« Puissent les pages de cette biographie aider, non à le défendre, mais à le comprendre ». Voici comment Frédéric Le Moal termine l’avant-propos de cette passionnante biographie de Pie XII. Cela résume parfaitement l’ambition de ce livre qui bénéficie de l’ouverture récente des archives du Vatican quant au pontificat d’Eugenio Pacelli (secrétairie d’Etat). Ce sont des milliers de documents qui sont désormais accessibles, grâce à un immense travail de numérisation et de classement de ces archives.

Pie XII est une figure controversée de l’historiographie récente, et même dans l’opinion public non scientifique d’une manière générale. Mis en avant par certains pour ses talents intellectuels, son charisme et sa dévotion à l’Eglise (parfaitement démontrée dans cet ouvrage), dénoncé par pour une certaine passivité (un silence coupable?) face au nazisme voire parfois une germanophilie éhontée par d’autres, Pie XII semble être une figure clivante et l’objectif de l’auteur est ici de retracer de manière précise son parcours afin d’en dresser un portrait loin des querelles idéologiques qui ont pu exister entre historiens protestants, communistes, anglo-saxons.

Pour cela, Frédéric Le Moal s’appuie sur une quantité de sources assez importante. Au-delà des archives précédemment évoquées, il utilise à foison les journaux de l’époque, les correspondances entre ambassades, les échanges épistolaires, ce qui donne au texte un aspect extrêmement vivant et donc une lecture agréable.

Le livre est organisé en 4 parties chronologiques qui retracent le parcours de Pie XII au service de l’Eglise. Pape né à Rome, Eugenio s’engage corps et âme au service de l’Eglise. Les deux premières parties retracent son ascension jusqu’au pouvoir suprême en mars 1939. Les 2 parties suivantes sont consacrées à cet usage du pouvoir. Une belle bibliographie complète cet ouvrage.

A travers lui, Frédéric Le Moal étudie en profondeur et en finesse à la fois les querelles internes à l’Eglise (courant réaliste) et la diplomatie vaticane. Au service de papes multiples (de Léon XIII à Pie XI), en poste à travers l’Europe (car reconnu très jeune pour sa force de travail et ses qualités), au coeur aussi des profondes transformations sociales (industrialisation, déchristianisation) et politiques (guerres mondiales, Guerre froide, colonisation), Pie XII est pris dans une époque de profonds bouleversements, gardant toujours en tête la défense de l’Eglise et de la religion catholique.

La relation avec l’Allemagne, enjeu de nombreuses controverses, est montrée ici en plusieurs étapes. Le jeune nonce Pacelli est clairement un admirateur de l’Allemagne catholique et se réjouit de son poste de nonce à Münich pour consolider l’Eglise allemande, mission à laquelle il essaie de s’atteler malgré les tensions et les menaces des années 20.

Sa connaissance du terrain lui permet de devenir le négociateur du Concordat de 1933 avec l’Allemagne nazie. Le futur Pie XII montre ici à la fois sa volonté de défendre les intérêts et la sécurité de l’Eglise et des catholiques, croyant peut-être de manière naïve à la bonne foi de certains nazis, Hitler en tête. Très rapidement, les événements en Allemagne lui font perdre ces illusions et il participe à la rédaction de l’encyclique de Pie XI qui condamne le nazisme, Mit brennender Sorge. Dans cette dénonciation de l’idéologie nazie, il est noté l’absence de référence précise aux mesures antisémites prises par le IIIe Reich.

Dans la lignée des travaux de Giovanni Miccoli, le règne de Pie XII est marqué par ce silence vis-à-vis des violences nazies, silence censé protéger l’Eglise en tant qu’institution et lieu de rassemblement de fidèle, même quand des juifs sont raflés par les Nazis à Rome en 1943 et que la papauté est au courant, comme d’autres gouvernements, des atrocités à l’Est. Il paraît évident, pour l’auteur, qu’il existe, au sein de la Curie romaine la plus conservatrice, des hommes qui partagent un réel antisémitisme. Cependant, aucune trace de telles pensées n’a été retrouvée dans les archives et la correspondance étudiées par Frédéric Le Moal. De plus, des familles juives bénéficient de mesures de sauvetage à Rome, ce qui vaudra à Pie XII d’être, à plusieurs reprises, remercié par des associations de mémoire juive. Ce qui est certain, c’est la peur du danger nazi au moment même où le IIIe Reich occupe l’Italie.

Comment expliquer (et non pas justifier) les silences? D’abord, par la personnalité très hésitante du pape qui a du mal à trancher, mais faut-il le rappeler dans des situations géopolitiques extrêmement compliquées, et alors même qu’il a été formé à la nuance et au pragmatisme dans ses missions d’ambassadeur. Hésitations renforcées par les oppositions internes au Vatican, certains reprochant au pape de se taire. Ensuite, par les échecs diplomatiques subis par la diplomatie romaine lors de la Première Guerre mondiale et développés de manière très précise dans la première partie de l’ouvrage, particulièrement dans la manière dont ils ont marqué au fer rouge le jeune Eugenio. Enfin, ce silence peut s’expliquer par une volonté du moindre mal face au nazisme, en laissant agir, en premier lieu, les encadrants locaux, ces derniers ayant une meilleure connaissance du terrain et des actions les plus efficaces à mettre en place pour protéger les différents persécutés. En tant qu’Etat, le Vatican a agi auprès de plusieurs ambassades afin d’obtenir des visas d’entrée et de sortie et Pie XII doit faire face à de nombreux refus d’autorités gouvernementales, qu’elles soient neutres ou collaboratrices avec le régime nazi.

Il paraît compliqué de synthétiser un tel ouvrage, tant l’auteur apporte une analyse fine et nuancée du parcours d’Eugenio Pacelli. Les apports archivistiques et historiographiques sont multiples. La lecture est à la fois exigeante et accessible. Evidemment, Frédéric Le Moal se pose en contradicteur de nombreux courants intellectuels qui ont voulu et fait le procès de Pie XII en pleine connaissance de la fin de l’Histoire, ce qui n’était pas le cas, et cela semble un peu étrange de le rappeler, du pape. Un ouvrage dense et important retraçant des périodes controversées et compliquées où derrière le destin d’un homme se révèle le destin d’une institution qui le dépasse et à laquelle il est sincèrement voué.