La thèse de Mamadou Fall, historien, professeur à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar porte à la fois sur un vaste espace de l’Afrique d’Ouest et sur le temps long. Il veut montrer comment la « fabrique de l’espace local » participe de l’histoire globale. La construction historique et historiographique s’appuie sur un concept central : le terroir, lieu anthropologique sur la longue durée, espace ouvert, lieu d’échanges et de métissage sur lequel reposent des réalités culturelles, politiques et économiques, un espace producteur d’identités.

Pour étayer son analyse l’auteur a choisi de façon assez étonnante une comparaison avec les identités collectives du Vietnam. La grande variété des sources utilisées et leur analyse critique permet une étude par le bas, une histoire de l’Afrique des peuples plus que des chefferies écrite par et pour les Africains.

Terroirs et territoires une perspective d’histoire globale

Dans cette première partie plus théorique l’auteur présente les terroirs comme matrice de l’identité collective, du vécu de l’espace où s’inscrivent les réseaux sociaux et d’échanges sur la longue durée. C’est une démonstration de la continuité territoriale de l’Adrar mauritanien à la mangrove guinéenne comme du Yunan au delta du Mékong.

Le terroir est défini comme l’espace d’une culture, indépendant dans le temps et l’espace des territoires politiques. L’auteur développe ses choix face à l’historiographie occidentale, à l’ethnologie et aux historiens africains.

Après un rappel des grandes étapes de l’installation des hommes dans cet espace, les constructions politiques et sociales apparaissent indépendantes de la continuité des terroirs comme dans les exemples développés : les sociétés ouolof et soninké, l’espace atlantique mandingue et la culture du riz chez les Diolas. L’étude présente les ethnies en présence, les migrations, l’organisation sociale et politique sur le temps long incluant la période coloniale, globalement des sociétés tripartites : guerriers, hommes de castes et esclaves.

La découverte terrestre de l’Afrique de l’Ouest et les itinéraires du Sahel dans la formation des terroirs sénégambiens

Cette seconde partie traite du rôle central de l’Islam, du commerce et des migrations dans la construction des terroirs tout en assumant l’aspect polémique de cette théorie.
En effet l’auteur récuse les analyses classiques d’une Afrique de l’Ouest périphérie du monde atlantique à partir des grandes découvertes.

Démontrant la vitalité de l’espace et de l’influence du Maghreb du Nord vers le Sud sur le creuset social entre éleveurs nomades et agriculteurs sédentaires. Après une description de la civilisation arabo-berbère islamisée, ses routes, ses caravanes et sa diaspora l’auteur montre les carrefours commerciaux sahéliens et la création d’une élite négro-berbère, les Garmi dont l’histoire se retrouve dans les traditions orales ouolofs, soninkés.

Il lit cette histoire entre princes et marabouts, chefs politiques et religieux à partir de l’exemple du Cayor. On suit l’emprunte maraboutique le long des voies de communication, derrière les marchands et les jeunes disciples, centrée sur l’intérieur face à l’insécurité grandissante des zones côtières à partir du XVème s. même si au début du XIXème s. on assiste à une réorientation du commerce (tissus (guinée) contre gomme arabique). Ces évolutions conduisent à ce que l’auteur qualifie de « bouillonnement sociologique » : avènement du négociant, émancipation des esclaves, documenté avec le cas de Saint Louis au Sénégal, expansion urbaine et islamisation.

La transition du Lamanat à la royauté XVI-XIXe Siècle

On aborde ici la recherche des traces et évolution des systèmes de pouvoirs. Après une description minutieuse du système de lamanat, les raisons de sa lente destruction au profit de dynasties locales sont développées. Remettant en cause le modèle de l’État de l’historiographie européenne, Mamadou Fall définit un modèle africain de l’État : discontinuité territoriale avec un contrôle plus ou moins important sur les zones stratégiques et économiques fortes et un espace périphérique faiblement contrôlé souvent lieu de brassage culturel, un État où la frontière n’a aucune réalité.

Les rapports matriarcat-patriarcat sont analysés dans la genèse des monarchies, la lignée comme matrice de l’État. La figure du roi est l’occasion de mise en parallèle de la tradition orale avec les sources extérieures notamment portugaises. Dans les petits royaumes côtiers on perçoit comment le contrôle des puits et des routes priment sur la frontière, l’espace est avant tout un espace marchand avec un focus sur les Fulbé dont l’hégémonie repose sur le cheval.

Durant cette période de contact avec le monde atlantique il y a une redéfinition des espaces et des pouvoirs de la côte vers l’intérieur.

Les portes de la mer : des États post-atlantiques aux territoires coloniaux

Cette quatrième partie est une analyse de l’ouverture au monde atlantique : traite et colonisation. L’auteur questionne l’assimilation des élites, l’esclave et le marabout et leur rôle dans l’organisation des pouvoirs. Après une réflexion sur la place des espaces maritimes dans l’histoire du monde, la perception de l’Atlantique de la mythologie grecque à la Mami Wata africaine.Le XVIèmè s. voit à la fois une reconfiguration des États (Mali et Songhaï) et l’arrivée des Portugais, une élite féodale à la recherche de terres.

L’implantation des comptoirs caractérise les territoires européens de la Sénégambie. Leur mise en place pèse sur les structures de pouvoir et donne naissance à une économie de la violence, commerce des esclaves mais aussi à une croissance de la production céréalière par les esclaves de case, catégorie sociale qui retient l’attention de l’auteur : rôle économique, social et politique.

L’espace colonial français est analysé non pas du point de vue du conquérant mais de ses effets sur les structures locales, en particulier sur la césure côte – hinterland, sur la juxtaposition du domaine colonial et du pays indigène où les pouvoirs coutumiers et religieux demeurent forts.

Une thèse dense, innovante qui pourrait marquer un tournant dans l’historiographie et les méthodes d’écriture de l’histoire africaine comme l’affirme dans sa postface le professeur Ibrahima Thioub recteur de l’université de Dakar.