Cet ouvrage relate l’arrivée des premiers esclaves au Canada et leurs conditions de vie.

Paru pour la première fois en 2004Paru chez Hurtebise, l’ouvrage avait fait l’objet sous le titre Histoire de l’esclavage au Canada français » d’une première édition en 1999 il est l’œuvre de l’historien québécois Marcel Trudel, professeur émérite de l’Université d’Ottawa décédé en 2011 et auteur de nombreux ouvrages. Si les autres colonies d’Amérique pratiquèrent l’esclavage intensif, la Nouvelle-France ne fut pas plus vertueuse même si la pratique resta limitée

Le premier esclave arrivé en Nouvelle-France était un jeune Noir amené par les Anglais en 1629 et vendu à un certain Le Baillif. Il est envoyé à l’école des Jésuites et baptisé en 1633. Il meurt à Québec en 1654 sous le nom d’Olivier Le Jeune.

C’est ainsi que commencent deux siècles de présence servile au Québec, documentée avec précision par Marcel Trudel qui a même établi un dictionnaire des esclaves et leur propriétaire, joint sous forme de CD-ROM à l’édition de 2004.

Mais il ne fallait pas nécessairement être noir pour être esclave. L’esclavage existait sur le continent américain avant l’arrivée des Européens, c’était le sort des prisonniers de guerre qui pour certains ont été vendus aux colons blancs à partir de 1671.

L’introduction explore ainsi les premiers témoignages d’esclaves reçus comme tel par des Français à la fin du XVIIe siècle. Souvent éduqués et baptisés, ce sont souvent des enfants. On connaît mal leur statut de servitude : 29 personnes connues grâce aux sources d’état civil. C’est seulement après 1709 que l’esclavage est officiellement reconnu en Nouvelle-France.

On veut des nègres

Le second esclave noir arrive en 1686, soit longtemps après les Antilles. En 1688, une première demande d’esclaves africains est faite par les colons du Québec, trois après le Code noir. Les motifs invoqués sont le besoin de main-d’œuvre. Ce commerce est extrêmement faible : de 1689 à 1713, on dénombre 13 Noirs pour 145 Amérindiens. Ce commerce est d’autant plus marginal que le roi y est peu favorable malgré l’argumentaire de l’intendant Bégon, les conditions hivernales peu adaptées et la colonie affaiblie par les conséquences de la guerre de la ligue d’Augsbourg manque de moyens financiers.

La législation de l’esclavage

Le Code noir écrit pour les Antilles puis étendu à la Louisiane ne pouvait être appliqué au Canada. Il fallut donc attendre l’ordonnance de l’intendant Raudot en 1709. Elle porte sur les esclaves noirs et amérindiens, souvent regroupés sous le vocable de « Panis », même s’ils appartenaient à une autre nation non alliée des Français. Cette ordonnance ne sera jamais validée par le roi. La politique royale était dictée par la volonté de signer des alliances avec de nombreuses nations amérindiennes. On note qu’en principe, des contre-exemples existent, un propriétaire ne peut vendre un Amérindien aux Antilles.

L’auteur détaille les mesures qui encadrent ce commerce et les conséquences de la chute de la Nouvelle-France.

Près de 4 000 esclaves au Canada

Le dénombrement est en fait difficile. 3 000 ont été identifié dans les registres de catholicité avec comme sources complémentaires : les recensements, les registres de malades de l’hôtel-Dieu de Québec et quelques actes notariés. Pour un millier les informations sont lacunaires. Le Dictionnaire de Trudel comporte 2 700 notices d’Amérindiens pour lesquels l’auteur précise sa méthodologie. Une certitude les Panis sont les plus nombreux, mais qui sont-ils ?

Même s’il existe un peuple de ce nom entre la rivière Missouri et la KansasTerritoire de l’actuel État du Nebraska le terme est devenu générique est utilisé pour tous les Amérindiens non alliés des Français et ceux qui viennent de régions lointaines (Vallée du Mississippi, Sioux…). C’est toute une géographie de l’Amérique du Nord que décrit l’auteur.

Il dénombre également 1443 Noirs, leur nombre a fortement augmenté à partir de 1770 sous le régime anglais. Ils sont moins issus directement de la traite que du commerce avec les colonies anglaises ou de la guerre. L’auteur est convaincu que son dénombrement est incomplet. Il propose néanmoins une répartition géographique au sein de la Nouvelle-France.

Le marché aux esclaves

Les ventes repérées s’échelonnent de 1709 à 1796. Ce sont des biens meubles, ils peuvent donc être vendus ou servir pour garantir un prêt. L’auteur en présentant nombre d’exemples donnent ainsi à voir les esclaves. Les contrats prévoient le respect de la religion dans laquelle ils ont été baptisés. Outre l’achat, on peut hériter d’un esclave ou le recevoir en cadeau. Il existe même des mises en esclavage volontaires.

Dans ce marché peu actif, un noir vaut plus qu’un Amérindien.

Des propriétaires à tous les échelons de la société

Sur les 3 200 propriétaires connus et étudiés, on trouve des communautés religieuses, les familles de la haute administration de la colonie, des militaires. Viennent ensuite des commerçants : bouchers, taverniers, entrepreneurs de la traite des fourrures, de plus petites gens aussi : médecins, sergents, notaires… En fait, chaque propriétaire n’a souvent qu’un esclave, domestique de sa maison. Les plus grands propriétaires n’ont pas plus de 25 esclaves. Les plus dotés sont les communautés religieuses : 46 esclaves pour les Jésuites, 31 pour le Séminaire de Québec.

Les conditions de vie

Quelles furent leurs vies ? C’est ce que tente de montrer l’auteur, à partir de la législation qui apporte une certaine protection aux baptisés, notamment par l’interdiction du concubinage d’un Blanc avec une esclave. Comme dans le Code noir, le propriétaire doit nourriture et entretien.

Souvent domestique, les enfants sont souvent présentés dans les actes comme adoptés. Les exemples de métiers exercés, les vêtements et les soins reçus à l’hôpital complètent le tableau d’une vie sans doute rude, mais bien différente de celle des esclaves des Antilles, ce qui peut expliquer l’attachement à leur maître signalé pour quelques-uns.

Les esclaves et les sacrements

Si beaucoup sont baptisés rapidement après leur mise en servitude, il existe des baptêmes tardifs. 80 % des esclaves reçoivent le baptême. Pour certains ,c’est un événement social avec des parrains-marraines influents. L’étude des prénoms indique une forte prévalence de Marie, Joseph, Jean-Baptiste et Pierre, comme dans la population générale.

Si les baptêmes sont bien renseignés, on ignore s’ils reçoivent les autres sacrements et s’ils pratiquent la religion.

Crimes et châtiments

Là encore la différence avec les Antilles est importante. Il est vrai que les situations étaient très inégales : aux Antilles, peu de Blancs face à de nombreux esclaves. Au Canada, ces derniers sont si peu nombreux qu’ils ne pouvaient être une menace pour les colons.

Les exemples rapportés témoignent de rares châtiments, infligés parfois aux frais du propriétaire : « Le Noir déserte […] Brown le fait mettre en prison et fouetter par le bourreau, ce qui coûte 1 livre, 8 chelins et 10 pence » (p. 201). L’auteur relate divers crimes et procès dont le plus spectaculaire fut l’incendie de Montréal en 1734.

L’esclave a-t-il des droits d’homme libre ?

La vie de l’esclave au Canada est assez proche de celle des autres habitants de la « belle province ». L’auteur montre un ensemble de situations où l’esclave jouit de certains droits comme témoigner au mariage d’un autre esclave, aller en justice pour faire reconnaître un statut d’homme libre, notamment en cas de descendance d’un homme libre fruit d’une relation adultérine comme le montre l’exemple de la Panisse Marie-Marguerite en 1740 longuement décrit dans ce chapitre. Un autre exemple montre une esclave noire capturée dans une colonie anglaise qui demande de retourner en Nouvelle-Angleterre après la capitulation de Montréal en 1760.

Pour les délits courants, qu’ils soient auteurs ou victimes, les esclaves sont, contrairement au Code noir, soumis aux mêmes règles que les Canadiens. L’auteur détaille les conditions d’acquisition de la liberté et le statut des affranchis.

De la débauche et du mariage

Le premier problème que connaît l’esclave nouvellement arrivé est de se conformer à des normes sociales qui ne sont pas les siennes. Dans ce cadre se posent notamment les relations entre maîtres et esclaves amérindiennes très « appréciées » des coureurs des bois. Des mariages attestent de cet arrangement entre mœurs amérindiennes et conventions sociales canadiennes sous la surveillance de la religion.

Sur les 1205 femmes esclaves étudiées, 213 donnent naissance à des enfants illégitimes conçus parfois pendant le long voyage entre les « pays d’en haut » et la vallée du St Laurent. Pour 27 enfants, l’acte de baptême précise le nom du père (4 fois le propriétaire, souvent des « voyageurs »). Les enfants sont nés esclaves.

L’auteur montre aussi que les mariages entre esclaves sont peu nombreux : 73 cas étudiés, de même maître ou de maîtres différents. Les enfants reviennent au propriétaire de la mère. Les plus fréquents sont les mariages entre esclaves noirs, seulement 4 connus entre esclave noir et amérindien.

Les Canadiens ont-ils du sang d’esclaves ?

La question des mariages mixtes Canadien/Amérindienne est très présente dans les sources religieuses qui les condamnent alors que la politique royale allait plutôt vers une « francisation des sauvages » par le mariage « pour qu’ils ne fassent qu’un même peuple et un même sang » (p. 279). Cette politique inspirée par Colbert concernait les Amérindiens alliés des Français.

Qu’en est-il des mariages avec des esclaves ? Déjà évoqués au chapitre précédent, ils sont repris ici avec des exemples concrets.

En conclusion l’auteur dénombre 103 enfants de sang mêlé.

Les esclaves disparaissent un à un

Dès 1787 des mentions dans les contrats de vente montre la crainte d’une abolition de l’esclavage. En 1790, des articles de journaux attestent de l’existence d’un mouvement abolitionniste même timide. Enfin la question de l’abolition est soumise pour la première fois au Parlement du Bas-Canada le 28 janvier 1793. La même année, le Parlement du Haut-Canada vote une loi interdisant l’importation d’esclaves sans toutefois libérés ceux qui sont déjà présents sur le territoire. Cette mesure entraînait l’extinction progressive de l’esclavage. Au Bas-Canada, à partir de 1788, le juge en chef refuse de poursuivre les esclaves fugitifs. L’auteur décrit le manœuvres infructueuses des propriétaires jusqu’en 1803. Dans les faits l’esclavage s’éteint avant même l’abolition officielle le 28 août 1833. La dernière mention d’une esclave panisse date de 1821 alors que la dernière vente est datée de 1797.

L’auteur conclut sur na nécessité de faire sortir de l’oubli cette vérité non assumée : oui, il y eut des esclaves au Québec.

 

Un ouvrage qui donne une nouvelle vision de la Nouvelle-France et qui, dans ce domaine au moins, montre une continuité entre la colonie française et le régime anglais.