Pourquoi donc une défaite, celle de Léonidas face aux perses, qui est sans conteste la plus célèbre défaite de l’histoire, a-t-elle été intronisée par l’auteur « plus célèbre bataille de l’Antiquité » ? La raison est désormais évidente et révèle la disproportion des forces entre l’écrit et l’image. Si les Thermopyles accèdent à la première place au détriment de Marathon, Salamine, Actium ou Cannes, c’est parce que le cinéma hollywoodien l’a décidé. L’ouvrage de l’historien Luc Mary est bien évidemment une commande commerciale de son éditeur qui cherche à profiter du succès du peplum 300, sorti en 2007. Ce film ne s’appuie pas directement sur des sources historiques mais sur la bande dessinée de Franck Miller et exalte l’esprit héroïque des hoplites spartiates, les 300, dans une débauche de violence et d’effets spéciaux.

Que la collection « l’histoire comme un roman » se saisisse d’un tel thème pour rétablir la vérité historique est a priori une bonne idée. Cette collection se veut plus vivante et donc destinée à un public plus large que d’autres ouvrages érudits. Elle a donc logiquement en ligne de mire les spectateurs de 300 désirant mieux connaître la bataille des Thermopyles et à travers elle l’histoire de Sparte, des guerres médiques et de la Grèce. L’auteur s’y emploie en 5 chapitres. Le premier est consacré à cette étrange cité qu’est Sparte qui atteint le paroxysme de sa puissance au 5ème siècle. Alors que la Grèce demeure pour l’éternité le berceau d’Athènes, le lieu de naissance de l’esprit rationnel qui part à la conquête du monde, Sparte apparaît comme l’envers exact d’Athènes : elle n’est pas généraliste mais pratique au contraire la monoculture, les conquêtes de l’esprit ne sont rien pour elle : elle a orienté toute son énergie et ses forces dans une seule œuvre, le fantassin (hoplite).

Le 2ème chapitre traite des guerres médiques en commençant par la défaite de Darius à Marathon. Xerxes, son fils, est bien décidé à laver cet affront et réunit une armée considérable en 480, armée tellement terrifante pour les grecs qu’Hérodote, en pleine amplification épique, imagine la Grèce assaillie par une marée humaine de 5 millions d’hommes ! Une fois n’est pas coutume, la Grèce va s’unir contre l’envahisseur, enfin comme peuvent s’unir les grecs de l’époque et 31 cités vont former une ligue défensive contre les perses au congrès de Corinthe. Le 3ème chapitre relate la bataille proprement dite. Tandis que les perses déjà maîtres de la Grèce du Nord avancent à vive allure, les grecs, avec à leur tête le roi spartiate Léonidas, choisissent les Thermopyles comme position défensive. C’est là le meilleur choix possible car il s’agit d’un étroit défilé coincé entre la mer et la montagne, lequel verrouille l’accès à la Grèce centrale. La bataille va durer 3 jours mais en réalité, elle va cesser d’être une bataille dès le soir du 2ème jour : les perses vont trouver le moyen de contourner l’armée grecque et il ne s’agit plus désormais de mener un combat mais de se sacrifier pour laisser aux grecs le temps d’organiser leur défense. Léonidas choisit de mourir avec 1000 hommes, 1000 hommes face à 300000 et c’est cet héroïsme du sacrifice qui va traverser les siècles.

Le 4ème chapitre relate les conséquences des Thermopyles sur la suite de la guerre : en prouvant qu’une poignée d’hommes déterminés peuvent tenir tête à la plus grande armée du monde, la défaite des Thermopyles porte en elle les 2 grandes victoires de la Grèce, Salamine et Platées. Continuant sur sa lancée, Luc Mary consacre un 5ème chapitre à la rivalité entre Sparte et Athènes et aux guerres du Péloponnèse.
La collection « l’histoire comme un roman » annonce fièrement comme cahier des charges que ses auteurs « associent le talent du conteur à la rigueur de l’analyse sans jamais tomber dans l’histoire romancée ».

Qu’en est-il de l’opus de Luc Mary ? Répond-il aux objectifs que s’est fixée la collection ? L’ouvrage est relativement facile à lire et permet de rétablir la vérité historique malmenée par le film : il explique notamment que la bataille ne s’est pas jouée à 300, et que les spartiates n’étaient pas seuls à jouer les héros car ils étaient épaulés par les 700 soldats de Thèbes et de Thespiès. Il montre également que le méchant du film, Ephialtès, qui a permis aux perses de prendre Léonidas à revers n’a peut-être jamais existé. Mais le livre souffre de 2 défauts majeurs : le premier est la maladie de la perspective dont souffrent bon nombre d’historiens : alors que le titre et la 4ème de couverture nous promettent de nous raconter « l’aventure palpitante » de Léonidas, Luc Mary semble emporté par sa lancée et consacre tout un chapitre aux guerres du Péloponnèse qui ont lieu 70 ans plus tard… Qu’il soit nécessaire de connaître la première guerre médique pour comprendre la seconde, on le comprend mais que viennent faire les guerres du Péloponnèse dans l’histoire des Thermopyles ? Le 2ème défaut est la conséquence du premier : faute de se concentrer sur la bataille, Luc Mary occulte presque totalement ce qui fait l’intérêt des batailles, notamment pour le public adolescent qu’il vise, à savoir l’histoire de la stratégie militaire. Comment combattaient les hoplites grecs ? Quels étaient leurs armes ? Qu’en était-il des perses ? Que le récit soit structuré et rigoureux soit, mais en étendant inconsidérément les limites de son sujet, l’auteur ne peut prétendre au titre de conteur et son analyse n’échappe pas à l’ennui d’une étude à la fois sérieuse et fastidieuse.

Sophie de Velder