Sans prétendre nier l’importance de l’urbain dans l’analyse de l’espace contemporain, Jean-Benoît Bouron (professeur au lycée La Martinière-Monplaisir) et Pierre-Marie Georges (doctorant en géographie à l’université Lyon 2) exposent avec cet ouvrage la forte prégnance du fait rural dans nos sociétés tant la campagne cristallise les aspirations des urbains et qu’elle semble justement « éclairer la ville après en avoir été le négatif » (p 9).

C’est fort de ce précepte que les deux auteurs structurent ce copieux manuel (455 pages, 3 parties et 9 chapitres) adressé aux étudiants, aux professionnels des territoires mais, bien entendu, à tout curieux désirant se documenter sur la ruralité d’aujourd’hui. Des territoires ruraux en mutation à l’approche régionalisée des territoires ruraux en passant par leurs rapports avec les milieux, l’ouvrage embrasse de nombreux thèmes pour tenter d’arriver à un panorama complet de la question.

Ce qui ressort d’emblée à la lecture du livre, c’est un ton de parole honnête, libéré pourrait-on dire, laissant une belle place à une certaine forme d’humour : « un manuel n’a pas besoin d’être triste pour être sérieux » (p 10). Les auteurs mobilisent leur vécu pour montrer qu’il peut être bon de se procurer des bouchons d’oreille pour se concentrer avant un oral (p 223), que les métaphores et autres « envolées lyriques » lors de la rédaction doivent être dosées avec parcimonie, voire évitées (p 220) mais également que l’on survit à la « cruauté » (p 222) de l’épreuve de commentaire de carte topographique bien qu’elle ait pu susciter des « hallucinations » chez les étudiants (p 19).

Et c’est précisément parce que cette agréable façon d’écrire résonne avec de solides contenus et surtout un fameux corpus illustratif que l’ouvrage tire son épingle du jeu. L’analyse photographique est très claire, notamment au travers de l’exemple temporel de « l’adaptation progressive du bâti agricole à la mécanisation de l’agriculture » (p 34) où l’image est annotée avec les différentes dates de constructions des bâtiments. De manière plus générale, les auteurs insistent bien sur la question de savoir « pour qui » et « pourquoi » (p 24) telle ou telle photographie de paysage a-t-elle bien pu être prise, outil objectif de l’analyse géographique ou support orienté de la mise en tourisme d’un espace.

Les graphiques, tableaux et textes intéressants ne sont pas en reste avec celui sur les différentes cohérences des maillages territoriaux (p 52), sur l’accessibilité des services en milieu rural (p 118), sur les superficies et ordres de grandeur (p 428) ou encore sur la graphie des toponymes (p 430).

L’outillage méthodologique est également passé au peigne fin à l’image de l’exemple du toujours délicat calcul de la densité (p 90-91) ou de celui des mobilités « triangulaires » (p 56, 101 et, pour un cas concret, p 102) du type « domicile-école-travail » ou « domicile-supermarché-travail ».

L’ouvrage séduit aussi par sa bibliographie chapitrée agrémentée d’une filmographie autorisant l’analyse diachronique.

S’il est une ou deux modestes réserves, elles porteraient peut-être sur l’utilisation des mots en gras dans le texte qui, dans un sens autorisent certaine une lecture « en diagonale » mais qui ne sont pas tous repris dans le lexique final. Peut-être également que la comparaison entre la croissance urbaine et les différentes façons de préparer les œufs n’était pas la plus judicieuse (p 104) : dans l’œuf brouillé, représentant la « ville émiettée », le jaune et le blanc ne sont-ils pas mélangés ?

Ces broutilles ne ternissent évidemment pas l’image générale de ce volume très complet et très bien ficelé consacré à la pluralité de nos campagnes.

Au titre de notre communauté, nous apprécions de voir, p 109, la citation d’un compte-rendu de la Cliothèque rédigé par Jean-Pierre Costille, un nouveau témoignage de l’utilité de notre action de lecture et de mise en ligne des travaux d’autrui.