La tenue du Premier Forum des Enseignants Innovants à Rennes en mars 2008 a été l’occasion pour les participants d’entendre Evelyne Héry sur le sujet de la place des pratiques innovantes dans l’enseignement. Parallèlement, le printemps 2008 a été marqué par l’annonce en chaîne de mesures concernant l’école et notamment un retour aux Fondamentaux. La lecture du livre d’Evelyne Héry vient à point nommé pour essayer de s’y retrouver dans les mouvements de réforme qui ont touché les pratiques pédagogiques depuis le début du XXème siècle. Dans son ouvrage, l’auteure montre comment les enseignants qui ont fait preuve d’innovations et de capacités d’adaptation tout au long de la période ont eu du mal à étendre ce mouvement à l’ensemble de la communauté enseignante.
Evelyne Héry est maître de conférences à Rennes 2. Elle a précédemment publié : Un siècle de leçons d’histoire. L’histoire enseignée au lycée (1870 – 1970) en 1999.
Elle dresse ici une histoire des pratiques pédagogiques, c’est-à-dire de ce qui se passe vraiment dans la classe et non une histoire des réformes successives adoptées par les ministères. Le travail des enseignants est au cœur de son travail. Antoine Prost (Le débat, N°31, septembre 1984) a souligné la difficulté de faire cette histoire. Il faut effectivement réussir à entrer dans les classes pour savoir ce que l’on y fait vraiment. Faire cette histoire, c’est faire de l’histoire culturelle et sociale.
Pour ce faire, l’auteur a eu recours à diverses sources : la revue universitaire, les revues pédagogiques (Cahiers pédagogiques), des sondages effectués auprès d’élèves des années 1960 (dépouillés par A.M. Sohn), des enquêtes sociologiques menées dans les années 1980 – 1990, mais aussi les rapports d’inspection.
L’histoire de l’innovation pédagogique n’est pas linéaire. Elle est même très heurtée. A côté d’enseignants innovants, d’autres continuent à employer les « vieilles méthodes » sans chercher à varier les manières de transmettre le savoir.
Pour reprendre la définition donnée par Jean Hassenforder, professeur en sciences de l’éducation, en 1972, il faut entendre par le terme de pratique innovante une « action qui correspond à la volonté d’obtenir un changement dans le sens d’une amélioration ». L’introduction de nouvelles pratiques pédagogiques n’a rien d’évident dans l’enseignement secondaire du début du XXème siècle alors classique et élitiste.
Etymologiquement, le professeur est celui qui parle en public. « La parole est [son métier], la parole est [son] royaume ». Paul Ricoeur, Esprit, N°233, 1955. La rénovation des études secondaires est entamée en 1872 avec l’adoption de méthodes nouvelles : plus de place aux exercices oraux, moins à la récitation et à l’apprentissage par cœur. En 1902, avec la création du lycée moderne, l’exercice du libre examen par les élèves est mis en avant. La mise en place de réformes ne signifie pas qu’elles sont appliquées massivement dans les classes. En 1906, l’introduction d’un manuel en classe est perçue comme une concurrence par les agrégés, qui « parlent comme des livres ». La démocratisation de l’enseignement secondaire, après la seconde guerre mondiale (fin de l’examen d’entrée en sixième en 1957) va obliger les enseignants à adapter leurs méthodes d’enseignement. Le cours ex-cathedra reste, malgré tout, le plus répandu. La mise en place de nouvelles méthodes pédagogiques se heurte pendant longtemps au parcours des professeurs directement issus de l’université, n’ayant pas suivi de stage et de formation. L’inspection générale, en 1950, demande au professeur de « s’habituer à quitter sa chaire et à parcourir les rangs ». L’introduction du cours dialogué est une vraie révolution. De même, les recommandations figurants dans les programmes de 1902 sont réitérées, y compris en 1950. C’est ainsi que le commentaire de document préconisé en 1902 n’est pas encore appliqué par tous en 1979 lorsqu’il est introduit au baccalauréat.
Face à ces professeurs résistants, le propos du livre s’attache à décrire les pionniers qui osent aller contre l’inertie ambiante et mettre en œuvre des méthodes nouvelles. Les revues pédagogiques regorgent des récits de ces enseignants innovants, bien souvent isolés. Ces derniers ont pour objectif de rendre les élèves acteurs de la construction de leurs savoirs. Ils sont décriés par leurs collègues qui mettent l’accent sur le « temps perdu » à innover au lieu de transmettre aux élèves le savoir indispensable pour l’examen. Même les élèves semblent attacher aux méthodes traditionnelles : « Eh bien vous travaillerez en équipes au bac ! concluaient avec ironie les autres élèves ».
L’institution peut soutenir l’innovation, elle l’impulse rarement. Elle s’en inspire pour rénover les programmes. C’est ainsi que sont mises en place des séances de direction de travail entre 1925 et 1931 qui visent à l’individualisation du travail de l’élève. L’apport de nouvelles techniques d’enseignement se heurte à de nombreuses résistances chez les enseignants. La particularité de l’innovation est celle de la liberté. Si elle est imposée par le haut, elle est souvent mal vécue. Les innovations débouchent rarement sur une rénovation des programmes. Les blocages sont énormes. Quand l’innovation a percé, c’est qu’il y a eu synergie entre les institutions et les professeurs. L’un ne peut pas aller sans l’autre. Pour que l’innovation se généralise, il est nécessaire qu’il y ait formation des enseignants en poste et des stagiaires. La mort annoncée des IUFM, ce printemps, ne semble pas aller dans ce sens.
Au final, le livre d’Evelyne Héry est très touffu. Il regorge d’anecdotes. On apprend ainsi qu’à la fin du XIX° siècle, nombreux sont les professeurs qui ne font pas une correction individuelle des copies ! Institués en 1898, les conseils de classe sont le plus souvent fuis par les enseignants qui « n’ont pas de temps à perdre en vains bavardages ». De même, au début du XXème siècle, un rapport d’inspection mentionne « sait se servir de la craie », comme quoi l’innovation n’est pas forcément révolutionnaire.
Pluridisciplinaire, cet ouvrage est toutefois plutôt centré sur les pratiques qui ont lieu dans les cours d’histoire et de géographie. Il apparaît au final que si certaines pratiques sont pionnières, la force de l’inertie l’emporte bien souvent. Les mutations sont lentes et souvent dictées par l’hétérogénéité du public scolaire.
Pour en savoir plus, lire l’interview d’Evelyne Héry par François Jarraud pour le Café Pédagogique :
http://www.cafepedagogique.net/lemensuel/laclasse/Pages/2007/Lacraieetlordinateur.aspx
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