Les Lettres de Taipei débutent sur les cérémonies funéraires de deux membres de la famille de l’auteur, son arrière-grand-mère et son grand-père. La mort de ce dernier est l’occasion pour Fish Wu de plonger dans le passé familial à travers le récit que lui en fait sa grand-mère.
L’histoire débute durant l’automne 1948 et l’arrivée de soldats communistes dans le bourg où résident les frères Shen, tous deux enseignants. Alors que l’armée fait en sorte d’assurer la réforme agraire, les Shen refusent de participer à la rédaction de slogans favorables à la Révolution en cours. Il n’en faut guère plus pour que les frères Shen soient considérés comme des « lettrés rebelles » et que leurs biens soient confisqués puis spoliés par leurs propres voisins. Voués aux gémonies et victimes de violences, les Shen prennent une décision douloureuse : le plus jeune des deux frères, Erhong, prend la route de l’exil, vers Taipei, tandis que Erya choisit de rester et d’endurer les vexations multiples de sa nouvelle condition.
Avec le départ de son frère, Erya et sa famille se voient considérées comme « traîtres » et chassés de leur propre maison. Ils ne trouveront refuge que dans un cabanon, au sein duquel la santé de Erya déclinera très rapidement. Reste à Erya à assurer un avenir à sa fille, la grand-mère de l’auteur et de passer par un mariage arrangé…
Sans aucun pathos et avec un trait magnifique, Fish Wu nous plonge dans l’univers des errances de la révolution maoïste avec maestria. Ce beau roman graphique constitue également une réflexion stimulante sur ce qu’est la transmission d’une mémoire à travers plusieurs générations.
Grégoire Masson