Paru originellement au Japon 2019, le seinen Les saisons d’Ohgishima de l’autrice Kan Takahama est traduit et publié en France en cette fin d’année 2022 aux éditions Glénat. Au cours du titre, qui contient déjà trois volumes (dont deux sont publiées en français à ce jour), nous suivons le parcours de Tamao, surnommée Tama, jeune fille de 14 ans orpheline et née dans le quartier rouge de Maruyama de Nagasaki, apprentie de la courtisane Sakunosuke. Avec cette dernière, et accompagné de O Taki-San, sa matrone, Tama est envoyée auprès d’un riche hollandais résidant dans le quartier de Dejima, lieu de résidence des Européens à Nagasaki.
Les derniers instants du Japon shogunal
Nous sommes en 1866, 2 ans avant la révolution Meiji. Le pouvoir shogunal vieillissant maintient alors encore la stricte politique d’isolation du Japon. Seule l’île artificielle de Dejima, dans la ville pratiquement fondée par les missionnaires catholiques de Nagasaki, offre un contact entre l’archipel et le reste du monde. Un petit îlot de 120 m sur 75, seul accès vers l’horizon et dans lequel Tama vivra, au service de Monsieur Hartmans. Tama est trop jeune encore pour le commerce charnel. Elle est kamuno, ces jeunes filles de basse extraction qui, en attendant d’avoir l’âge minimal (environ 16 ans), travaillent auprès de leurs matrones ou comme femmes de chambre de leurs « grandes sœurs »…
Auprès de Monsieur Hartmans Tama nettoie, cuisine, occupe de nombreuses tâches. Au cours de son séjour elle aura l’occasion alors de fréquenter de nombreux étrangers, venus d’Europe, comme le Docteur Thorn qui semble avoir prit soin de son ancienne grande sœur, atteinte par la véroleRéférence à une précédente création de Kan Takahama : Le dernier envol du Papillon parue en 2017. Elle fera la connaissance également des serviteurs antillais du consulat néerlandais ou encore de la famille Pignatel venue de France et notamment son fils Victor qui ne parle pas un mot de japonais mais qui verra en Tama l’incarnation des poupées japonaises aux traits fins et lisses qui retiennent son regard.
C’est au contact de ces étrangers que Tama découvre l’existence des kirishitan et la peur qu’ils inspirent dans le Japon shogunal. Ce dernier pratique alors encore le fumi-e pour traquer l’hérésie au sein de sa population. Malgré tous les kirishitan survivent en se cachant, comme le cuisinier du consulat Monsieur Gan et son nouvel assistant Yasukune.
Dans son quotidien monotone, Tama peut compter sur le soutien et l’affection du Docteur Thorn qui n’a de cesse de lui offrir présents et mets européens. Son enthousiasme désarçonne la matrone et sa grande sœur qui ne comprennent pas comment la petite parvient à ne pas s’inquiéter pour son avenir si triste. Il faut dire que Tama conserve un regard simple et pur, presque naïf sur le monde qui l’entoure. La migration des oies égaie ses jours, le plaisir du pouvoir cuisiner de bons plats et de les déguster au final également.
Autour tout bouge et ses proches sont marqués et transformés : Victor aide son ami Momo, fils du cuisinier Monsieur Gan, à dérober un sabre et à le revendre. Ce monsieur Gan en question, le père adoptif de Momo, est transformé par l’arrivée et la piété de Yasukune qui lui rappelle combien être kirishitan est à la fois dangereux mais porteur d’une joie et d’une confiance dans l’avenir. C’est ce qu’on appelle la foi. Victor enfin espère racheter la « jeune courtisane ». Il s’agit de Tama qu’il veut libérer de son sort funeste. À la fin de ce premier tome le docteur Thorn est rappelé aux Pays-Bas et quitte avec déchirement la jeune kamuno.
Le premier tome se termine finalement sur l’approche de l’âge auquel Tama pourra commencer à faire commerce de ses charmes. Œuvre poétique, au dessin très agréable et entrecoupé de petits rappels sur les traditions japonaises et sur la ville de Nagasaki, Les saisons d’Ohgishima est une superbe découverte, une plongée dans les derniers instants d’un Japon isolé du monde, dont nous attendons la suite avec impatience.
Interview de Kan Takahama à l’occasion de la parution du Le dernier envol du Papillon