Ce très beau livre présente quelques éléments de la correspondance d’Arthur Rimbaud avec sa famille, certaines missives sont illustrées par Hugo Pratt. Il trouve son origine dans un premier opus publié en 1991, à l’occasion du centenaire de la mort du poète.

C’est un Rimbaud bien éloigné de l’image d’Épinal, ou de l’imaginaire parfois attaché à l’homme aux semelles de vent, qui se dévoile au fur et à mesure de la correspondance retenue dans l’ouvrage.

L’aventurier Arthur Rimbaud, dans ses lettres à sa famille d’Aden en Harar et d’Harar en Aden, évoque les multiples activités auxquelles il se livre. Commandant matériel technique et ouvrages pour ses expéditions, on le voit en charge de la rédaction d’un ouvrage pour la Société de géographie, « avec des cartes et des gravures, sur le Harar et les pays Gallas ». Il ajoute « je fais venir en ce moment de Lyon un appareil photographique ; je le transporterai au Harar, et je rapporterai des vues de ces régions inconnues. C’est une très bonne affaire. Il me faut aussi des instruments pour faire des levées topographiques et prendre des latitudes. Quand ce travail sera terminé et aura été reçu à la Société de géographie, je pourrai peut-être obtenir des fonds d’elle pour d’autres voyages. La chose est très facile (p.19, lettre écrite à Aden à sa famille, le 18 janvier 1882) ».

Il confie également son obsession de gagner de l’argent, ce qui le mène, entre autres, en 1885, à exercer l’activité peu reluisante de trafiquant d’armes pour le roi de Choa, Ménélik.

Il exprime aussi dans sa correspondance sa grande lassitude, son ennui, le sentiment d’être comme prisonnier à Aden (lettre du 25 août 1880, p.9) ou de mener une « existence désolante (lettre du 5 mai 1884, p.25) » et même le fait de ne pas « tenir du tout à la vie (p.18)».

Plus surprenant peut-être en apparence, une lettre en date du 6 mai 1883 le voit regretter de ne pas s’être marié et de ne pas avoir une famille. Il écrit ainsi espérer « avoir au moins un fils que je passe le reste de ma vie à élever à mon idée, à orner et à armer de l’instruction la plus complète qu’on puisse atteindre à cette époque, et que je voie devenir un ingénieur renommé, un homme puissant et riche par la science (p.21) ».

Les superbes aquarelles d’Hugo Pratt viennent souligner certains de ces écrits. Ce dernier est cité dans la belle préface de l’ouvrage réalisée par Dominique Petitfaux. Pratt déclare ainsi qu’ « il y a deux choses forts différentes qui m’ont séduites chez Rimbaud. En premier lieu, ses poésies, bien sûr, mais aussi, et au moins autant, sa personnalité, l’étrangeté de sa vie : à vingt ans, il cesse d’écrire de la poésie et commence une vie d’aventures, qui l’amènera entre autres à organiser un trafic d’armes en Éthiopie. Évidemment, ce qu’il raconte sur sa vie là-bas me passionne ».

L’ouvrage Lettres d’Afrique consacre ainsi la rencontre, a posteriori, de deux génies pour le plus grand plaisir de leurs lecteurs.

Grégoire Masson