16 explorations françaises autour du monde (1714-1854)
Au XIXe siècle est également forgée la figure emblématique de l’explorateur. Les personnalités des navigateurs partis à l’aventure autour du globe sont pourtant fort différentes, tout comme leurs objectifs et motivations. Avec ce livre, j’ai ainsi voulu directement donner la parole à quinze d’entre eux, quinze Français et Françaises qui se sont embarqués pour ces voyages hors du commun entre 1714 et 1854, et je me suis plongé dans les écrits anciens acquis au fil des années pour partager avec le plus grand nombre leurs aventures telles qu’ils les ont vécues, racontées et dessinées dans leurs carnets de bord, correspondance, ou dans les ouvrages parus à leur retour. Lire leurs récits dans leur édition originale a été pour moi un honneur et un bonheur, mais également une expérience incroyable : toucher le papier ancien, sentir son odeur, apporte un complément sensoriel à la lecture des textes et au regard posé sur des illustrations.
Routes nouvelles, côtes inconnues de Hubert Sagnières, Flammarion, page 10
Aux XVIII-XIXe siècle, les explorateurs français sont nombreux à parcourir le monde sur des bateaux à voile. Louis-Antoine de Bougainville, Jean-François de Galaup de la Lapérouse et Jules Sébastien César Dumont d’Urville ne sont pas les seuls à naviguer pour trouver de nouvelles routes commerciales, repérer des terres et des îles à exploiter ou à coloniser, à collecter des spécimens de plantes ou à acheter des produits exotiques à revendre en Europe comme des fourrures, de l’huile de baleine, des œufs de tortue ou de l’or. L’un des intérêts de ce livre est de redonner la parole à des explorateurs généralement moins connus des lecteurs à travers la fidèle reproduction et contextualisation d’extraits de leurs carnets de bords, comptes-rendus de voyage ou lettres écrites à leur famille.
Ce très beau livre, signé par l’ancien président d’Essilor et passionné d’explorations Hubert Sagnières, présente plus d’une quinzaine d’expéditions avec la reproduction de très nombreux textes de l’époque et de nombreuses illustrations en très grand format (peintures, gravures). Des ports de Toulon et du Havre, ces explorateurs se lancent généralement dans un tour du monde. Les escales les plus fréquentes sont Macao, Valparaiso, Rio de Janeiro, Singapour, Shanghai et Batavia.
Les grandes heures des explorations à la voile
La première expédition est celle de Guy Le Gentil de la Barbinais, le premier français à avoir réalisé un tour du monde de 1714 à 1718. Installé à Nantes après ce long séjour en mer, la Barbinais atteint les côtes brésiliennes en 1714, contourne l’Amérique du Sud par le détroit de Magellan, puis traverse l’Océan Pacifique pour atteindre la Chine en juillet 1716. Il témoigne notamment de la pratique des pieds bandés pour les jeunes ville à Xiamen en 1717.
L’itinéraire suivi par Pierre Marie François de Pagès est singulier. La traversée du Mexique d’Est en Ouest depuis la Nouvelle-Orléans, puis celle de l’Irak au Liban actuel l’amène à décrire les peuples de l’intérieur des terres en plus de celles vivants sur les littoraux. Il prend le temps de décrire la place des femmes syriennes et la relative homogénéité en matière de richesse.
A son départ en 1790, Etienne Marchand a pour objectif de cartographier les côtes du Nord-Ouest de l’Amérique du Nord, ce qui sera chose faite. Mais la récente interdiction chinoise concernant les importations de fourrure va briser son élan : les nombreux peaux de loutres achetées dans la baie de Sitka en Alaska actuel sont devenus invendables à Macao ! Une mésaventure analogue concerne l’expédition de Camille de Roquefeuil (1816-1819) en raison de l’effondrement du prix du bois de santal et du cours des peaux importées de l’Alaska russe. Il en sera même réduit à demander des provisions à des navires croisés le long des côtes africaines pour assurer la survie de l’équipage.
L’expédition de Louis Claude de Saulces de Freycinet (1817-1820) est une réussite scientifique. C’est à son épouse, Rose, âgée de 23 ans, que l’on doit le journal relatant ce voyage en Asie du Sud-Est, à Hawaï (îles Sandwich), en Australie (Botany Bay) et aux Malouines. Montée clandestinement, Rose raconte son périple sous la forme de lettres écrites à une amie.
Louis-Isidore Duperrey réussit un tour de monde et sillonne l’Océanie sur la Coquille sans perdre d’homme, un exploit pour l’époque. Il a évité le scorbut en utilisation la stérilisation à chaud (l’appertisation), récemment mise au point par Nicolas Appert. le fils de Louis-Antoine, Hyacinthe de Bougainville, effectue une mission diplomatique en Asie sur la Thétis et l’Espérance, entre 1824 et 1826. Le retard de la France sur les Pays-Bas et l’Angleterre est manifeste dans sa description de « l’opulente Compagnie des Indes dont les principaux employés ont des émoluments considérables » à Macao (page 212).
Les explorateurs Auguste Bertrand Duhaut-Cilly et Abel Aubert du Petit Thouars se croiseront dans le Pacifique lors de leurs expéditions respectives. Les deux voyages de Cyrille Pierre Thédore Laplace (sur la Favorite de 1830 à 1832, puis l’Artémise de 1837 à 1839) sont suivis par celui d’Auguste Nicolas Vaillant pour collecter de nouvelles espèces d’animaux et de plantes. Enfin, la nostalgie guette déjà Gaston de Roquemaurel lors de son tour du monde entre 1850 et 1854 : l’heure n’est plus à la voile pour parcourir le globe, mais aux bateaux à vapeur.
S’inscrivant dans la lignée des livres d’explorations publiés par le petit éditeur bisontin « la lanterne magique », ce très beau livre disponible en français et en anglais est une véritable réussite graphique et scientifique. Les archives consultées et mises en valeur par Hubert Sagnières sont une invitation à la découverte géographique. Volumineux et esthétique, c’est un très beau cadeau pour les amateurs de voyage, d’aventure et d’histoire moderne.
Pour aller plus loin :
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