Compte-rendu réalisé par Marianne Bertrand, Lycée A. Malraux, Allonnes.
Israël Finkelstein et Neil Asher Silberman, les auteurs de La Bible dévoilée livre paru chez Bayard en 2002 et grand succès de librairie, réitèrent avec Les rois sacrés de la Bible. A la recherche de David et Salomon, un ouvrage paru chez le même éditeur en 2006.
Ce nouveau livre de 317 pages fait le point de la recherche sur les deux grands rois de l’Israël biblique. Les auteurs reprennent pour ce faire une argumentation similaire à ce qui avait été la base du succès du précédent ouvrage, à savoir les preuves archéologiques confrontées aux données littéraires bibliques. Tous deux sont des spécialistes, le premier dirige l’Institut archéologique de l’université de Tel-Aviv et le second est le directeur historique au Ename Center for Public Archeology and Heritage Presentation de Belgique.
Selon le comput biblique, David et Salomon, le père et le fils, ont régné respectivement quarante ans chacun sur Israël, le premier de 1010 à 970 et le second de 970 à 931 av. J.C. David a succédé à Saül, premier roi sur « tout Israël » à propos duquel la mémoire biblique n’a surtout retenu que les erreurs religieuses. En revanche, il revient à David d’avoir établi un grand royaume unifié en muselant tous les ennemis extérieurs et intérieurs et à Salomon d’avoir construit un temple et un palais à Jérusalem, fournissant à « tout Israël » la réputation d’un royaume riche, paisible et sagement gouverné. Leur postérité est immense et leur gloire a traversé les siècles, ils sont devenus des modèles pour les rois ultérieurs, y compris chez les rois chrétiens. Pourtant, la plupart des récits les concernant sont ou fictifs ou grandement enjolivés. La construction littéraire paraît d’autant plus évidente que le début d’une mise par écrit ne s’est pas faite avant le VIIIe siècle av. J.C., soit deux siècles après les événements qui concernent ces rois. Les faits se sont d’abord transmis oralement.
La première partie de l’ouvrage est dédiée à ce qui peut être retenu d’historique sur les premiers rois d’Israël, Etat idéal qui n’a certes pas existé comme tel au Xe siècle av. J.C. A cette époque, Israël n’est pas une entité politique unifiée, et l’ensemble de ce territoire est divisé en deux espaces géographiques, Nord et Sud, assez distincts et dont l’histoire n’est pas toujours convergente. Dans ce contexte, David est un brigand, courant et bataillant dans les hautes terres de Juda au sud, il s’impose comme l’homme fort de la région capable de rassembler sous son nom, éleveurs et agriculteurs. Il s’établit à Jérusalem et fonde alors une dynastie, mais sans qu’on puisse parler de « royaume ». Les descriptions bibliques correspondent à la situation archéologique de Juda au Xe siècle et David, brigand au grand cœur, renvoie à une figure de hors-la-loi qui existait avant lui et dont il est fait mention dans les lettres égyptiennes d’Amarna, précieuse source du XIVe siècle av. J.C.
Parallèlement, Saül réalise une alliance entre les tribus du nord du pays, lequel est notablement plus prospère que le Sud. Cette prospérité ou puissance naissante suscite l’animosité et la convoitise de Sheshonq Ier, pharaon de la XXIIe dynastie qui entreprend une campagne brutale dont les effets dévastateurs sont relevés par l’archéologie, la victoire égyptienne est rapportée par le relief de Karnak, dans le temple d’Amon. David a peut-être profité de la situation pour étendre sa domination en direction du Nord. Le premier entremêlement biblique de l’histoire de Saül et de celle de David provient de la mémoire d’accusations mutuelles portées par les partisans de l’un et de l’autre, David étant plus ou moins suspecté de trahison.
Selon nos deux auteurs, les détails de la vie de cour du temps de David et de Salomon proviennent de ballades et récits que l’on se raconte au coin du feu et qui reflètent pour une grande part la vie aristocratique tel qu’elle est vécue un siècle plus tard en Juda, quand émerge enfin quelque chose qui ressemble à une royauté au moment d’une autre éclipse partielle du Royaume du Nord.
La deuxième partie traite de l’élaboration de la légende quand, mise par écrit, elle étoffe amplement les souvenirs des premiers rois. La légende prend réellement corps à partir du VIIIe siècle à une époque où, preuves archéologiques à l’appui, le petit royaume du Sud connaît une expansion démographique et économique sans précédent, parce qu’il bénéficie d’une certaine manière de la disparition de son rival du Nord, vaincu définitivement par les puissants Assyriens en 722 av. J.C. La population s’accroît brusquement du flot des réfugiés venant du Nord, Jérusalem déborde de ses murailles, de nouveaux sites apparaissent. Le roi Ezéchias de Juda lance alors une réforme religieuse dans laquelle le Temple de Jérusalem joue un rôle central, sans doute la base d’une première version de la construction du temple par Salomon. Une histoire officielle est d’ailleurs compilée qui cherche à unifier les traditions du Nord et du Sud et dans laquelle l’on fait relever les événements de la volonté divine. Une chronologie fait se succéder Saül et David – deux rois choisis par Yahwé – mais celle-ci, écrite à travers un prisme judéen, donne la meilleure part à David à qui a été donné par Dieu, et à lui seul, la promesse dynastique, ce que l’histoire en train de se réaliser, confirme. En effet aucune dynastie durable n’a existé dans le Nord et au final ce royaume, hérité de Saül, a disparu, alors que les descendants de David sont toujours sur le trône d’un pays de plus en plus prospère.
La légende s’embellit ensuite à travers l’amplification littéraire du personnage de Salomon. Les grands palais et écuries construites au VIIIe siècle – aussi bien au Nord avant sa disparition, qu’au Sud – sont, dans la Bible, tous attribués à Salomon. De même, la prospérité éblouissante d’Israël au temps de Salomon n’est en fait que le miroir de l’administration royale et des circuits commerciaux mis en place au VIIe siècle par Manassé de Juda.
Enfin, sous le règne du très pieux roi Josias qui à son tour mène une grande réforme religieuse à la fin du VIIe siècle, les récits des premiers rois d’Israël sont retouchés en fonction de l’idéologie religieuse deutéronomiste qui émerge concomitamment. Celle-ci porte un jugement sur chacun des rois d’Israël. Les commandements – dont on dit qu’ils ont été donnés à Moïse sur le Sinaï – sont l’aune qui mesure, sévérité ou louange, selon. Même si la critique ne les épargne pas, David et Salomon deviennent les références de la royauté sous le patronage desquels se place Josias, leur héritier direct, en un temps où dire la splendeur et la grandeur des premiers rois valident les ambitions et le programme politique de Josias.
La dernière partie explore l’impact de la légende sur l’histoire elle-même, à partir du moment où celle-ci prend un tournant radical avec la destruction du temple de Jérusalem et la déportation à Babylone de 587 av. J.C. La révision deutéronomiste se poursuit en exil avec l’insertion d’annonces prophétiques, lesquelles promettent en consolation le retour d’un descendant de David sur le trône d’Israël. Plus tard, bien après le retour des exilés en terre de Judée (fin du VIe siècle), les livres des Chroniques sont rédigés (IVe siècle avant notre ère), ils revisitent l’histoire d’Israël et de sa monarchie en omettant toutes traces de faiblesses chez David et Salomon, faisant d’eux des monarques uniquement préoccupés de la construction du temple et de l’établissement des rites cultuels. Parallèlement, David devient l’auteur de la plupart des psaumes et Salomon, celui qui a écrit les Proverbes et le Cantique des Cantiques. La Sagesse de Salomon écrit pendant la période hellénistique rend ce roi philosophe à la façon des Grecs. Enfin on trouve maintes allusions messianiques dans les textes de Qumrân, célébrant David et l’alliance éternel que Dieu a passé avec lui et ses descendants.
Cela explique la présence de l’expression « fils de David » pour qualifier le Jésus des Evangiles, Jésus qui d’une part descend de David par Joseph et d’autre part qui hérite de David en accomplissant les promesses messianiques. Les Pères de l’Eglise trouvent dans chacun des épisodes de la vie de David et de Salomon des métaphores de la vie du Christ et de son Eglise. Par ce biais les deux grands rois d’Israël deviennent des modèles pour les rois chrétiens.
Le livre se conclut par des appendices qui focalisent sur quelques points archéologiques précis pouvant faire difficulté ou donner lieu à controverse, ainsi le problème des fouilles à Jérusalem actuellement.
Cet ouvrage est en quelque sorte une suite du précédent à propos duquel les biblistes avaient souligné le peu d’importance accordé par les auteurs à la recherche littéraire pour ne se soucier que des résultats archéologiques. Il semble qu’Israël Finkelstein et Neil A. Silberman aient fait droit à cette critique pour mêler de façon plus étroite archéologie et critique littéraire. Ce faisant, l’aspect le plus intéressant du livre reste évidemment les propositions d’explications établies par rapport à l’archéologie – même si quelques-unes ont déjà servis dans le premier livre, le reste n’étant pas d’une surprenante nouveauté. En effet la stratification littéraire extrêmement complexe de la Bible est assez bien connue et vulgarisée depuis un bon demi-siècle et la plupart de ce qui est écrit sur David et Salomon dans la deuxième et troisième partie de cet ouvrage, a déjà été largement expliqué ailleurs. Les révélations promises en 4ème de couverture ne sont donc pas si étonnantes. L’ensemble est néanmoins un ouvrage agréable à lire et bien documenté pour qui n’a jamais lu, par exemple, une introduction récente à l’Ancien Testament.
copyright Clionautes