L’idée du Soldat Inconnu est d’origine britannique et française mais l’intérêt des actes de ce colloque est montrer les ressorts primitifs de cette façon d’honorer les disparus et de présenter comment les autres pays ont peu à peu adopté cette façon de perpétuer leur mémoire. A chaque contribution transparaissent les particularités nationales, non seulement autour de ces lieux de mémoire mais aussi autour de ce qui fait une nation.
Rendre compte de la trentaine de contributions qui portent sur autant de cas nationaux, même de façon longue et analytique ne peut restituer toute la subtilité des déclinaisons nationales de ce qui est devenu un élément consAgrégation intertitutif des symboles que presque tous les pays ont adopté .
C’est en effet une présentation de tous ces cas nationaux qui permet par ce prisme d’avoir une meilleure compréhension de chaque pays qui est proposée ici. Ce « balayage » est solidement mis en perspective par les organisateurs du colloque dont cet ouvrage est issu et sa lecture conduit à une réflexion sur les éléments constitutifs de ce autour de quoi se rassemble une nation, malgré les différences pays par pays qui sont mises en évidence.
Le soldat inconnu fait partie de l’environnement culturel national : rallumer la flamme sur son tombeau fait partie des passages obligés des grandes manifestations commémoratives et patriotiques, tout comme, fréquemment, des hommages de chefs d’Etats étrangers.
C’est surtout à partir de la Grande Guerre et de l’épouvantable saignée qu’elle a provoquée que se sont multipliés les monuments aux morts qui n’étaient pas jusque là aussi systématiquement érigés dans toutes les communes, témoignages de reconnaissance mémorielle des habitants et que la notion de soldat inconnu s’est développée.
C’est à propos de cette histoire que les participants au colloque Les soldats inconnus de la Grande Guerre : la mort, le deuil, la mémoire ont échangé les expériences nationales.
La publication des actes, dans un ordre plus pertinent des textes que celui des communications, probablement soumises, comme toujours, aux disponibilités de quelques intervenants, se fait donc sous la forme de ce gros volume de plus de 500 pages dont l’introduction rappelle les conditions de désignation du soldat inconnu à Verdun ainsi que les débats autour des différentes solutions mémorielles.
Le point de départ se fait à partir de la prégnance de la mort pendant et après la guerre par un premier texte dû à Antoine Prost qui situe à la fois l’importance de la mort de masse dans une guerre où c’est sur l’artillerie que repose le succès d’une opération (par un tableau regroupant les éléments les plus récents de cette macabre comptabilité), et surtout par ce que cette expérience de la mort de masse signifie pour les combattants survivants et la société civile. Les problèmes, même pratiques dans les années qui suivent l’arrêt des combats ne manquaient pas : comment identifier les restes, comment enterrer décemment autant de défunts, où les enterrer etc.. Antoine Prost souligne également la différence de traitement des sépultures selon les nationalités : cimetières monumentaux et paysagers pour les anglo-saxons, « bois des héros » plus sobres pour les Allemands, ascétisme et égalitarisme républicains pour les Français qui utilisent les mêmes croix blanches. Il montre aussi comment les Eglises ont été « un des vecteurs de la mémoire des morts » dans des pays occidentaux où le christianisme comptait pourtant moins en ce début de XXe siècle et que dans des pays saignés matériellement par le conflit qui n’ont pu rendre les hommages à leurs défunts, hormis pour quelques familles aisées qui ont fait rapatrier leurs corps, le monument aux morts devient le symbole de cet hommage et le soldat inconnu un symbole encore plus fort.
Après cette introduction très argumentée et documentée et qui intègre probablement tout ce qu’Antoine Prost a cumulé comme réflexions, pistes de recherches et connaissances, le livre s’organise par « cas nationaux », titre du premier chapitre, même si dans le second « médiatisations et mises en mémoires » c’est par le prisme des exemples nationaux que les différentes façons de gérer ce lourd fardeau mémoriel est abordé.
Les soldats inconnus allemands, anglais, italien et américains : le principe de commémoration dans des pays où le combat était clairement défini
Les cas nationaux présentent d’abord les difficultés sur le plan mémoriel du ou des soldats inconnus allemands par une passionnante contribution d’Arndt Weindrich; il n’était en effet pas facile de mettre en évidence après une guerre perdue un symbole justifiant pourquoi deux millions de soldats avaient perdu la vie. Il n’y avait pas de consensus mémoriel, mais plusieurs discours, il n’y avait pas de consensus non plus sur le lieu où rendre hommage au soldat inconnu. De plus alors que les partis républicains qui essayaient de faire vivre la République de Weimar souhaitaient utiliser le symbole du soldat inconnu « comme représentation de la vie et des souffrances des simples soldats au front », la droite nationaliste voulait exalter l’héroïsme d’une armée « victorieuse ». Le monument symbolique de cette tendance est incontestablement celui de Tannenberg, lieu de victoire justifiant par l’arrêt de l’invasion russe le sacrifice des combattants. La forme du monument ressemblant à une « forteresse teutonique », le fait d’y inhumer vingt soldats et pas un, appelant à la « communauté du peuple » est également symbolique, tout comme en 1935 la modification des tombes constituant une garde autour du tombeau du maréchal Hindenburg, mais les relègant à ce simple rôle. Arndt Weindrich rappelle même sur le plan du symbole et de son utilisation par les nazis l’assimilation entre le soldat inconnu et le petit caporal. Le désastre de 1945 modifia toute pratique mémorielle, d’autant plus que RDA et RFA se partageaient désormais autant le territoire que l’espace symbolique. La RDA, voulant apparaître comme « la meilleure Allemagne » accentuait à chaque occasion l’importance de la lutte contre le nazisme : le bâtiment de la « Nouvelle Garde » à Berlin devint ainsi un mémorial dans lequel furent inhumés un soldat inconnu et un résistant au fascisme inconnu, tentative de constituer une identité allemande positive. Sur fond de guerre froide également, la RFA fut plus variable dans ses choix, la population semblant vouloir surtout tourner la page , tout au moins jusqu’aux grands procès des années soixante et à la contestation des année 68-70 ; tout rappel de la période de la guerre, toute commémoration intégrait désormais le rappel du génocide juif et de la responsabilité allemande alors que le discours victimisant des réfugiés et celui des anciens combattants existaient aussi ce qui « rendait impossible tout monument de guerre conventionnel ».
Rendre hommage au combattant britannique fut plus consensuel après que l’idée se fut imposée. Restaient les modalités, assez calquées sur le processus français de désignation et surtout le choix du lieu, l’abbaye de Westminster au final. Il fut inhumé en même temps que le soldat inconnu français, le 11 novembre 1920 au cours d’une grandiose cérémonie dont Antoine Capet, l’auteur de la communication, en souligne le caractère très religieux.
Hubert Heyries présente ensuite « le soldat inconnu italien », cette « nouvelle religion civique de l’entre-deux-guerres » aujourd’hui mieux connue grâce à des travaux récents. La démarche est fondamentalement la même, on utilisa également un monument déjà existant (celui à la gloire de Victor Emmanuel II). Le choix fut fait par une mère ayant perdu son fils dans le conflit et le cercueil transporté à travers le pays, « des lieux de la Victoire à la capitale », « le Vittoriano devenant ainsi l’autel de la patrie ». Hubert Heyries montre ensuite comment cette « exaltation du combattant anonyme » a nourri les écrits nationalistes et fascistes, sa commémoration devenant « une sorte de chorégraphie populaire de propagande sur la place de Venise ». Il examine ensuite les glissements successifs du sens donné à cette commémoration jusqu’à la Libération et aux protestations contre le traité de Paris. Peu à peu, de situations politiques en événements décrits par l’auteur, le soldat inconnu devient le symbole d’une unité de l’Etat toujours fragile, mise en cause par des groupements comme la Ligue du Nord et le symbole de l’attachement des Italiens à leur armée.
Le « soldat inconnu d’Arlington », texte de Michael Neiberg qui vient ensuite obéit à une autre logique : montrer que la guerre « a vraiment été été la guerre de tout le pays Nord et Sud » confondus, les clivages restant encore importants un demi-siècle après la fin de la Guerre de Secession. Le choix du cimetière d’Arlington où étaient enterrés les soldats nordistes et notamment des soldats qui n’avaient pas été indentifiés, mais situé sur le sol de la Virginie, Etat qui avait été sécessioniste finit par s’imposer, même si le cimetière ayant été implanté sur les terres du dernier commandant en chef des armées du Sud pouvait prêter à controverses. Choisi par un soldat américain blessé à Château-Thierry après une procédure compliquée destinée à rendre l’identification totalement impossible, le cercueil du soldat inconnu fut l’occasion de nombreuses cérémonies avant son embarquement et bien davantage en territoire américain. Inhumé le 11 novembre 1921, il a représenté des symboles changeants devenant « le symbole du coût de l’ensemble des guerres de la nation ».
Autres cas nationaux
Le cas de pays ou le cadre mémoriel est plus complexe
On y trouve à la fois les pays dans lesquels le consensus n’est pas établi, pas plus sur le conflit lui même que sur les logiques du souvenir comme le Portugal ou la Grèce, des pays vaincus et aux frontières remaniées comme la Turquie, ou encore créés par les nouveaux traités comme la Tchécoslovaquie ou la Hongrie, et où , de plus, les soldats ont combattu du côté des vaincus.
Dans le cas du Portugal, dont les troupes avaient combattu en Afrique et en France, la contribution d’Ana Paula Pires et de Maria Fernanda Rollo, montre les liens entre entrée en guerre tardive et sous la pression britannique, fragilité du régime politique et propagande patriotique intense condusirent à un « bouillonnement » qui ne fit que retarder à travers l’érection du monument la construction d’une mémoire véritablement nationale.
Dans une même logique d’absence de consensus entre les groupes sociaux et politiques, on trouve également le cas grec, présenté par Elli Lomenodinou. Après l’érection d’un monument qui inscrit les conflits passés dans la continuité de l’histoire grecque (depuis les hoplites), c’est son usage qui devient un enjeu entre les groupes politiques, « le Soldat Inconnu devenait ainsi dans l’entre-deux-guerres un facteur de division » révélateur des clivages de la société grecque.
En Tchécoslovaquie, État issu des répartitions de territoires consécutifs à la guerre, la question était de glorifier à travers le soldat inconnu un combattant tombé du bon côté alors que la plupart des soldats avaient porté l’uniforme austrichien, donc de « l’oppresseur ». On finit par choisir un des légionnaires tombé aux côtés des Ukrainiens lors d’une offensive russe menée par le gouvernement Kerenski. L’auteur de cette contribution souligne que pour cette raison, le soldat inconnu thèque était le moins inconnu de tous puisque choisi parmi les 190 tués à Zborov en 1917, bataille après laquelle une armée nouvelle indépendante a pu se reconstituer. Le symbole est double : naissance de la nation et commémoration. Les cérémonies d’inhumation dans la chapelle de la vieille ville de Prague se firent sans la participation de l’Eglise, contrairement aux autres cérémonies de ce type dans les autres pays.
Durant l’occupation allemande, ce symbole fort devint « par sa seule existence, coupable d’activités anti-allemandes » et finalement « déporté » sans qu’on puisse en retrouver les restes. Après 1947, les autorités soviétiques cherchent à annexer ce symbole du patriotisme tchèque. Ce n’est qu’après 1989 par une cérémonie rappelant celle de 1922 que la tradition fut rétablie avec l’inhumation d’un autre soldat inconnu.
Autre exemple très différent, celui de la Turquie, où la notion de « soldat inconnu » n’est pas la même et où se trouvent plusieurs lieux
de mémoire pour les nombreuses guerres passées, monuments qui peuvent d’ailleurs ne pas être des tombeaux. L’auteur de la communication, souligne que dans le cas turc, « la fonction de deuil soit absente ou très secondaire », il s’agit « surtout de renvoyer à la nation, sa construction et sa défense » et l’omni présence de Mustapha Kemal dans les choix nationaux.
Chaque pays présente ses propres déclinaisons de ce symbole du soldat inconnu, « héros inconnu, gage de l’édifice étatique du roi Alexandre Ier » pour les Serbes, dont le monument était dédié aux « héros des Guerres balkaniques et de la Grande Guerre », difficulté à clarifier les formes du deuil pour les Hongrois pour qui la guerre perdue a signifié aussi la perte de territoires mais également l’indépendance du pays.
Honorer les combattants disparus à travers l’un d’entre eux est également un exercice délicat pour un pays comme la Roumanie, dont les soldats n’ont pas tous combattu sous le même uniforme et dont les citoyens ont pu vivre sous cinq souverainetés différentes depuis 1913. Le Héros inconnu de Bucarest est donc le « fondateur symbolique de la Grande Roumanie » autour duquel tout un culte patriotique se développe rapidement. Honorer des combattants disparus peut aussi être l’occasion d’affirmer encore davantage les liens entre une puissance dominatrice et les colonisés, comme dans le cas du dominion indien où le monument commémoratif s’inscrit finalement dans le renforcement de la logique de la construction de New-Delhi même si depuis l’Indépendance, l’indianisation a donné d’autres fonctions symboliques à ce monument.
Avec cette dernière contribution se termine la première partie de l’ouvrage, la deuxième, dans laquelle d’autres cas nationaux sont évoqués, est selon son titre consacrée à « Médiatisation et mise en mémoire » mais peu de choses distinguent cette orientation des contributions par rapport aux précédentes.
Le retour au cas français se fait d’abord par le texte d’Yves Le Naour, qui revient sur les polémiques autour du soldat inconnu, dont des membres de l’Action Française revendiqueraient volontiers la paternité dans la logique barresienne des morts guidant les vivants mais aussi qu’on trouve assez répandue, à gauche aussi cette nécessité d’honorer les disparus. Comme Le Naour l’écrit, la France de l’après-guerre est « écrasée sous le poids des morts ». Il montre aussi à la fois les récupérations diverses, du régime de Vichy au ravivage plus que symbolique de la flamme par le général de Gaulle, tout comme, entre autres, l’hommage des féministes du MLF à la femme du soldat inconnu.
Le glissement de sens depuis la place de héros symbolique à celle de victime symbolique est également souligné, victime symbolique devant laquelle les représentants des nations ennemies d’hier viennent désormais s’incliner ensemble.
Trois des anciennes colonies ou dominion britanniques sont ensuite abordés. L’ Australie, premier pays à vouloir un lieu de commémoration distinct de celui de Londres, s’en préoccupe à partir de 1941, le Canada dans les années 1990, la Nouvelle-Zélande plus tard encore. Au delà de l’hommage rendu aux soldats tombés pendant cette épouvantable guerre, c’est le statut de ces Etats qui change symboliquement par plus d’indépendance à l’intérieur de l’espace britannique.
La situation est fort différente pour la Belgique, pays dont les populations civiles ont été très éprouvées par la guerre. Fallait-il honorer seulement les soldats, comment honorer les victimes civiles et les fusillés par l’occupant pour leur activités patriotiques ? De plus, les exemples britannique et français obligeaient à une solution proche du conflit. Compliquée par les clivages politiques ou linguistiques, c’est une solution précipitée qui fut adoptée et un soldat inconnu fut inhumé sous une dalle au pied de la Colonne du Congrès. Comme dans d’autres pays, ce lieu de mémoire connut par la suite bien des interprétations et des tentatives de récupération, liées aux affrontements politiques de l’entre-deux guerres et symboles de l’union et de la désunion de la Belgique comme l’écrit Francis Balace.
Un hommage plus délicat à mettre en place pour les pays remodelés
Tout comme la Belgique, la Pologne était sortie exsangue de la guerre mais la situation était plus complexe puisque les Polonais avaient combattu sous uniforme autrichien, russe, français…On s’orienta finalement vers un soldat inconnu tombé à Lvov où deux affrontements importants avaient opposé les Polonais aux Ukrainiens en 1918 et aux Russes en 1920. Comme dans d’autres cas, c’est au sein d’un monument déjà existant que le tombeau fut placé. Comme ailleurs également, ce lieu devint un fort symbole patriotique, très surveillé par les occupants allemands qui finalement le détruisirent en 1944 et après sa reconstruction il devint ensuite un lieu de mémoire rappelant tous les disparus dans les conflits et dans les camps.
C’est également ce qui caractérise les monuments honorant les disparus du premier conflit mondial et des guerres d’indépendance dans les trois pays baltes, à l’histoire tout aussi compliquée mais dont l’importance symbolique marquant la séparation d’avec l’Empire Russe se manifestait aussi par les lieux honorant les combattants pour l’indépendance. En Lithuanie, un lieu consacré depuis 1923 aux disparus pour l’indépendance fut complété en 1934 par un monument honorant un soldat inconnu selon les exemples français et anglais, soldat inconnu qui était probablement probablement un combattant contre les bolchéviques à un moment où les Lithuaniens affrontaient aussi les Russes blancs pangermanistes de Bermondt Avaroff et les Polonais. Cet exemple ne fut pas suivi par les Lettons, qui connurent les mêmes épreuves contre les mêmes adversaires en 1918-1920 après avoir soutenu vaillamment l’armée russe jusqu’à la proclamation de l’indépendance en Novembre 1918. Dès 1920, la question d’un lieu perpétuant le souvenir les Lettons disparus dans ces guerres est posée et le plus représentatif, commencé en 1924, est le « Cimetière des Frères » de Riga, proche dans sa conception du « bois des héros » germanique. C’est aussi sous la forme d’un « cimetière des forces de défense » que les Estoniens commencèrent à honorer les disparus pendant les mêmes guerres que leurs voisins, avant qu’un mausolée soit érigé en 1928. Gilles Dutertre insiste enfin sur la valeur symbolique de ces lieux de mémoires, dynamités par les Soviétiques après 1950 et sur leur immédiate restauration dès l’indépendance des pays balte en 1991.
Autre symbole celui du Luxembourg, le Monument du Souvenir, communément appelé « la Femme Dorée » couronnant un obélisque honore à l’origine les volontaires disparus dans les armées belge et française. Objet de controverse dès son inauguration en 1923, de « débat récurrent », il est en quelque sorte pour certains, comme conclut Jessica Leuck, «la Statue de la Liberté du Luxembourg ».
Et du côté de ceux qui ont combattu du côté des Empires Centraux?
Beaucoup plus tardif fut l’hommage rendu dans les années trente au soldat inconnu alsacien tombé sous uniforme allemand. Dû à des initiatives privées, parmi lesquelles celles d’autonomistes tout comme celles de combattants voulant perpétuer le souvenir du « soldat le plus inconnu », l’histoire chaotique d’un lieu de mémoire fort négligé voire oublié de nos jours est retracée par Jean-François Thull sans négliger les éléments explicatifs liés à l’histoire alsacienne et à une période troublée pendant laquelle les nationalismes s’affrontent. Que représente inversement le Soldat Inconnu auquel on rend hommage en 1920 à Paris pour les Alsaciens dont 380000 ont combattu sous uniforme allemand alors qu’au maximum 25000 ont rejoint les armée françaises ? C’est ce que montre ensuite Thérèse Kremmp à travers l’étude des 19 quotidiens de la presse alsacienne aux tirages les plus importants, de langue française (minoritaire) ou allemande, la mieux comprise dans les provinces « désannexées ». Si l’unanimité se fait autour de l’hommage rendu à la victime que représente le Soldat Inconnu, il n’en est pas toujours de même pour les cérémonies marquant le cinquantième anniversaire d’une République que les Alsaciens n’avaient pas connue, mais à laquelle la plupart des journaux manifestent leur attachement. La complexité des relations entre la France et les provinces retrouvées s’expriment donc à travers un symbole ambigu pour les Alsaciens.
Dans le camp des vaincus, les Autrichiens, dont le régime dirigeait un empire multi-ethnique de plus de 50 millions d’habitants choisirent dans un pays aux frontières fortement réduites d’honorer par un monument « à la gloire de tous le soldats de l’ancienne armée qui avaient péri lors du conflit ». Ces salles souterraines, inaugurées en 1934 devinrent dans les années soixante et après les aléas de la seconde guerre mondiale le monument des Héros autrichiens de toutes les guerres.
Il y a enfin le cas de pays qui oeuvrent encore pour la construction d’un monument, comme la Slovénie, dont le cas est rappelé par Tomaz Klasnik. Comme pour les pays baltes ou la Tchécoslovaquie, l’hommage rendu aux disparus se mêle à la commémoration de l’indépendance.
Conclusion
L’ouvrage se termine par une conclusion reprenant les points forts des deux journées d’échanges qu’on imagine assez intenses. Cette conclusion est due à la plume de Jean-François Chanet, qui fait ressortir -dans une période où les moyens de destructions deviennent de plus en plus massifs- à quel point « l’exigence d’individualisation dans le traitement des corps » est présente et pour les disparus, (ou ceux qu’on ne peut identifier), à quel point l’inhumation d’inconnus peut aider au deuil des familles. Un des autres points soulignés est que « si c’est la nation qui fait la guerre c’est la guerre qui fait la nation », ce qui donne toute sa place au rituel qui se met en place à partir des années 1920 pour honorer les disparus de la Grande Guerre mais qui dans pratiquement tous les cas finit par honorer les disparus de toutes les guerres.