Ce livre est issu de la thèse de doctorat soutenue à l’Université de Provence en 2001 par Céline Borello, actuellement maître de conférences à Mulhouse. Il s’agit de la première publication d’importance sur l’histoire du protestantisme provençal depuis la parution de l’ouvrage de référence d’E. Arnaud (Histoire des protestants de Provence, du Comtat Venaissin et de la principauté d’Orange, Paris, Grossard, 1884, 2 volumes). Le livre de Céline Borello veut répondre à une « carence historiographique » (p. 20). L’auteur envisage une étude démographique, sociale et politique des communautés réformées provençales.
La première partie du livre définit les cadres de la recherche.
Les origines de la Réforme y sont notamment rappelées. Le passage du valdéisme au protestantisme, bien connu par les travaux de Gabriel Audisio et ses étudiants, est évoqué. C’est en 1532 que les Vaudois décident de rejoindre le mouvement réformateur. La Provence a durement ressenti les effets de Guerre de Religion de la seconde moitié du XVIe siècle. Si l’Édit de Nantes est finalement mis en œuvre dans la région, ce n’est pas sans résistance du Parlement d’Aix qui se voit dépouillé de ses pouvoirs de justice sur les protestants provençaux, lesquels peuvent faire appel de tous les procès où ils sont partie prenante à la Chambre de l’Édit de Grenoble (pp. 109-146).
Céline Borello précise également dans cette première partie ses choix méthodologiques. Même si la population réformée demeure très réduite en Provence au XVIIe siècle, l’auteur a préféré concentrer ses recherches sur quatre sites : Lourmarin, gros bourg du Luberon à majorité protestante, La Roque d’Anthéron, à quelques kilomètres au sud, l’ensemble constitué par les villages des Baux, Mouriès et Saint-Martin-de-Castillon, où la communauté réformée est largement minoritaire, enfin Marseille, ville essentiellement marquée par la présence de protestants étrangers. L’auteur reconnaît que ce choix délaisse l’est de la province (p. 59 et carte p. 538). Il est en partie dicté par les sources disponibles. Les documents provenant des institutions ecclésiastiques protestantes sont peu nombreux. On dispose des registres de Baptêmes, Mariages et Sépultures de Velaux- Aix- Marseille (1669-1685) et Lourmarin (1619-1685, graphique p. 214). Les archives consistoriales font également largement défaut puisque seuls les papiers des Églises de Riez-Roumoules et de Gordes sont conservés. Il semble qu’aucun procès-verbal de synode provincial ne soit conservé pour le XVIIe siècle ; seules des allusions voire de courts extraits permettent d’en dresser une liste certainement bien incomplète (annexe p. 497). Le chercheur est souvent contraint de se contenter de références à la Provence dans les actes de synodes nationaux. Fort heureusement, les registres notariés constituent une source complémentaire de qualité. Céline Borello en a fait un dépouillement exhaustif pour les sites de La Roque d’Anthéron, Les Baux et Lourmarin (p. 83). C’est l’apport majeur de ce travail. La présentation de « sources indirectes » complète ce tableau et permet à l’auteur d’élaborer un fichier de 2230 protestants provençaux au XVIIe siècle dont 1599 pour la seule communauté de Lourmarin (tableau p. 95). A considérer l’estimation de la population protestante provençale- autour de 8000 personnes dans la seconde moitié du XVIIe siècle selon une distribution géographique essentiellement rurale que permet d’appréhender un dénombrement de 1682 (p. 105 et suivantes et carte p. 534)-, cet échantillon paraît pertinent.
La deuxième partie du livre présente les caractéristiques générales de la communauté réformée de la province au XVIIe siècle.
L’indigence de la documentation sur l’action des commissaires exécuteurs de l’Édit de Nantes en Provence ne permet pas de définir précisément la liste des lieux de culte au début du XVIIe siècle. On sait cependant que des cultes de concession sont attribués aux protestants de Manosque, Le Luc et Velaux, conformément à l’article 11 de l’Édit de Nantes (p. 130). Si l’organisation interne des Églises provençales reste mal connue, il apparaît que la place de la province dans la France protestante du XVIIe siècle est secondaire. Le nombre de députés provençaux envoyés aux synodes nationaux est faible et ne peut être comparé qu’à celui de la Bretagne, autre région marginale dans la France réformée (p. 167). La pauvreté des Églises de Provence apparaît de manière récurrente dans les sources.
Afin de mieux définir les contours du monde protestant provençal au XVIIe siècle, Céline Borello tente d’établir une « prosopographie générale des pasteurs de Provence » (p. 190). L’auteur pâtit des lacunes de la documentation mais peut néanmoins présenter quelques figures marquantes et établir une liste encore provisoire (pp. 505-507). Le dépouillement systématique des matricules de l’Académie de Genève et des Universités étrangères (Leyde, ou encore Oxford et Cambridge) ainsi que le récolement des thèses soutenues aux Académies de Saumur et Sedan auraient pu permettre de mieux connaître la formation des pasteurs de Provence. Les autres figures des consistoires, les anciens et les diacres, sont encore plus mal connues. Céline Borello conclut ce chapitre par une étude des « fidèles provençaux » (analyse des prénoms portés par les Réformés et « essai de démographie sociale »).
L’auteur scrute enfin les signes de l’appartenance au protestantisme. Dans cette recherche de l’identité réformée provençale, Céline Borello étudie tout particulièrement les cérémonies de baptêmes et de mariages et les clauses religieuses des testaments. L’auteur montre que les lignes de clivage entre protestants et catholiques, notamment sur la question des intercesseurs, joue d’autant plus que les testateurs appartiennent à une communauté réformée forte et une classe sociale aisée (pp. 283-285).
La troisième et dernière partie de l’ouvrage envisage le « face à face catholique- protestant ».
Après avoir souligné les effets de la Réforme catholique en Provence, l’auteur expose les rôles et les actions de la Compagnie du Saint-Sacrement, de la Compagnie de la Propagation de la Foi d’Aix-en-Provence et du Parlement. C’est cependant au pouvoir royal qu’il revient de lancer le processus de lente déconstruction de l’Édit de Nantes. En 1661, François Bochart de Champigny, intendant de Lyonnais, Forez, Beaujolais et Dauphiné, et Charles d’Arbalestrier, protestant, sont nommés commissaires pour veiller aux contraventions et innovations faite à l’Édit de Nantes en Provence. S’ils souhaitent le maintien du culte à Mérindol, Velaux, Le Luc et Seyne, ils ordonnent la suppression des exercices ou sont d’avis divergents pour les autres sites provençaux. Trois arrêts du Conseil- dont on retrouve les originaux-minutes aux Archives Nationales, E 1719 (45, 46, 47)- sont rendus le 4 mai 1663. Ils confirment le maintien des quatre temples principaux mais décident l’interdiction de tous les autres (pp. 338-342).
Malgré ces décisions, le protestantisme provençal résiste jusqu’à la Révocation de l’Édit de Nantes. Une étude du mouvement d’abjurations, très marginal avant 1685, le montre assez (pp. 371-390). Céline Borello termine son étude par une analyse des effets de la Révocation de l’Édit de Nantes en Provence et tente de donner une « chronologie provençale de l’Édit de Nantes » (pp. 433-436).
A côté des thèses de Jean-Yves Carluer sur la Bretagne réformée (Université de Rennes II, 1992) ou d’Yves Guéneau sur les protestants de la province synodale d’Orléanais-Berry (Université de Tours, 1982), le livre de Céline Borello invite à réfléchir aussi bien sur les positions sociales et l’identité confessionnelle des Réformés que sur le processus de construction/déconstruction de l’Édit de Nantes au XVIIe siècle.
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