Ce nouveau numéro de la Documentation Photographique nous propose une mise au point bienvenue sur l’Etat Monarchique du XIVe au XVIIe siècle . La question est en effet aux concours  de l’agrégation externe de géographie et interne d’histoire géographie.

Ce volume est l’œuvre conjointe de  Stéphane Guerre , professeur agrégé d’histoire , docteur en histoire moderne et de Fabien Paquet, maître de conférence en histoire du Moyen-Age à l’université de Caen . La collaboration d’un médiéviste et d’un moderniste permet d’envisager la question dans une large perspective et de comprendre comment s’opère l’émergence de l »Etat moderne ». Une « approche pragmatique » est adoptée , permettant de montrer l’interaction de  différents types d’acteurs, à plusieurs échelles.

Une monarchie singulière et en constate évolution sur la période

« Le point sur » propose une synthèse des recherches les plus récentes . Les auteurs y analysent  la singularité de l’Etat monarchique français , le comparant aux pays voisins.  Tout en rappelant des éléments essentiels à sa perception (primogéniture mâle, sacre, gallicanisme…), ils mettent en lumière l’importance de l’expansion territoriale mais aussi les acteurs qui ont contribué à sa construction en montrant les interactions entre les sujets et le pouvoir étatique. En effet, l’Etat ne se réduit pas à des institutions et à des agents qui les servent. Sa présence est perceptible dans tout le royaume, notamment dans les campagnes au sein desquelles il manifeste sa présence par la monnaie ,par la figure de l’intendant, ou même du curé du village.

Ensuite, il est bien montré comment évolue l’Etat monarchique à la faveur, par exemple, de crises comme les guerres de religion : l’Etat est alors repensé. Les guerres de religion servent véritablement de « laboratoire » au renforcement du pouvoir, ce dont Henri IV saura tirer profit.

Enfin, La notion d’ « absolutisme », tant discutée, précisent les auteurs, « embarrasse » même si elle  revient constamment. Pour Fanny Cossandey, l’absolutisme est « démodé » mais n’a pas d’équivalent. II est donc intéressant de l’envisager autrement , sans pour autant s’en affranchir.

Des manifestations concrètes de la présence de l’Etat

La partie « Thèmes et documents » décline le sujet sous quatre prismes : celui de la figure vivante de l’Etat, celui du gouvernement et de ses structures, celui de l’Etat dans le quotidien des Français, enfin, celui du rapport de force

L’Etat monarchique , que l’ on a coutume de percevoir au travers d’institutions, est ici vu à hauteur des acteurs qui gouvernent.  Le propos s’appuie sur des  renouvellements historiographiques récents, les femmes par exemple, ou plus anciens ,comme la représentation des deux corps du roi d’ Ernst Kantorowicz . Certaines  femmes  ont exercé une influence jusqu’aux plus hauts sommets de l’Etat à l’instar de Louise de Savoie qui fut la première femme à obtenir le titre de régente en 1523. Richelieu, figure plus  traditionnelle ,  «  alternative de l’Etat » voit sa personnalité ,longtemps décrite comme dominante, réévaluée au profit d’un roi Louis XIII qui reste bien le maître du jeu. Enfin, si le roi incarne la force par sa seule présence physique, il peut, en cas de défaillance mettre l’Etat en péril. Mais certains des documents proposés viennent remettre en cause ce que les légendes noires ont pu véhiculer : sur un jeton du Conseil daté de 1572, Charles IX apparaît comme un roi fort , cette image tranche avec celle  d’un roi défaillant qu’ont pu cultiver certains contemporains

L’Etat monarchique est aussi vu au travers du gouvernement et des différentes instances qui le composent : des thématiques classiques telles la guerre constituent un élément fondamental de la construction de l’Etat « moderne ». Quatre pages sont consacrées au Conseil du roi . Longtemps informel, il devient une institution pérenne sous Henri II et est emblématique de l’évolution des rouages de l’Etat. Une double page évoque la bureaucratie : une boite à chiffrer les messages aux armes d’Henri II entre 1547 et 1559 illustre un paragraphe sur la cryptographie.  On découvre avec intérêt une lettre de Catherine de Médicis  à son fils Henri III , véritable  « manuel de gouvernement «  ( Jérémie Ferrer-Bartomeu) . Elle y  insiste sur l’importance du « secret » . Le roi doit rester l’unique dépositaire du secret d’Etat et donc du chiffre .

Dans la partie sur l’Etat au quotidien, on constate un Etat  de plus en plus présent dans la vie des français , à tous les échelons de la société , y compris dans ses périphéries les plus éloignées ( la Louisiane )  où l’autorité peine pourtant à s’exercer . Un double page analyse  l’importance de la communication et de la circulation de l’information qui deviennent essentielles pour un Etat cherchant à s’imposer face à un peuple devenu un acteur politique à convaincre . La population est la cible d’un « nouvel art de gouverner ». Le développement de la police devient primordial pour le renforcement du pouvoir royal dans un contexte de croissance démographique et de développement urbain, conciliant le bien-être des populations et la croissance des forces de l’Etat. Enfin l’Etat peut être vu comme un protecteur même si cela reste ponctuel ( épidémie, inondations) allant même jusqu’à mener des actions de prévention  . Ainsi, Charles IX crée un embryon d’administration chargé de s’assurer de la fiabilité des digues sur la Loire . Certes ces actions  sont un moyen pour l’Etat d’accroitre son pouvoir réglementaire et sa présence mais ce sont les solidarités locales qui prédominent.

Enfin, l’Etat monarchique est étudié au travers des fractures et résistances qu’il suscite : au niveau des institutions, du territoire ou de la population. L’Etat cohabite avec d’autres entités politiques qui le concurrencent ; ainsi les Bourguignons  constituent-ils une sorte d’Etat alternatif avec ses propres institutions telles le Parlement de Malines , imitant celui de Paris. Cette expérience politique est invalidée par la mort de Charles le Téméraire en 1477. Les auteurs précisent que c’est le hasard qui a stoppé cette construction politique et que , sans cela, la France aurait pu se construire en petits Etats sur le modèle de l’Empire. Enfin, on peut s’opposer à l’Etat sans s’opposer au roi. Sous la Fronde, on s’oppose à l’Etat au nom du roi ce que montra  Arlette Jouanna au travers du « devoir de révolte ».

Ainsi, à la faveur de contextes plus ou moins favorables, l’Etat monarchique se renforce, évolue , intégrant des acteurs de plus en plus variés auprès desquels ils se rend de plus en plus visible. Le « fonctionnement vrai des institutions » ( Denis Richet)  interagit avec une société de plus en plus concernée . Progressivement, la conscience de l’appartenance à une communauté, sans parler encore de « nation » ,se forme . Mais la présence de l’Etat est encore loin d’avoir intégré profondément la société à la fin du règne de Louis XIV.

Par la richesse de son iconographie et ses apports historiographiques, ce numéro de la Documentation Photographique constitue un support de qualité pour de nombreux utilisateurs : les agrégatifs y trouveront des exemples et réflexions pour nourrir leurs dissertations. Les enseignants soucieux de renouveler les documents proposés par les manuels,  y puiseront des supports  originaux pour leurs séquences de cours .