L’histoire à venir est le nom d’un jeune festival, créé en mai 2017. Les éditions Anacharsis inaugurent  avec cet ouvrage une série de publications des conférences du festival. La première conférence, « Ecrire l’histoire des futurs du passé » est de Patrick Boucheron, médiéviste et professeur au Collège de France. Elle est suivie d’une seconde intervention, « L’histoire à venir ? » de François Hartog, directeur d’études à l’EHESS, qui a notamment développé le concept du régime d’historicité, pour étudier l’articulation entre passé, présent et futur.

Patrick Boucheron – « Ecrire l’histoire des futurs du passé »

Patrick Boucheron commence par rappeler qu’Hannah Arendt décrivait Walter Benjamin comme un pêcheur de perles, plongeant dans le passé pour y arracher des fragments des profondeurs, des « éclats de pensée ». Dans ces bribes du passé, étincellent des lueurs d’avenir. Mais accumuler des traces du passé ne suffit pas à reconstituer le passé et à faire avancer la connaissance historique.

L’historien rappelle ensuite que le philosophe grec Cornelius Castoriadis s’est intéressé à la démocratie athénienne, en particulier à l’autonomie politique, non pas pour trouver un modèle à imiter mais pour rechercher des « indices de possibilité », c’est-à-dire l’attestation qu’il a existé une possibilité qui peut être réactivée sous une forme différente. Ainsi, Patrick Boucheron définit l’histoire comme « l’art de se souvenir de ce dont les hommes sont capables ».

De même, lorsque Cola di Rienzo, lettré du XIVe s., redresse la Lex regia qui servait de table d’autel à Saint-Jean-de-Latran et la traduit, il met en avant sa potentialité et délivre un message politique. En effet, la loi affirme que le Sénat délègue à l’empereur sa souveraineté, qui est donc d’origine populaire. Or, cette souveraineté peut être reprise. Le passé est ici réaffecté au présent de l’action politique. Cola di Rienzo pratique ainsi une inventio médiévale, qui relève plus du remploi que de la conservation. Il ne s’agit pas de transmettre une tradition, mais de la réinventer.

La chronologie donne la fausse impression d’un récit inexorable, alors qu’elle résulte de l’élimination hasardeuse et progressive de ce qui aurait pu être. Ecrire l’histoire des futurs du passé remet en cause cette linéarité. L’histoire contrefactuelle n’abandonne pas pour autant rigueur et méthode, comme le montrent les travaux de Pierre Singaravélou et de Quentin Deluermoz (Pour une histoire des possibles. Analyses contrefactuelles et futurs non advenus, Paris, Seuil, 2006). L’histoire adopte une démarche scientifique puisque la science pose des hypothèses et construit des équations pour modifier les variables. Selon Patrick Boucheron, « l’historien a pour ambition, à la fois politique et poétique, de retenir le temps, c’est-à-dire de ramener son écriture au moment où les choses ne sont pas jouées d’avance ».

François Hartog – « L’histoire à venir ? »

L’idée de s’interroger sur l’histoire à venir a longtemps choqué les historiens. L’histoire s’est affirmée comme science du passé. La recherche de lois, sur le modèle des sciences de la nature et de la médecine expérimentale, aurait pu ouvrir sur de la prévision.

Michelet est une exception : selon François Hartog, il « développe une lecture prophétique du passé de la France comme conduisant vers la Révolution qui, en retour, éclaire le passé ». 1870 marque un coup d’arrêt, renforcé par la guerre de 1914. Dès 1919, Paul Valéry dénonce la faillite de l’histoire dans La Crise de l’esprit qui démontré son incapacité à prévoir. Les historiens des Annales montrent que l’historien peut contribuer à diagnostiquer le présent grâce à sa vision à long terme.

Dans les années 1970 et 1980, la demande de mémoire bouscule l’histoire, la question de la reconnaissance de mémoires oubliées ou refoulées questionne en effet les historiens.

Les usages du passé sont multiples : grandes commémorations, jeux vidéos, internet (forums, blogs, tweets), médias traditionnels (radio, télévision, presse, édition), écoles, universités… Il faut prendre acte de leur multiplication.

Pour Paul Ricoeur, la mémoire est la matrice de l’histoire (La Mémoire, l’Histoire, l’Oubli, 2000). Le patrimoine est une notion de crise, il permet d’affronter un présent dans lequel on ne se reconnaît plus. L’identité est aussi une notion marquée par l’inquiétude, à la fois sur le passé et le futur : Quel est le passé de la France ? Quel peut être l’avenir commun ?

L’histoire apparaît aussi comme une marche à la catastrophe, qui tendent à s’imposer comme l’horizon de l’histoire. L’histoire de l’environnement devient une sorte d’histoire globale, dans la mesure où elle concerne le globe terrestre. Sanjay Subrahmanyam considère cependant l’histoire globale comme complémentaire aux autres formes d’histoires à des échelles variées.

François Hartog souligne enfin l’omniprésence du présent, l’idée que l’on ne perçoit plus ni passé ni avenir dans un présent qui se vit avant tout dans l’urgence. Dans ce contexte, articuler les trois temporalités apparaît, plus que jamais, nécessaire.

Jennifer Ghislain pour les Clionautes