Le quatrième tome de l’édition des lettres de Mme de Maintenon vient d’être livré en décembre 2011. Il est établi par Marcel Loyau, spécialiste de Mme de Maintenon, qui a publié la correspondance avec Mme des Ursins (Mercure de France, 2002) et une partie de lettres de Mme de Maintenon avec Mme de Caylus et Mme Dangeau (L’estime et la tendresse, 1998) puis « Comment l’esprit vint aux filles », sur les principes d’éducation des filles mis en application dans cette maison d’éducation si originale qu’est Saint Cyr.
Ce tome couvre trois ans de 1707 à 1710, trois années de transition à la cour de France qui hésitent entre la joie de voir fonctionner un régime politique parfaitement administré, une cour brillante, une dynastie forte puisqu’une quatrième génération de princes naît dans cette période, mais qui s’épuise dans les guerres en Flandre, en Savoie et en Espagne, contre les membres même des dynasties avec lesquelles le roi a souhaité s’allier : la famille de Savoie.
Comme Mme de Maintenon est très proche de la petite duchesse de Bourgogne, elle fait ressentir au quotidien de ces années, le traumatisme d’engager une guerre contre le beau-père, le duc de Savoie, un contexte difficile contre la sœur puisque la reine d’Espagne est la sœur de la duchesse de Bourgogne, l’inquiétude face aux positions du roi d’Espagne, qui n’est autre que le petit-fils de Louis XIV et le frère du duc de Bourgogne. Un contexte difficile puisque le duc de Bourgogne part au combat en Flandre avec les risques d’enlèvement, de boulets de canons qui passent au dessus de la tête, le risque de blessures, d’amputation, de maladies liées aux conditions de vie dans les camps militaires dont sont empreintes ces lettres, mais également le jugement difficile face à des décisions miliaires qui n’étant pas prises à temps, sont mises au grand jour quand le siège est perdu, créant des cabales supplémentaires dans ce microcosme de la cour.
« Les cours de France et d’Angleterre me font l’honneur d’être souvent dans ma chambre »
Les lettres de Mme de Maintenon sont toujours aussi précises, diverses et délicieuses dans leur écriture. On ressent parfaitement la multiplicité des destinataires dans ce flot de courrier qui parcourt les affaires européennes. Il y a ce billet court, qui est un simple invitation porté par un valet : « Le roi a envie de dîner avec vous » et sa non moins rapide réponse sur le même billet : « et top et top nos estomacs, j’irai, je trouverai de la santé et de l’argent, deux grands miracles» (p 931). Il y a ces lettres amicales avec les membres de la Cabale, les nièces et leurs amies qui achèvent ce que n’ont pu dire des conversations interrompues par le rythme des affaires et de la cour. Et ces lettres à Villeroi qui deviennent plus familières. Il y a cette lettre de direction morale adressée à un dame de Saint Cyr. Il y a moins de lettres de conseil pédagogique car les Dames de Saint Cyr ont pris leur rythme dans l’administration des Demoiselles. Il y a ces longues lettres portées par l’Ordinaire des postes venu d’Espagne, cette correspondance presque hebdomadaire, ces échanges de paquets de lettres avec la princesse des Ursins. Il y a ces missives au cardinal de Noailles et à l’évêque de Chartres ou de Rouen, pour les informer des affaires religieuses du royaume. Mais on ne saura jamais ce que dissimulent les rencontres avec M d’Aubigny qui rapporte à sa maîtresse, Mme de Ursins, ce qu’il n’est pas bon d’écrire (p 240).
Ces lettres dont certaines étaient encore inédites, ont toujours des origines variées que cette publication intercale avec les lettres connues des éditions précédentes, et permet de remettre dans l’ordre chronologique : les archives et la bibliothèque nationales, la bibliothèque de Versailles, mais des bibliothèques étrangères comme la Morgan Library, la New York public Library. Certaines sont tirées de plusieurs collections privées, venues des Archives de la famille Noailles, ou passées en vente publique, ou encore venues du Musée des lettres et manuscrits.
« La Guimpe et le voile »
Plusieurs thèmes parcourent ces lettres : la situation en Espagne, l’attente de la guerre en Flandre, en Espagne, des batailles et des sièges : Audenarde, Lille, Gand…., puis le récit des défaites et le retour des hommes blessés. La Maison de Saint Cyr revêt l’habit religieux (p 177) après sa transformation en maison religieuse. Port Royal est dispersé sans un soupir (octobre 1709). Et la crainte du renvoi de Mme des Ursins de la direction des affaires en Espagne devient de plus en plus forte si bien que Mme de Maintenon se plaint de sa vieille amie à un correspondant : « notre commerce devient pénible » (p 680) . Elle soutient de quelques conseils des Dames de Saint Cyr : « votre imagination est tendue de deuil. Reprenez de la joie car elle est nécessaire pour bien vous acquittez de vos devoirs ». (p 751). Et puis il y a ce terrible hiver 1709 qui oblige à manger des œufs en Carême par manque de légumes.
Heureusement, les lettres de ces femmes sont parcourues d’informations concrètes sur la cour, comme ces espérances de grossesse, comme ce magnifique jouet offert à une enfant de trois ans, une rare poupée qui témoigne de l’intérêt véritable que Mme de Maintenon porte aux enfants en bas âge, cette poupée qui crée presque un incident politique à la cour tant les habits époustouflants de la poupée sont interprétés comme une critique des habits des femmes de la cour. Il y a aussi cette libération incomprise, cette mode de ne plus porter le corset en public et donc ces corps non tenus de jeunes femmes qui semblent déborder des vêtements.
« De l’esprit, de la raison et de la bonne grâce » (5 avril 1681)
Ce livre regorge comme les autres tomes, d’informations sur la cour, légères, graves, diplomatiques et politiques. Il montre l’extraordinaire intelligence de Mme de Maintenon, attentive à des milliers de faits d’importance très diverse, capable de répondre sur des tons tout aussi variés, avec un sens de la formule, une élégance à chaque correspondant pour traiter ces faits et faire circuler l’information.
Cet ouvrage est précédé d’un très intéressant avant-propos de Françoise Chandernagor qui retrace sa propre quête des archives de Mme de Maintenon à l’époque où elle écrivait L’allée de roi. C’est la mise à jour passionnante et parfaitement écrite d’une partie du travail de l’historien à la recherche des papiers, triant les faux, les apocryphes et découvrant la finesse, la bonne grâce, la politesse naturelle qui font le style de l’épistolaire. Françoise Chandernagor estime que la publication de ces lettres sont « l’œuvre d’une vie« , heureusement entamée là avec tous les auteurs par les éditions Champion, c’est pourquoi on attend avec impatience la sortie des trois derniers tomes.
Pascale Mormiche