Les sociétés africaines et le monde, une histoire connectée. 

Voici un ouvrage de préparation du concours comme il en existe depuis longtemps. Les plus anciens ont connu ces ouvrages de petite taille, les Sedes, de chez Hachette, avec leur couverture verte, couleur commissariat qui n’a pas vu la peinture depuis les années 50.

Depuis, d’autres éditeurs se sont lancés dans ce que l’on peut appeler un marché de niche, cherchant à répondre à un besoin spécifique. On me permettra de noter les effets pervers de ce système, lorsque, notamment pour le CAPES, l’ouvrage de circonstance est le seul que de trop nombreux candidats ont parcouru. Il est vrai que la réduction de la part scientifique dans la note finale du candidat admis incite évidemment à ce travers.

La situation est heureusement différente pour l’agrégation, car quelle que soit la qualité intrinsèque de ces manuels, ils doivent être nécessairement associés à une recherche personnelle croisant les approches de la question traitée, ce qui permet aux candidats de construire leur propre réflexion sur les différents sujets possibles. C’est en tout cas la démarche que préconise l’équipe de Clio prépas que j’anime aujourd’hui, étant par ailleurs préparateur pour différents concours dont l’agrégation d’histoire.

La nouvelle question de l’agrégation d’histoire : « les sociétés africaines et le monde : une histoire connectée », a permis aux éditions Ellipses de partir en pôle position avec la parution de l’ouvrage en juillet 2022. Cela a pu susciter certaines polémiques, voire des accusations qui seront abordées par ailleurs.

L’histoire connectée sort ainsi de cercles d’initiés, même si notre ami Patrick Boucheron a pu très largement contribuer à sa popularisation, pour faire son entrée dans les questions du concours. On a pu voir, notamment avec les travaux de Jean-Louis Margolin, que les sociétés qui subissaient le choc de la colonisation n’étaient pas simplement passives, mais qu’elles construisaient des connexions, par des échanges matériels mais aussi culturels.


Le premier chapitre qui introduit la question est rédigé par le directeur de la publication, Yannick Clavé et il présente une mise en perspective du sujet, encore une fois sous l’angle des connexions. On retrouve d’ailleurs ces références, dans la lettre de cadrage concernant le concours. Il s’agit là d’une bonne présentation de l’historiographie du sujet, tellement classique qu’on ne comprend pas comment un seul historien pourrait s’en attribuer la paternité. Un cours général du même genre prodigué à Nanterre reprenait peu ou prou, les mêmes idées, le même ordre, les mêmes formules, il y a plusieurs années.

À ce propos il nous appartient de faire, eu égard à certains développements auxquels nous faisions allusion plus haut, la mise au point suivante :

Le droit de réponse de l’auteur

Des accusations d’intertextualité, – et on appréciera la précaution de langage pour ne pas utiliser un autre mot qui serait diffamatoire –, ne sont jamais dénuées de conséquences. La calomnie laisse toujours des traces, même si, dans cette affaire, peu de place a été laissée au contradictoire.
Cela est d’autant plus désolant que ces règles de base du droit soient ignorées par des professeurs ainsi que par certaines structures censées les représenter. 

Il y a des risques évidents que cette affaire soit classée sans suite par une institution judiciaire sans doute débordée, mais ce qui restera ce sera le poison de la calomnie qui n’est jamais totalement éliminé par l’organisme.


On peut s’appuyer sur ces quelques évidences, que l’on retrouve par ailleurs :

  • Les sociétés africaines n’ont pas subi le monde, mais leur histoire, tout au long du XXe siècle, s’est faite dans et avec le monde.
  • Si le continent africain a été pris dans des relations très asymétriques avec l’Occident, les sociétés ont pu développer une certaine forme d’autonomie qui s’est inscrite dans la longue durée.

La vision que l’on pouvait avoir de l’ordre colonial pouvait apparaître comme modélisatrice, issue d’un projet conçu au départ, associant missionnaires et militaires et marchands. En réalité l’examen attentif des sources, et notamment africaines, montre que cet ordre colonial pouvait apparaître comme chaotique, construit au gré des circonstances et des contacts avec les populations et les territoires.

Yannick Clavé propose d’ailleurs de saines lectures, comme les ouvrages des intellectuels africains qui se sont inscrits résolument dans le processus de décolonisation, comme Franz Fanon, Sekou Touré, Aimé Césaire avec son discours sur le colonialisme, et même l’œuvre poétique de Léopold Sédar Senghor. Ces personnages doivent être abordés par une réflexion sur la construction de leur pensée pour bien montrer comment se réalise cette connexion entre des intellectuels « occidentalisés » qui inscrivent leur spécificité dans la longue durée pour guider leur action en faveur de l’émancipation du continent.

Les sociétés africaines n’ont pas seulement subi le poids de la domination coloniale. Elles ont pu s’organiser, se mobiliser, pour pouvoir contester et résister.

Au lendemain des deux conflits mondiaux il est évident que l’ordre colonial si tant est qu’il existe, ne pouvait se perpétuer à l’identique. Et l’on peut dire que la seconde guerre mondiale a permis l’accélération d’un processus qui avait quand même commencé au lendemain de la première, comme le montre, au Maroc, la révolte d’Abd El Krim.

Il convient d’ailleurs de montrer que la domination coloniale a pu satisfaire une catégorie de population intermédiaire, celle que l’on aborde dans les colonial studies, avec le rôle des acteurs locaux qui ont pu collaborer ou s’accommoder de la domination occidentale.

Cette question a pu être abordée largement dans les travaux concernant la colonisation de l’Algérie, et il est tout à fait positif que ces questions-là commencent à être traitées sur l’ensemble du continent africain.

Les sociétés africaines connaissent également des mobilités et des circulations. Des individus ou des groupes d’individus, dans la longue durée, on peut établir une multitude de connexions à toutes les échelles. Entre régions, entre villes et campagnes, franchissant les frontières coloniales ou les déserts, les populations se déplacent, parfois au gré des points d’eau et des pâturages. On notera d’ailleurs que l’on retrouve ces questions dans la bande sahélo-saharienne dans les contacts conflictuels, aujourd’hui instrumentalisée par les groupes armés terroristes, entre pasteurs et agriculteurs sédentaires.

Si l’ordre colonial a pu se construire entre le début du XXe siècle la Première Guerre mondiale, avec ce que l’on pourrait appeler la « finalisation » de la colonisation du continent, à l’exception de l’Éthiopie et du Libéria, ce face-à-face entre colonisateurs et colonisés laisse davantage la place à des oppositions entre puissances européennes.

L’ordre colonial s’impose parfois par la force, comme avec la colonne Voulet Chanoine au Niger en 1899 ou les organisations de ce que l’on s’accorde désormais à qualifier de génocide, celui des Nama et des Hereros en Namibie, entre 1904 et 1908.

D’une guerre mondiale à l’autre la circulation des idées d’émancipation par le biais de partis, par l’action de l’internationale communiste parfois, avec le soutien des milieux émigrés en Europe et les diasporas, montre que la colonisation, malgré l’exposition coloniale de Paris, n’est plus forcément un fait établi.

Après 1945 comme après 1918, les puissances coloniales ne semblent pas avoir pris la mesure de cette volonté de changement, ce qui peut donner lieu à des affrontements majeurs comme en Algérie ou à Madagascar entre 1945 et 1947.

La répression qui s’abat ne parvient évidemment pas à éradiquer cette aspiration massive à l’émancipation, d’autant que l’Union soviétique, les États-Unis, avec la tribune qu’offre l’organisation des Nations unies, en facilitent l’expression.

La décolonisation se caractérise par cette accession à l’indépendance politique de la plupart des états africains, entre 1956 et 1960, même s’il peut subsister, comme en Rhodésie ou avec les colonies portugaises d’Afrique australe et de Guinée-Bissau, ce qui peut apparaître comme des anomalies historiques.

Au lendemain des indépendances les nouveaux états cherchent des modèles de développement, dans la coopération avec l’ancienne puissance coloniale parfois, mais également en rupture, en adoptant des modèles différents. Les sociétés africaines s’ouvrent également au monde, sans passer par le prisme du colonisateur, ce qui permet le développement d’un métissage culturel original qui mérite également d’être étudié dans le cadre de la préparation du concours. Car en effet, c’est bien d’une connexion qu’il s’agit entre des populations, particulièrement leurs élites, et un monde dans lequel, entre les années 1960 et 1980, souffle un air de liberté.

Toutefois l’ombre de l’héritage colonial reste encore présente et dans l’immense majorité des cas les régimes qui se mettent en place sont très loin de reprendre à leur compte les valeurs démocratiques.

Dans le chapitre suivant, Chloé Maurel propose une synthèse historiographique sur l’histoire globale/connectée qui peut se révéler particulièrement utile dans le cadre du concours. La question posée est de voir comment le développement de l’histoire globale depuis des années 80 a pu être intégré par les historiens africains, mais également par les africanistes, de façon plus générale. On retrouve parmi les historiens qui se sont intéressés aux mondes en développement, André Gunter Frank et Edward Saïd qui ont repris à leur compte la théorie de la dépendance permettant d’analyser les rapports de domination dans le monde selon le modèle centre périphérie.

L’historien indien Ranajit Guha a voulu par exemple s’intéresser, au-delà des élites, à ce qu’il appelle « les classes subalternes », c’est-à-dire à ceux qui ont pu à la fois subir, mais également peut-être bénéficier de la colonisation. Cette critique économique et sociale de la colonisation n’a pas épargné le discours orientaliste colonial et l’Européocentrisme largement dominant dans les sciences sociales. On retrouve également les apports de Patrick Boucheron qui a pu mettre en lumière le rôle spécifique du Sahel, parfaitement intégré au XVe siècle est directement connecté en raison de son rôle de plaque tournante du commerce de l’or, du sel et des esclaves.

L’historien sénégalais Cheikh Anta Diop a également émis l’idée pionnière d’une civilisation égyptienne noire, ce qui a pu forcément changer de perspective à propos de la conception que l’on pouvait avoir de la période pharaonique.

Les liens entre le militantisme et l’histoire se retrouve également dans les travaux de l’historien du Burkina, Joseph Zerbo, particulièrement investi dans la défense des droits de l’homme et de la démocratie. Dans son œuvre il analyse des évolutions sociales, économiques et politiques de l’Afrique ce qui permet de la placer au même rang, dans l’histoire mondiale, que les autres continents.

En 1988 également, l’historien congolais Valentin Mudimbe publie « l’invention de l’Afrique », qui cherche à détacher les savoirs africains des « discours d’explorateurs, d’agents coloniaux, d’anthropologues et de missionnaires ».

Les plus anciens se souviennent de la publication de l’histoire générale de l’Afrique par l’Unesco, sous l’impulsion du sénégalais Amadou Maktar M’Bow, alors directeur général, qui rappelle que l’histoire propre de l’Afrique a été trop longtemps négligée. L’esprit de l’ouvrage est proprement panafricain, même s’il conviendra de relativiser cette aspiration en raison des tensions géopolitiques et interétatiques toujours présentes sur le continent.

L’histoire connectée de l’Afrique passe également par les diasporas et l’on retrouve également les travaux de l’actuel ministre de l’éducation nationale sur « la condition noire » publiés chez folio en 2008. Les différents partis communistes et le mouvement communiste international, à partir des années 20, ont pu jouer un rôle d’initiateur du mouvement anticolonial en Afrique. Les étudiants africains qui ont pu, en allant se former en Europe de l’Est, particulièrement à Moscou, contribuer à la diffusion du marxisme sur le continent. On ne pourra pas s’empêcher de voir, 40 ans après l’effondrement du communisme que chez certains militaires africains, à défaut d’une référence au marxisme-léninisme, un certain tropisme pro-russe a pu laisser des traces.

Le troisième chapitre de l’ouvrage, proposé par Sarah Clavé sera particulièrement pertinent, notamment si cette question bascule sur l’agrégation interne. Il traite en effet de la question dans les programmes scolaires de l’enseignement secondaire et aborde les réflexions didactiques et les enjeux pédagogiques.

On pourra y trouver les liens en QR code vers différents documents, c’est-à-dire les ressources institutionnelles, et on pourrait s’interroger, au vu du temps que les sites académiques, peuvent mettre pour fournir un accompagnement pour les nouvelles questions des programmes scolaires, sur la pertinence de citer quelques sites associatifs de référence. On comprendra que les sites des Clionautes, notamment Clio collège et Clio lycée pourraient légitimement y figurer.

L’auteur, l’autrice comme on voudra,  propose ainsi une lecture attentive d’un ensemble que l’on trouve sur EDUSCOL en faisant remarquer que l’Afrique occupe une place finalement assez importante dans les programmes du collège comme du lycée. Indépendamment de l’utilisation de ces remarques dans les concours, cela permettra d’argumenter contre un incessant discours victimaire que l’on entend assez souvent à propos de ce que l’on « n’enseigne pas à l’école », que ce soit sur la place des nord-africains dans la libération de l’Europe, comme à l’époque du film « Indigènes », ou sur n’importe quel autre sujet d’ailleurs. Dans ce domaine, il faut aussi associer toutes les catégories de ceux qui parlent sur les plateaux de télévision des programmes scolaires sans les connaître ni les mettre effectivement en œuvre, et qui affirment de façon péremptoire que l’on ne parle pas / plus de Napoléon, Louis XIV, Saint-Louis, Jeanne d’Arc, la colonisation, les harkis, les Chouans, pas plus que de tout autre sujet révélateurs de leurs obsessions.

La deuxième partie de l’ouvrage ouvre par une présentation, par son directeur, des sociétés africaines autant de la domination coloniale européenne dans la première moitié du XXe siècle.

Fort logiquement, on analyse successivement la diversité de la domination coloniale européenne en Afrique en montrant comment se sont constitués les domaines coloniaux britanniques et français pour les plus importants, allemands, italiens, belges et ibériques pour ceux que l’on qualifie de secondaires. Il faut toutefois noter, que l’exception notable de la Rhodésie en 1980, il faudra attendre 1975 pour que le vieil empire colonial portugais, sans parler du Sahara « espagnol », l’accès à l’indépendance. Par ailleurs l’actualité migratoire donne à ces enclaves espagnoles en territoire marocain, Ceuta et Melilla, une importance évidente.

Le deuxième chapitre ouvre ainsi sur la diversité des systèmes administratifs ainsi que sur l’appropriation des espaces naturels africains. Si l’on retrouve fort logiquement le mécanisme de l’administration coloniale qui sanctionne l’infériorité juridique des africains, sous des formes diverses, on lira avec beaucoup d’attention cette partie consacrée aux « collaborants », c’est-à-dire les intermédiaires indispensables qui permettent d’assurer cet ordre colonial.

Cet ordre colonial repose sur la violence, ainsi déclinée entre surveillance, répression et coercition, ce qui permet d’aborder à la fois les violences institutionnelles, parfois barbares comme l’affaire Gaud – Toke sur le territoire de l’Oubangui Chari, ce qui correspond au Centrafrique.

Le commandant de poste et son adjoint décident en effet de faire exécuter un indigène, le jour de la fête nationale, en lui mettant de la dynamite autour du cou le 14 juillet 1903. Il faudra deux ans pour que le scandale éclate, et que les deux « civilisés » écopent d’une peine de cinq ans de prison, avec une remise qui porte leur durée de détention à seulement deux ans.

Le continent africain semble rendre fous certains esprits, comme le capitaine Voulet et le lieutenant Chanoine qui, à la tête d’une colonne « infernale » se livrent pendant près d’un an à des exactions sur les populations des territoires traversés jusqu’au lac Tchad. Cela rappelle un peu le personnage d’Apocalypse now, celui du colonel Kurz, incarné par Marlon Brando, à la tête de ses troupes indigènes. Il est vrai que la colonne infernale Voulet-Chanoine était composée de tirailleurs et de spahis que l’on appelait alors les troupes indigènes.

Enfin, une mention particulière est apportée par le cas extrême constitué par le massacre des Herero  et des Nama, entre 1904 et 1908 sur ce territoire du sud-ouest africain allemand devenu avec l’indépendance la Namibie.

Cette violence de l’ordre colonial suscite une résistance multiforme qui va de la fuite face aux obligations imposées, la contestation idéologique au nom des valeurs du colonisateur, jusqu’à la lutte armée. Cela se produit entre 1915 et 1917 lorsque l’effort de guerre est également imposé aux populations locales, en Tunisie, à Madagascar et en Haute Volta.

Cette période de l’entre-deux-guerres est également marquée par la structuration et l’internationalisation des revendications nationalistes des africains. Cela se traduit par des mouvements de grève, au Sénégal comme en Algérie ou en Tunisie entre 1919 et 1920. Les Africains mobilisés sur le front ne semblent pas avoir été insensibles aux mouvements sociaux dans la métropole. Les sociétés traditionnelles semblent vouloir se politiser, et dans les territoires du Togo et du Cameroun, anciennes colonies allemandes, la résistance semble se développer, avec des formes de fuite face au travail forcé, sur fond de révolte anti fiscale.

Au Togo les Allemands semblent pouvoir continuer à mener un travail de sape contre les autorités françaises en ce faisant l’écho, dans les années 20, des plaintes des chefs traditionnels. Au Maroc la révolte d’Abd El Krim reçoit le soutien du parti communiste français, y compris de façon bruyante à la chambre des députés, tandis qu’en Algérie le parti communiste parvient, même de façon marginale, à rassembler des Européens et des indigènes.

On notera l’impact de la diaspora algérienne installée en région parisienne, fortement influencée par le parti communiste français et la CGTU qui a pu servir d’école de formation politique pour quelqu’un comme Messali qui crée par la suite l’étoile nord-africaine. Il rajoutera à son patronyme le hadj, lorsqu’il fera le lien entre les aspirations nationalistes et l’islam, anticipant en réalité ce que fera le FLN bien plus tard.

Après ces cadres généraux, évidemment bienvenus pour aborder cette question, on trouve des études régionales dans cette deuxième partie consacrée à la première moitié du XXe siècle.

On commence ainsi par deux territoires géographiquement opposés, le Maroc à l’ouest et la Cyrénaïque et la Tripolitaine à l’est. Entre les deux on se réservera pour la Tunisie et l’Algérie. Le chapitre traité par Odile Moreau présente ainsi les enjeux de l’Afrique du Nord après la prise d’Alger en 1830 et ses répercussions sur les deux territoires cités plus haut. Malgré leur éloignement géographique ils semblent présenter des caractéristiques communes, notamment le rôle des confréries, même si dans le cas du Maroc le royaume chérifien dispose de sa propre légitimité. Paradoxalement, ce territoire marocain qui n’a jamais été sous l’influence ottomane, contrairement aux autres au Maghreb comme au Machrek, semble vouloir faire appel à la sublime Porte pour éviter de passer sous le contrôle européen, de la France en l’occurrence. Le contexte est sensiblement différent en Tripolitaine et en Cyrénaïque, provinces ottomanes, sous administration directe à partir de 1835.

Les ambitions italiennes se manifestent depuis le début des années 1870, d’autant que le traité du Bardo en Tunisie et le protectorat français en 1881 poses le problème de la délimitation des frontières avec la Tripolitaine, sujet qui finit par être réglé en 1910.

Paradoxalement l’empire ottoman qui est représenté à la conférence de Berlin sur le « partage » de l’Afrique, reconnaît l’occupation des provinces d’Afrique du Nord. Encore une fois les confréries locales, la sanoussiya, cherchent, comme au Maroc à se rapprocher de la sublime Porte pour échapper aux ambitions impérialistes européennes.

Avant 1912 ces territoires cherchent à résister à la pénétration européenne, espagnole et française pour le Maroc, mais la résistance locale en 1907 ne suffit pas, malgré la violence de l’insurrection de Casablanca, bombardée du 5 au 22 août. La crise de 1911 avec l’Allemagne ne permet pas au sultan de retarder l’échéance et le double protectorat franco-espagnol sur le Maroc et signé le 30 mars 1912.

Le processus n’est pas très différent en Cyrénaïque, même si c’est plutôt contre la reprise en main ottomane, favorisée par la révolution jeune turque de 1908, que les deux provinces cherchent à s’opposer. La guerre contre l’Italie commence le 26 septembre 1911 mais la résistance ottomane faiblit en raison des guerres balkaniques qui commencent à l’automne.

Les combats contre l’occupation italienne se poursuivent jusqu’en 1931. Il est à noter pour ces deux territoires, le Maroc, et la Cyrénaïque – Tripolitaine, le rôle des confréries religieuses dans l’organisation de la résistance.

Frédéric Sallée – les sociétés africaines et les colonies allemandes (1900 – 1980)

Ce chapitre présente les 35 ans de présence coloniale en Afrique et permet de remettre en cause ce que l’on retrouve souvent, un désintérêt de Bismarck pour les questions coloniales, le chancelier de faire étant davantage préoccupé par l’Europe centrale. En réalité c’est à partir de 1884, à partir de la conférence de Berlin qui commence effectivement au mois de novembre que l’Allemagne met en œuvre une politique coloniale sans doute basée sur une certaine prudence, car pour Bismarck, « le marchand doit précédait le soldat ».

Ce n’est plus vraiment le cas à partir de 1890, avec le départ du vieux chancelier, et l’arrivée aux affaires de personnalités plus enclines à la confrontation. La confrontation maritime avec les Britanniques, continentale avec la Russie, la marginalisation de la France s’inscrivent dans une logique qui envisage également un vaste projet colonial en Afrique centrale, justifiant ainsi une conception racialiste du monde largement antérieure au nazisme.

Pour autant l’Allemagne ne développe pas de colonies de peuplement mais d’exploitation économique basées sur la mise en œuvre  d’un réseau de transport permettant de relier l’Est à l’Ouest du continent. L’auteur revient également sur ce que l’on s’accorde désormais à qualifier de premier génocide du XXe siècle, celui des Herrero et des Hama, entre 1904 et 1908. On notera au passage que l’on apprend que ces massacres ont pu être commis avec des supplétifs africains, et qu’ils ont pu être justifiés par les attaques de fermes appartenant l’administration coloniale allemande commises par des Herero en 1904. C’est de là que date le premier ordre d’extermination signée par le général Lothar Von Trotha.

Entre 1914 et 1945 les sociétés africaines sont également analysées comme instruments des politiques allemandes par l’auteur de ce chapitre. Des affrontements de la première guerre mondiale ont lieu, par exemple de 1914 au Togo avec une attaque franco-britannique contre un poste de TSF. Le sud-ouest africain est également envahi par les forces britanniques en février 1915 et le Cameroun est également conquis en février 1916.

Le traité de Versailles du 28 juin 1919 marque la fin de l’existence de l’empire colonial allemand, clairement stipulée dans l’article 119. On notera au passage que le Rwanda sous contrôle allemand passe sous domination belge, tandis que le Royaume-Uni s’octroie le Tanganyika. La France reçoit le Togo et le Cameroun. A la veille de l’accession des nazis au pouvoir les nostalgiques de la colonisation allemande retrouvent de la vigueur d’autant que dans la vision de Hitler, clairement hostile dans Mein Kampf au risque de métissage venu d’Afrique, l’on assiste à un changement de perspective. L’Afrique, continent sans peuple, peut devenir un terrain d’expansion pour la race aryenne, dès lors qu’une stricte barrière physique empêcherait que le sang allemand ne soit souillé par un quelconque métissage.

Pendant la période 1945 – 1960 la colonisation de l’Afrique par l’Allemagne et un non – sujet, il faut attendre les mouvements de contestation, notamment étudiante à la fin de la décennie pour que l’on assiste à une forme de mise en cause de cet encombrant passé.

L’entreprise de restitution historique entre les sociétés africaines et l’Allemagne , et le centenaire de la conférence de Berlin permet de revenir sur cet héritage. Le rapport Whitaker établi à l’ONU en 1985, dresse les premiers bilans du génocide de 1904 – 1908, soit 80 % de la population Herero et 50 % de la population Nama, soit 65 000 et 10 000 personnes.

Romain Tiquet – le travail forcé dans l’empire colonial français : acteurs, sociétés et circulations.

Si les colonisateurs ont pu se présenter comme des parangons de la civilisation par des actions d’abolition de l’esclavage traditionnel, il n’en reste pas moins qu’ils ont introduit sur le continent le travail forcé. Il est envisagé par le pouvoir colonial comme une étape nécessaire pour « éduquer les populations » à l’effort et au travail. Les autorités rencontrent des difficultés en matière de mise en valeur des territoires, et un arsenal réglementaire et mis en œuvre pour encadrer ce travail forcé. Le point d’orgue l’organisation de la conférence de Genève par le bureau international du travail en 1929 qui débouchent sur la convention du même nom visant à supprimer le travail forcé ou obligatoire sous toutes ses formes. D’après l’auteur des leviers légaux permettent tout de même de recruter une main-d’œuvre « non volontaire ». Pourra relire avec profit le texte d’Albert Londres dans terre d’ébène publié en 1929 qui raconte la construction du chemin de fer Congo – océan. Au lendemain de la guerre, et après la conférence de Brazzaville, le travail forcé est théoriquement aboli, dans un délai de cinq ans, mais en même temps persiste des formes de réquisition en cas de force majeure.

Les sociétés africaines ont développé différentes formes de résistance face au travail forcé, les migrations protestataires et les désertions de chantiers étant particulièrement fréquentes. Déjà à cette époque des travailleurs réalisaient un arbitrage entre les colonies françaises et britanniques ou portugaises en faveur de ces dernières. Des salaires plus élevés, une taxation plus légère ont pu permettre sur ces territoires une forme de développement économique.

Sur les colonies françaises la répression a été assez ciblée, notamment sur les familles des déserteurs, mais à partir de 1936, avec le Front populaire les prestations main-d’œuvre ont été remplacées par une taxe additionnelle permettant de débloquer un budget pour recruter des travailleurs volontaires et spécialisés pour la rénovation du réseau routier.

Cette note de lecture n’a évidemment pas pour vocation de dispenser les candidats de l’accès à l’ouvrage lui-même.

Le sommaire de l’ouvrage 

On abordera donc avec le plus vif intérêt la cinquième partie directement consacrée à la méthodologie du concours avec des sujets corrigés. On lira donc avec profit la méthode de la dissertation en histoire organisée en différentes étapes avec quelques précieux rappels. De même, la méthode du commentaire de texte historique à la fois à l’écrit comme à l’oral peut se révéler salutaire.

Les sujets d’exercice s’inscrivent parfaitement dans la logique de cette question du concours en insistant sur les notions de mobilité et de connexion. On trouvera ainsi comme suggestions « les jeunesses africaines et le monde (1900 – 1980). Les capitales, vecteurs de connexions des sociétés africaines (1900 – 1980), et l’on notera le pluriel au passage.

De très nombreux exemples de textes sont également proposés pour les commentaires à l’oral. Pour les sujets corrigés ont prendra pour exemple en dissertation « penser et construire le panafricanisme (1900 – 1980), une proposition d’Anthony Crézégut. La question de la définition de cette notion est évidemment essentielle et l’on abordera les trois temps du panafricanisme comme construction intellectuelle jusqu’en 1950, celui d’une tentative de mise en œuvre au moment des indépendances, et enfin sa déconstruction révélatrice des contradictions de ce mouvement.

Chloé Maurel propose pour sa part une explication de texte sur le discours de Patrice Lumumba le jour de l’indépendance du Congo, le 30 juin 1960. Cela permet d’organiser la réflexion en deux temps, le poids du legs colonial et les luttes de décolonisation, l’acquisition de l’indépendance, et enfin des perspectives de prospérité et de développement pour un Congo indépendant. L’histoire du pays a malheureusement montré que cette ancienne colonie belge a connu depuis 1960 une histoire chaotique, et à certains égards tragique, qui se poursuit encore, notamment au Nord-Est du pays.

Au bilan, on peut trouver le plus grand intérêt à cet ouvrage qui aborde la question dans toute sa complexité mais qui n’en demeure pas moins accessible. J’ai pu pour ma part y retrouver mes préoccupations de préparateur du concours, qui sont celles qui reposent sur l’organisation des connaissances, mais également sur leur dynamique. À cet égard la diversité des approches, la découverte de situations parfois mal connues en dehors des spécialistes, permet d’aborder cette question du concours avec une certaine curiosité sans aller jusqu’à la sérénité tout de même.