Ouvrage collectif au croisement de plusieurs disciplines: histoire, géographie, sociologie, ethnologie mais aussi agronomie; oénologie, gestion ou littérature ce livre évoque un élément de notre civilisation: le vin.
Au fil de cette ouvrage on retrouve une interrogation chère au géographe sur le territoire.
Les divers intervenants présentent d’abord des terroirs viticoles et posent la question de définition et de limites. C’est ensuite un regard sur les discours du poète, du philosophe, du linguiste, comment s’incarne le discours sur le vin.
La troisième partie est consacrée aux relations entre le vin et le groupe familial, le groupe social mais aussi la relation à la mémoire.
Enfin la dimension technique des pratiques vitivinicoles, le rapport aux consommateurs et l’évolution de la demande occupent la quatrième partie.

Appropriations et définitions de l’espace

Jean-Claude Taddéi analyse le rôle des réseaux dans un territoire viticole à travers l’exemple de l’appellation Savennieres en région angevine. Après avoir rappelé ce qu’est pour le géographe le territoire, l’environnement territorial et la proximité mais aussi les réseaux, le capital social l’auteur propose l’étude d’un espace très réduit: 150 ha, fruit d’un espace et d’une histoire. Il analyse les réseaux formels des institutions professionnelles mais aussi les réseaux informels entre jeunes exploitants, l’ ouverture de l’appellation autour d’un vignoble de qualité qui se vend bien.

Sophie Lignon-Darmaillac s’intéresse à la valorisation touristique de quelques vignobles: l’oénotourisme en France et dans le monde: Europe comme Amérique. Comment les paysages ou l’architecture rurale autant que le breuvage concourent à la définition d’un vignoble d’exception (carte d’Europe p. 41). Ailleurs ce sont les « routes du vin » qui offrent au touriste un projet de découvertes notamment culturelles. Ce tourisme a des retombées économiques plus larges (hébergement, restauration, loisirs) sur un espace plus large: une activité récente mais en expansion.

Stéphane Le Bras nous entraîne à la découverte du négoce en Languedoc aux lendemains de la crise du phylloxera (1900-1939). Il décrit des agents de ce négoce, ses fluctuations, l’organisation de l’espace et les choix techniques (développement de la production de masse liée au choix du cépage Aramon), la relation aux infrastructures de transport. Quelques documents complètent ce 3ème chapitre et notamment sur le port de Sète.

L’exemple du vignoble nantais est présenté par Christine Margetic, Domitille Schneller et Marie Teyssier selon une double définition : espace de mobilisation des acteurs autour d’un projet et ensemble géographique. C’est l’interface entre consommateurs et ressource qui contribue au développement d’un réseau de lieux et à la naissance d’une route des vins: objet, mise en scène d’une identité. D’abord dynamique le projet semble avoir rapidement perdu tout sens au cours des 20 dernières années. Les auteures montrent les tentatives pour redynamiser cet objet touristique, élément de relation entre lieux et personnes.

Samuel Loussouarn décrit un projet a priori un peu fou : l’implantation d’un vignoble sur les terrils du Pas-de-Calais afin de redonner un nouveau souffle à cet espace post-industriel.

Jean-Michel Monnier nous conduit vers les nouveaux territoires du vin : pourquoi et comment naissent ces territoires improbables entre Polynésie française et développement du vignoble chinois.

Discours et représentation

Christophe Bardyn s’interroge sur ce que disent les philosophes de l’ivresse? S’ils la condamnent comme excès, Platon lui reconnaît un intérêt comme test des dispositions morales des jeunes gens tandis qu’il y voit un usage hygiénique pour les vieillards. Dans le livre deux des essais Montaigne consacre un chapitre à l’ivrognerie, reprenant les arguments de Platon il considère que l’entrainement à l’ivresse est un élément de l’éducation de l’honnête homme.

Catherine-Isabelle Brégeaut aborde les mots du vin et de la vigne dans le parler Champenois. Son étude porte sur un terroir en bordure de la Bourgogne, territoire-frontière particulier tant par son histoire que par sa culture: architecture, langue, vocabulaire du travail et croyances.

Licia Reggiani pose la question de la vulgarisation du discours oénologique à partir d’un corpus de textes d’experts et de textes promotionnels. Elle met en évidence le recours aux images et à l’humour dans les stratégies de vulgarisation.

Julien Dellier, Eric Rouvellac et Sylvain Guyot cherchent les évolutions des représentations du vin sud-africain depuis la fin de l’Apartheid qui s’est accompagnée d’un boom des exportations. Les auteurs retracent l’histoire de ce vignoble et montrent comment le vin reste associé à la population blanche malgré un essai de « déracialisation ».

Anne-Lucile Gerardot traite du vin dans l’œuvre de Marguerite Duras et en particulier dans Moderato Cantabile. L’auteure dans ce long article cherche à percevoir le sens de l’ivresse et analyse le vocabulaire choisi pour désigner cette boisson , la consommation dans un café comme situation de transgression sociale mais aussi évocation érotique et processus d’identification.

C’est le livre de Steinbeck Les raisins de la colère qu’analysent Lorine Bost et Isabelle Van Peteghem-Tréard. Du mythe de la destinée de l’Amérique au symbole de liberté de la Californie, la naissance de son vignoble et sa place dans la crise de 29, les auteures insistent sur le parallèle entre la bible et le roman, l’importance de la symbolique dans l’écriture de SteinbecK.

Coopération et collectivisme

Sylvain Estager montre comment le vin est à la fois un objet mémoriel et identitaire des viticulteurs amateurs de Haute-Saône. De la présentation de le viticulture amateur à sa signification il qualifie ce territoire de l’intime, une tradition profondément ancrée.

Sept chercheurs de l’INRA se sont associés pour présenter leurs travaux. Ils traitent de la nécessaire appropriation individuelle d’un patrimoine collectif: le vin et son terroir. Les réflexions portent sur terroir : espace physique ou construction humaine, sur la typicité. L’objet essentiel est de cerner la représentation du terroir chez les producteurs d’une AOP et les mises en œuvre individuelle au quotidien.

Marie-Ange Lasmènes nous propose de découvrir la mémoire sociale de la cave coopérative de Montpeyroux crée en 1950. Ce retour sur un passé récent est nécessaire pour faire sortir les vins du Languedoc de l’image dépassée qu’une production de qualité médiocre. L’auteure rappelle une histoire qui remonte à l’Antiquité sans oublier la révolte de 1907, elle évoque les efforts récents pour redynamiser le vignoble et analyse l’initiative de la coopérative de mettre en lumière la mémoire sociale des coopérateurs grâce à un corpus photographique. On ne peut que regretter la qualité déplorable de la reproduction des quelques photographies qui illustrent l’article.

Après le Sud c’est en Val de Loire que Pascal Glemain et Elizabeth Poutier nous emmènent pour une analyse du modèle coopératif. Après un détour théorique les auteurs présentent deux exemples : la coopérative des vignerons des terroirs de la Noëlle (Pays d’Ancenis) et Les caves de la Loire (Anjou). Analyse économique, marché local, mode de consommation, typicité du produit permettent d’aborder les innovations et le rôle stratégique des coopératives.

Innovation et perception

Le groupe de recherche du GRAPPE propose une approche des méthodes sensorielles: le goût du vin des professionnels aux consommateurs, entre stratégie de commercialisation et complexité de l’acte d’achat. Dans un contexte d’expérimentation pour une production de qualité se pose la question de l’objectivation de la dégustation, la recherche vise à définir les différences organoleptiques du produit. Les auteurs décrivent leurs méthodes d’analyse du comportement des consommateurs.

Le même groupe, dans l’article suivant, cherche à comprendre l’influence des messages sur la perception sensorielle des consommateurs. Ils partent du postulat que terroir et typicité sont des concepts trop éloignés des nouveaux consommateurs ce qui induit une nouvelle communication.

Florian Houard, Jean-Louis Vincq et Michaël Pouzenc s’intéressent au développement de la viticulture biologique dans la Gaillacois depuis 1995. Ils étudient à la fois la signification du vin bio pour les producteurs: la naturalité est déclinée de plusieurs manières : respect du consommateur et de sa santé, respect de l’environnement ou préservation de la ressource, trois sensibilités, trois groupes et trois modes d’organisation.

Miriam Aguiar-Barbosa nous entraîne au Brésil. Elle rappelle les bouleversements récents du marché du vin : mondialisation, développement de la qualité, nouveaux producteurs et nouveaux consommateurs, apparition des vins de cépages en divers lieux du monde. Elle développe l’exemple brésilien où les producteurs doivent faire face à des importations massives, analyse le rapport qualité/prix et la spécificité des vins fins.

Frédéric Celerier observe le vignoble bordelais: les innovations biologiques au service de la tradition. Si le développement de la viticulture biologique fut tardive en Bordelais et plutôt en périphérie elle connaît une réelle expansion sur des exploitations moyennes, avec de jeunes viticulteurs et est le fruit d’une lente conversion. L’auteur montre comment elle suscite des débats techniques au sein de la profession, chez les exploitants mais aussi les conseillers et dans les organismes communautaires.

C’est dans la région de Saumur que le dernier article vient clore les réflexions avec l’analyse des pratiques d’une trentaine d’exploitants en AOC Saumur-Champigny : évolution des pratiques pour une meilleure prise en compte de la biodiversité. Comment ont été assimilées les nouvelles connaissances: « capacité d’absorption » dont Jean-Pierre Noblet et Eric Simon définissent le cadre théorique.

Un ouvrage diversifié qui devrait intéresser les amateurs de bon vin.