Jean PruvostProfesseur émérite de lexicologie et de lexicographie, tient aussi des chroniques dans de nombreux médias est l’auteur d’un dictionnaire, qui devrait intéresser nombre d’historiens et de géographes. Cet ouvrage porte sur les boissons alcoolisées, le vin, la bière et le champagne comme indiqué dans le titre mais aussi le whisky, le rhum, l’absinthe, l’eau-de-vie, le cidre et d‘autres encore… Pour ce, il s’appuie, entre autres, sur plusieurs dictionnaires rédigés de la fin du 16ème siècle à nos jours.

Un livre pour les amateurs de belles-lettres

Évidemment vu le parcours de l’auteur, les historiens ou géographes amateurs de littérature y trouveront de quoi entretenir leur goût pour celle-ci. Dans nombre d’entrées, J. Pruvost présente l’histoire de tel ou tel mot. Ainsi, pour lui, le mot xérès attesté dès 1573, est quelquefois écrit Jerez ou Xerez au 19ème siècle, comme le fit Prosper Mérimée, avant que la graphie actuelle ne s’impose. Ce sont les Anglais, comme pour le champagne, grâce leur soit rendue, qui lui ont rendu hommage mais souvent sous le nom de sherry. L’intérêt de l’ouvrage réside aussi dans les auteurs cités : poètes, romanciers, chanteurs… ils sont nombreux à avoir trouvé leur inspiration dans les breuvages étudiés ici. Qu’une première gorgée… de bière (Philippe Delerm) leur ouvre les portes d’un plaisir « minuscule et pourtant intense » ou qu’elle aide Le Poulpe (inventé par Jean-Bernard Pouy) à mener ses enquêtes. De Rabelais à Brassens en passant par Dumas, les vins ou la bière sont souvent cités.  reste que l’auteur se demande si Flaubert « mérite le champagne qu’il absorbe ou fait absorber à ses personnages ».

Un ouvrage utile aux historiens ?

L’historien astucieux fera feu de tout bois en lisant cet ouvrage. Il lui sera rappelé l’importance des abbayes et des religieux dans l’existence des vignobles dans nombre de régions.  Il pourra aussi réfléchir aux évolutions du matériel vinaire. Depuis les « kvevri » géorgiens (jarres en terre cuite enfouies dans le sol), en passant par les amphores, puis les tonneaux en bois et les bouteilles, le vin a rempli des contenants fort divers. Quant aux bouchons, ils ont eux aussi changé : passant du bois pour les tonneaux, au chanvre, au verre, au cristal ou au liège puis au plastique alimentaire, pour les bouteilles. L’évolution des vins eux-mêmes est souvent présentée. Les entrées consacrées à Dom Pérignon, Ruinart et d’autres permettent de saisir l’évolution des vins de Champagne ainsi que le goût des élites anglaises et françaises pour le vin effervescent de cette région, à partir du 18ème siècle. En effet, le vin est un produit qui circule et est largement exporté que l’on pense au Porto, au Xérès, aux vins de Bordeaux, au champagne, aux vins italiens et à bien d’autres encore. L’étude de la circulation des vins permet d’ailleurs d’éclairer l’état des échanges économiques internationaux à un moment donné. On notera quelques oublis cependant, les vins dits du nouveau-monde (Californie, Argentine, Chili, Australie) ne donnent lieu à aucune entrée spécifique alors que la Chine, premier producteur mondial de bière, y a droit et que l’Amérique du nord est référencée pour cette boisson seulement. Consolons-nous, Thomas Jefferson, grand amateur de Blanquette de Limoux, est présenté ! Enfin, la colonisation joue aussi un rôle dans la diffusion de nouvelles boissons, comme le suggèrent les entrées rhum ou mauresque.

Un livre pour les géographes ?

La plupart des grandes régions viticoles de la France (Alsace, région de Bordeaux, Bourgogne, Champagne) ont droit à une entrée dans laquelle elles sont rapidement présentées mais non le Languedoc ou la Provence. À l’échelle locale aussi ce dictionnaire apporte quelques informations géographiques avec une description rapide de lieux d’implantation de très bons vins et de grands crus (Banyuls, Jurançon, Clos-Vougeot, Meursault…). On pourra cependant regretter que l’aspect strictement géographique soit un peu succinct.

Des bons vins, de la bière, du champagne… de la bibine mais… quasiment pas de piquette

L’auteur a consacré une entrée à la « bibine » (boisson de mauvaise qualité) mais ne signale pas l’emploi de cette expression par Christian Bonnet, alors ministre de l’Agriculture, en décembre 1976, pour critiquer les vins produits en Languedoc-Roussillon et délégitimer le combat des vignerons de cette région. La piquette (vin médiocre ou boisson peu alcoolisée qu’on obtient en faisant passer de l’eau sur le marc de raisin, après l’avoir pressuré ), elle, n’est pas analysée de manière spécifique mais apparaît dans d’autres entrées, comme dans celle consacrée au Château d’Yquem. Il est aussi possible d’avoir une lecture plus « œnologique » de cet ouvrage. Y sont en effet présentés les vins rouges, blancs, rosés, clarets, jaune, orange, effervescents, de noix, de prunelle, de paille, de glace, bourru, résiné, nature, bio, biodynamique… Les boissons obtenues à partir de vin telles les mistelles « Il s’agit d’un moût de raisin dont la fermentation a été arrêtée par une addiction d’alcool ». (le mot semble avoir été imposé par les colons d’Algérie) comme le Pineau des Charentes, le floc de Gascogne ou la délicieuse carthagène ne sont pas oubliées. L’auteur s’intéresse aux vins venus de France ou d’ailleurs mais aussi aux alcools forts et aux bières, d’où les entrées Belgique ou Allemagne.

 

Un ouvrage à recommander aux amateurs de vins, de bière et de champagne, qui les savourent avec modération. Il pourrait faire un cadeau amusant que pourrait utilement accompagner le livre de Gilbert Garrier, Histoire sociale et culturelle du vinLarousse, 2008 ou L’incroyable histoire du vin. De la préhistoire à nos jours, 10 000 ans d’aventure de Benoist Simmat et Daniel Casanave Les Arènes BD, 2019 et Histoire(s) de vin – 33 dates qui façonnèrent les vignobles français, d’Éric GlatreÉditions du Félin, 2023.

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