Mme de Maintenon, saison trois.
Un nouveau tome dans la nouvelle série de la correspondance publiée de Mme de Maintenon vient de paraître : il s’agit de la période 1698-1706, la période difficile du règne de Louis XIV et du rôle de Mme de Maintenon.
Ces lettres quasi-quotidiennes représentent sur huit ans, un total plus de 800 lettres au travers desquelles il apparaît qu’elle en écrivait d’autres puisqu’elle en évoque le contenu. Elle communique épistolairement avec plus de 108 correspondants, un réseau social très large. La correspondance reste bien une des principales occupations des femmes à cette époque même si l’on voit Mme de Maintenon assister à des réunions avec des ministres, se rendre aux cérémonies, participer aux soirées d’appartements et au rituel des fêtes à la cour, se déplacer entre les Maisons royales, Versailles, Trianon, Marly, Fontainebleau, Meudon ou dans ce qu’elle considère comme sa maison, Saint Cyr.
Certaines lettres autographes proviennent des fonds des bibliothèques municipales comme celle de Versailles, d’Avignon, d’Angers, de Boulogne sur Mer et de la Morgan Library à New York ainsi que des archives de la Creuse. Certaines ne sont connues que par des copies encore existantes ou par des imprimés. Les raisons de la datation sont toujours précisées et justifiées. Un vrai travail d’archéologie littéraire ! Le tout est accompagné par un index des noms de personnes d’une vingtaine de pages.
Des conseils pédagogiques
Une grande partie de ces lettres concerne la Maison de Saint Cyr et le domaine de l’éducation. Il s’agit d’affirmer les règles, d’assurer la pratique pédagogique originale, de communiquer avec les maîtresses et de suivre les Demoiselles quand elles ont quitté Saint Cyr. Elle a parfois un rôle de conseillère comme avec la première maîtresse des rouges : « vous parlez à vos enfants avec une sécheresse, un chagrin, une brusquerie qui vous fermera les cœurs. Il faut […] qu’elles sentent que vous êtes pleine d’espérance qu’elles se corrigeront [lettre 235]». A une autre : « Il me paraît que vous embrassez trop de matières, il en faut peu pour les enfants. Vous parlez trop aussi et je crois qu’il faudrait les faire parler davantage pour voir ce qu’ils entendent et s’ils comprennent [236]». Beau langage d’inspectrice !
En 1701, elle donne une ligne de direction dans une grande lettre connue sur une éducation « simple et chrétienne [290]». Elle cherche à recruter une maîtresse pour apprendre à faire des points de tapisserie d’après les cartons des grands peintres, « non pas à des ouvrages exquis car on a guère ce temps-là à Saint Cyr mais qu’on y fut capable de faire des ornements des chaises et autres meubles [99]». Instruire les demoiselles aux activités utiles pour leur avenir domestique et lutter contre l’oisiveté. Elle défend les récréations, Recréations « des filles qui ont besoin de se débander l’esprit par des relâchements innocents [182]». Elle s’adresse parfois directement aux élèves : «A la classe rouge. […] C’est encore un grand plaisir d’apprendre que vous modérez vos voix aux récréations, il faut que des filles se modèrent toujours et qu’elles gardent une conduite qui fasse voir qu’elles sont en tout maîtresses d’elles-mêmes [815] ». A un mariage envisagé entre jeunes gens, elle oppose ce conseil qui peut étonner : « Je souhaiterais à cette fille quelque vieux seigneur qui fût aussi touché de sa beauté que certaine personne de ma connaissance que le respect m’empêche de nommer [248] ». Molière n’est vraiment plus là !
Une autre partie de ces lettres avec son intendant sont d’ordre domestique pour son domaine de Maintenon . « Ne faites point planter le parterre, c’est une raillerie à mon jardinier de demander 400 livres pour cela […] (la femme de confiance) a raison de ne pas souffrir votre chaise sous cette galerie de la cour du château. Je n’y ai jamais vu mettre mon carrosse sans peine et je ne le souffrirai pas présentement que la cour est pavée et ce lieu-là carrelé de neuf [190] ». Elle s’assure de la réglementation jusqu’au parking des carrosses…. Elle gère les multiples affaires de sa propre famille, puis la mort de son frère.
La direction d’affaires religieuses
Un troisième groupe de lettres touche l’affaire Fénelon et la condamnation de l’Explication de la Maxime des Saints que Bossuet cherche à obtenir du pape. Elle relate les avancées et les rumeurs de l’affaire dans la cour pontificale. Elle « est bien fâchée de ce que le vent y est contraire [191] » et relate la colère du roi accepte mal d’avoir à se dédire sur des personnes en qui il a eu confiance auparavant. C’est la partie de l’action de Mme de Maintenon qui me semble la plus déplaisante avant que ne naissent ses soupçons de jansénisme à l’encontre d’un autre de ses protégés, le cardinal de Noailles. On la voit surveiller la feuille des bénéfices, c’est à dire contrôler les mouvements des nominations d’évêques mais aussi d’abbés.
Un autre thème évoqué est celui des Affaires d’Espagne avec l’acceptation du trône par Louis XIV qui désigne son petit-fils, le duc d’Anjou. Les lettres sont très fréquentes entre Versailles et Madrid où tout se sait…, bien avant 1706, début de l’importante correspondance dominicale avec Mme des Ursins, camarera mayor à Madrid où se règlent les problèmes militaires, diplomatiques et politiques dans un contexte de guerre. Les deux femmes communiquent l’angoisse de la duchesse de Bourgogne et de sa sœur la reine d’Espagne face à la crainte d’invasion du Turin où se trouvent leurs parents, duc et duchesse de Savoie, siège qui finalement se termine par une défaite des français dont les deux jeunes filles ne doivent pas se réjouir ni à Versailles ni à Madrid. Attitude compliquée de ces princesses étrangères qui ont leurs parents dans les royaumes ennemis! On comprend que parfois, elles étouffent de vapeurs.
Mme de Maintenon écrit toujours autant de lettres de direction spirituelle, formulation toujours étonnante pour notre monde du XIXeme siècle. « Ayez peu d’opinion de vous, mais vivez dans la confiance en Dieu qui fera par vous de grands biens quoique vous soyez remplie de défauts [288] ». A une autre : « Ne voulez vous point prendre une bonne résolution de renoncer à toute singularité et à ne pas demeurer inutile dans un état d’action que est le vôtre ? Il ne vous faut que de la docilité mais une docilité effective qui ne consiste pas en paroles et dans quelques pratiques extérieures [90] ».
Certaines lettres décrivent le quotidien de la cour et sa régularité, laissant apparaître dans une lettre au comte d’Ayen une lassitude face à la routine de l’étiquette [216]. Elle soupire : « Si j’habite encore longtemps la chambre du Roi, je deviendrai paralytique. Il n’y a ni porte ni fenêtre qui ferme et l’on est battu d’un vent qui fait souvenir des ouragans d’Amérique [555] ». Elle exprime l’inquiétude et l’amour paternel de Louis XIV pour le dauphin victime d’une grosse indigestion [246], sentiments jamais exposés officiellement à la cour. Quand elle évoque avec le roi d’Espagne, la mort du roi d’Angleterre, elle qui est d’une spiritualité si intérieure, lui décrit la « fabrication des reliques »: « quand on ouvrit son corps, les médecins et les chirurgiens prenaient quelque chose pour en faire des reliques, les gardes trempaient leurs mouchoirs dans son sang, les autres faisaient toucher leurs chapelets [268]». Elle même en posséda dans un beau coffre. Elle poursuit l’éducation de la duchesse de Bourgogne, qui parfois refuse de jouer un rôle dans Athalie [292] ou mange jusqu’à en être malade, ou joue trop gros jeu. Mais c’est aussi l’époque des premières naissances, fausses couches et accouchements. Le roi accepte même de ne pas aller à Fontainebleau pour que la grossesse de la duchesse de Bourgogne soit menée à bien. Mme de Maintenon utilise sa nièce avec qui elle est très intime, commander le tissu de ses robes chez les marchands parisiens: « du gros de Tours, violet et or ou un bleu très turquin. Il faut parer le personnage [562] ». Elle répond à de nombreuses lettres de sollicitations, de recommandation, de protection et de conseil à d’anciennes élèves de Saint Cyr.
C’est un réel plaisir de lire, relire et découvrir ces lettres au sujets si variés, à accéder au quotidien de Versailles, à se délecter du grand style. Un tiers des lettres sont publiées à ce jour par cette nouvelle édition et l’on attend avec impatience la suite de cette édition de grande qualité qui permet de relire la formidable écriture de Mme de Maintenon.
Pascale Mormiche