairement à son père, a laissé sa marque indélébile dans les mémoires anglaises, le hissant au statut de héros national. Mais, paradoxalement, Richard Coeur de Lion ne séjourna que très peu sur le sol anglais. En effet, il passa le plus clair de son règne à défendre le pouvoir des Plantagenêts et à étendre son aire d’influence. Ainsi, ses ambitions conquérantes l’amènent en Sicile, à Chypre et, lors de la 3ème croisade, jusqu’au royaume de Jérusalem. Mais, lors du retour de cette dernière, il est fait prisonnier en Allemagne de longs mois par l’empereur Henri VI. Après sa libération contre une rançon particulièrement onéreuse, Richard Ier reprend les armes contre le roi de France Philippe II Auguste afin de défendre le duché de Normandie. Il trouve alors la mort en 1199 sur le champ de bataille.

Son frère, Jean sans Terre (1199-1216) lui succède à la tête de l’Empire plantagenêt. Continuant le combat contre Philippe Auguste, Jean sans Terre subit une défaite humiliante en 1204 en perdant la citadelle de Château-Gaillard réputée être imprenable. Par cette défaite, le roi perd presque toute la Normandie, l’Anjou, le Maine et la Touraine. Du fief continental plantagenêt, il ne garde que le contrôle nominal sur le Poitou et l’Aquitaine.

Le temps des oppositions (1204-1263)

Dans cette 3ème partie, Dan Jones se penche sur les répercussions de l’échec militaire de Jean sans Terre. Ce dernier en est réduit à se replier définitivement sur l’Angleterre. Mais, il ne tarde pas à entrer en conflit avec ses barons, son clergé et ses voisins. Bien que victorieux contre le pays de Galles, l’Ecosse et l’Irlande, son règne est surtout connu pour son exceptionnelle cruauté. En effet, Jean sans Terre use et abuse du système de gouvernement mis en place par les premiers Plantagenêts. A cause de ces abus, il provoque en 1215, une longue guerre civile doublée d’une grave crise constitutionnelle portant sur l’enjeu suivant : par quel moyen un royaume peut-il faire rentrer dans le rang un souverain tyrannique ? Cette guerre civile se soldera par un traité de paix avorté connu sous le nom de Grande Charte (« Magna Carta ») qui pose quelques principes fondamentaux du gouvernement anglais, notamment en affirmant que le roi ne devait gouverner que conformément aux lois ni ne pouvait arrêter et emprisonner qui bon lui semble sans un jugement.

Jusqu’à la fin du XIIIe siècle, la Grande Charte restera le cri de ralliement des opposants à la dynastie des Plantagenêts. C’est le cas, notamment d’un de leurs plus farouches adversaires, Simon de Montfort dont la révolte a été écrasée dans le sang sous le règne du fils de Jean sans Terre, Henri III (1216-1272), puis durant les premières années de son petit-fils, Edouard Ier (1272- 1307).

Le temps d’Arthur (1263-1307)

Dans cette 4ème partie, Dan Jones d’attache au règne d’Edouard Ier qu’il considère comme l’un des plus grands Plantagenêts bien que peu attachant. En effet, ce souverain passe pour être un roi particulièrement féroce et belliqueux. Mais, il réussit à persuader les Anglais d’arrêter de s’entre-tuer pour porter la guerre chez les voisins écossais et gallois.

D’ailleurs, son règne correspond à un regain de popularité des légendes arthuriennes et d’une chasse aux reliques. La volonté d’Edouard Ier est d’auréoler la monarchie anglaise d’une nouvelle mythologie et d’une nouvelle grandeur : en se posant en héritier d’Arthur (qui était à l’origine un roi légendaire gallois), il veut unifier et se rendre maître de toutes les îles britanniques.

En dépit des protestations de ses barons, qui commençaient à organiser l’opposition au sein d’un embryon de parlement, Edouard Ier a été très proche d’atteindre ses objectifs.

Le temps des violences (1307-1330)

Dans cette 5ème partie, Dan Jones revient sur le règne d’Edouard II (1307-1327) qu’il tient comme le pire représentant de la dynastie des Plantagenêts. En effet, en plus de mener une politique extérieure désastreuse, ce roi manqua à tous les devoirs élémentaires de sa fonction.

Ainsi, les relations du roi avec ses favoris Pierre Gaveston et Hugues le Despenser le Jeune contribuèrent à l’isoler totalement de la communauté politique et à saper les bases du royaume. Il est d’autant plus fragilisé par l’hostilité ouverte de son cousin Thomas, comte de Lancastre, qui lui livre une guerre sans merci jusqu’en 1322, date à laquelle ce dernier finit exécuté par décapitation.

Cette guerre civile meurtrière achève de discréditer et salir la monarchie anglaise. Dans ce contexte, les barons du royaume assènent le coup de grâce à Edouard II en l’obligeant en 1327 à abdiquer au profit de son fils, Edouard III (1327-1377). Ce dernier monte sur le trône à l’adolescence et n’a dans un premier temps que le titre de roi. En effet, le pouvoir est alors entre les mains de sa mère, la régente, et de son amant, Roger Mortimer. Mais, très vite, le dauphin va s’affranchir de cette tutelle.

Le temps de la Gloire (1330-1360)

Dans cette 5ème partie, Dan Jones s’intéresse aux trente années triomphantes du règne d’Edouard III qu’il considère comme le fleuron de la lignée des Plantagenêts. En effet, cette période correspond à la première phase de la Guerre de Cent Ans. Aidé de son fils aîné, le Prince Noir, et de son cousin, Henri de Grosmont, Edouard III l’emporte sur la France et, son allié, l’Ecosse (ainsi que d’autres ennemis comme la Castille).

La période confirme sur terre la supériorité de la machine de guerre anglaise (comme par exemple à Crécy en 1346 ou à Najera en 1367) reposant, entre autres, sur la puissance meurtrière de son arc long. En parallèle, les victoires navales de l’Ecluse (1340) et de Winchelsea (1350) confortent la domination anglaise dans l’art de la guerre sur mer.

Edouard III et ses fils construisent aussi une mythologie nationale dans laquelle se mêlent des bribes de la légende arthurienne, un culte de saint Georges revu et corrigé, et un renouveau du code chevaleresque avec la création de l’ordre de la Jarretière. Ils mettent alors en place une culture qui réussit à rallier l’aristocratie anglaise derrière l’objectif commun de la guerre. L’harmonie politique à l’intérieur du royaume règne alors.

Le temps de la Révolution (1360-1399)

Dans cette dernière partie, Dan Jones analyse la façon dont l’hégémonie anglaise s’est effondrée aussi vite qu’elle est apparue. Le déclin avait été amorcé dès 1360 sous le règne d’Edouard III mais c’est surtout lorsque Richard II (1377-1399) succède à son grand-père qu’une crise du pouvoir se profile. En effet, il a eu à gérer de nombreux problèmes sous son règne. En premier lieu, les assauts successifs de la peste noire depuis 1348 ont décimé la population anglaise ainsi que bouleversé l’ordre économique du royaume.

De plus, les divisions entre les fils d’Edouard III se sont traduites par une politique étrangère incohérente. Or, c’est le moment où les rois français Charles V et Charles VI reprennent du poil de la bête et repoussent les Anglais vers la Manche.

Enfin, Richard II, bien qu’habile dans son gouvernement, apparaît comme un souverain méfiant, cupide, violent et méprisant. Bien qu’ayant doté sa cour des fastes de la royauté, il va s’aliéner une partie de ses sujets. En 1399, ayant perdu le soutien de ses barons, il est destitué par son cousin Henri de Bolingbroke. Pour la première fois depuis 1154, la couronne anglaise quitte la dynastie des Plantagenêts pour s’installer sur la tête d’un représentant de la maison de Lancastre.

Mon avis

Tout d’abord, sur la forme, ce livre est un vrai régal à lire grâce au talent de narrateur de Dan Jones (et grâce aussi à la traduction parfaite d’Isabelle Taudière et Raymond Clarinart !). En effet, en tant que représentant de la « narrative non-fiction », l’auteur sait rendre vie à l’épique histoire de cette dynastie avec brio aussi bien dans les descriptions des personnages historiques que des grands événements. Il sait aussi manier l’humour et l’ironie lorsqu’il donne son avis sur tel ou tel souverain ou situation. Cet ouvrage est présenté par le Wall Street Journal comme un Game of Thrones historique aussi bien dans ses multiples rebondissements que dans le foisonnement des personnages présentés. Or, Dan Jones réussit le tour de force de rendre l’ensemble compréhensible et agréable à lire comme un roman.

Mais, cette qualité de l’écrit ne doit pas non plus cacher la qualité du travail de recherche présenté. En effet, il s’agit bel et bien ici d’un ouvrage universitaire basé sur une bibliographie dense et de qualité. La période des Plantagenêts est décrite ici avec force de détails aussi bien biographiques qu’institutionnels. En effet, Dan Jones, loin de se contenter de faire une biographie dynastique, s’intéresse aux apports des Plantagenêts à la construction de l’Angleterre (comme le présente d’ailleurs le titre en version originale The Plantagenets : The Kings Who Made England). Ainsi, à travers les péripéties des souverains anglais, on comprend mieux la mise en place progressive d’une monarchie parlementaire dans un royaume où les barons ont le pouvoir de financer ou non les guerres des Plantagenêts. De même, les incursions de ces derniers en Ecosse, au Pays de Galles et en Irlande sont à l’origine de tensions avec ces territoires tout au long de l’histoire du Royaume-Uni (jusqu’à aujourd’hui …). Enfin, d’un point de vue culturel, c’est sous cette dynastie que la langue anglaise s’impose dans les tribunaux, les débats parlementaires et les œuvres poétiques.

Pour conclure, comme Dan Jones l’annonce dans son introduction, il a écrit en 2014 la suite de l’histoire des souverains anglais dans un livre intitulé The Hollow Crown: The Wars of the Roses and the Rise of the Tudors . Je n’ai donc qu’une hâte : qu’une maison d’édition française nous en propose une traduction !