Né en 1951, Jean-Loïc Le Quellec est diplômé de l’École pratique des hautes études (paléoécologie du quaternaire) et docteur en anthropologie, ethnologie et préhistoire. Sa thèse portait sur « Le symbolisme de l’art rupestre ancien du Sahara central » (1992.
Il est directeur de recherches 2e classe au CNRS et il a réalisé de nombreux ouvrages sur l’art rupestre du Sahara, en particulier en LibyePeintures et gravures d’avant les pharaons : du Sahara au Nil coécrit avec Pauline de Flers et Philippe de Flers, 2005, 377p.Des martiens au Sahara :chroniques d’archéologie romantique, éditions Errance, 2009, 318 p.Arts rupestres et mythologies en Afrique, Flammarion, 2012, 212 p.Murs d’images : art rupestre de la Tassili-n-Ajjer, avec Jean-Dominique Lajoux, éditions Errance, 2012, 314 p.. Il est, avec M. Lorblanchet, Paul G. Bahn, H.-P. Francfort et B. et G. Delluc, un des opposants à l’interprétation chamaniqueChamanisme et arts préhistoriques : vision critique, éditions Errance, 2006, 335 p. de l’art pariétal développée par Jean Clottes et David Lewis-WilliamsLes chamanes de la préhistoire, Edition du Seuil, coll point histoire, 1996.

L’auteur nous offre ici une véritable anthologie critique des interprétations de cette fameuse scène du puits. Il a recensé pas moins de 155 ouvrages et 143 auteurs qui en parlent depuis 1941 et, tous, à une ou deux exceptions près, subissent sa critique ! De façon générale c’est tout au long de la très importante première partie qu’il en fait un inventaire à la Prévert et montre leurs biais ou leurs exagérations. Ce n’est qu’après avoir ainsi démontré l’impossibilité de lire la scène du puits, qu’il plaide, dans une seconde partie, pour une multiplication des approches rationnelles. Evidemment, au regard de la très nombreuse littérature interprétative, cette seconde partie est bien plus courte, preuve s’il en est, de la difficulté d’étudier rationnellement l’art pariétal. Car il s’agit bien de cela au travers de ce petit ouvrage : présenter une plaidoirie pour des méthodes scientifiques contre des interprétations qualifiées d’ hasardeuses.

Un inventaire à la Prévert

Même s’il commence sa critique par le premier article parusBreuil H., 1941, « Une Altamira française : la caverne de Lascaux à Montignac (Dordogne), comptes rendus des séances de l’Académie des inscriptions et Belles-Lettres.
On trouvera aussi p.11 la reproduction de la photographie retouchée parue dans le journal « L’Illustration » tirée de l’article de Pierre Ichac, 1941, « Un Versailles de l’art préhistorique. La grotte à peinture de Montignac, en Dordogne », L’illustration, 5104.
dès 1941 (dont on trouvera la remarquable reproduction p10), le propos passe ensuite d’un thème à l’autre sans ordre chronologique ni thématique.

On va ainsi, de la scène de chasse, dont la savoureuse reconstitution romancée de Rousseau (1969) reproduite in extenso, aux hypothèses suivantes plus ou moins sérieuses : interprétation totémique (Laming-Emperaire, 1955) ; symboles sexualisés (Ucko et Rosenfeld, 1966) ; meurtre, expiation et caractère érotique (Bataille, 1957) ; « tauromachie paléolithique » (Soller, 2002, 2016) ; voyage chamanique (Bourdier, 1968) ; explication psychanalytique et onirique (Jouvet, Sacco, Grangeon de 1996 à 2005) ; ex-voto (Leroy-Gourhan, 1981). De même, les hypothèses qui expliquaient la scène à l’aide des pratiques actuelles des peuples que l’on nomme aujourd’hui « premiers » sont aussi passées au cribleUn exemple parmi d’autres : F. de F. Daniel en 1950 identifia une technique de chasse en rapprochant ce qu’il a cru voir sur cette scène avec ce que l’on savait des chasseurs Hausa dont le leurre ressemble étrangement à la tête de l’homme de Lascaux http://artkhade.com/fr/object/098422/wgWPci/leurre-de-chasse-hausa-nigéria et ce n’est que bien plus tard (et bien plus loin dans l’ouvrage hélas) que des spécialistes des rhinocéros, des archéozoologues ont prouvé que la chasse à cet animal était techniquement impossible au paléolithique supérieur.. On constate ainsi, à ce propos, avec l’auteur, que si l’utilisation de l’ethnologie pour expliquer l’art du paléolithique est une méthode possible, celle-ci doit rester prudente, ce qui n’a pas été souvent le cas.

Tout est sujet à interprétation. Quelques exemples saillants 

– le bâton serait ainsi un propulseur à décor ornithomorphe (mais J-L Le Quellec fait remarquer que ce dernier apparaîtra bien après la datation de Lascaux). L’oiseau sur le « bâton » serait un totem (Leroy-Gourhan parlera aussi de « quelque chose en rapport avec les totems des indiens de Vancouver »).

– Les signes à l’arrière du rhinocéros seraient quant à eux des idéogrammes (Emmanuel Anati). Mais on passe ainsi de ces derniers à l’Egypte (Alfred de Grazia), puis à l’esprit oiseau (Delzard) et enfin au récit mythologique (la reine bisonne, le Dieu rhinocéros, le prince homme oiseau de Christine Dequerlar et Jacques Picard) ou à un « état ancien du mythe de la chasse cosmique, un protomythe » (Julien). Il ne fallait que l’évocation du cosmos pour que l’auteur s’intéresse au cas de l’hypothèse céleste. Et c’est avec ce sujet qu’on découvre des tentatives d’interprétations parfois… nébuleuses. Rappenglûck y voit « une carte céleste, le tout teinté de chamanisme » . L’interprétation de Marc Bruet (dont le compte rendu a été fait sur le site des clionautes), elle est qualifiée de « lecture imaginative » et Andis Kaulins a même fixé en 2003 la date de création de la scène le 25 décembre 9275 av. J.-CKaulins, Andis, 2003, « Stars, Stones and Scholars : The Decipherment of the Megaliths as an ancien survey of the Earth by Astronomy », Victoria [BC] : Trafford Publishing..

– Enfin, l’inclinaison de l’Homme de LascauxLes clichés de Fernand Windels publiés par l’abbé Breuil confirme que l’homme de Lascaux peut paraître vertical avec un corps arqué. a aussi été débattue. Est-il droit ou incliné ? La question est intéressante mais cette fois-ci, J-L Le Quellec montre les « affirmations gratuites » de Sigfried Giedion qui avait dit par exemple sans détour que « si l’anthropomorphe du Puits [donnait] des signes de grande agitation et de concentration de pouvoirs c’est qu’il [était] loin d’être mort : il [accomplissait] le rituel de domination de la bête ». Il est seulement dommage qu’à propos de cette position, J-L Le Quellec a écrit que , « vu sous cet angle, l’homme (…) [donne] l’impression qu’il bombe le torse pour impressionner ou dominer le bison »… ce qui est aussi une interprétation gratuite.

De la critique acerbe à l’étude critique des méthodes employées

Si les premières pages, sont parfois agrémentées d’exclamations moqueuses comme « il fallait y penser !», « bon sang, mais c’est bien sûr !», dans un autre registre, on trouve quelques piques telle que « la thèse chamanique conduit communément à de tels excès ». Mais il est vrai que l’explication de Belinda Gore, qui fait le lien entre le voyage d’Osiris et l’homme de Lascaux en raison de leur même inclinaison, fait plus que prêter le flanc à la critique et que certains auteurs sont donc qualifiés à juste titre de « très imaginatif ».

Peu à peu, les jugements qui démontrent le manque de rigueur méthodologique interviennent plus souvent et l’auteur finit par montrer, au hasard des hypothèses présentées, qu’elles sont « hasardeuses et qu’elles ne démontrent rien »« Toutes les interprétations astrales de l’art préhistorique (…) accumulent les rapprochements hasardeux sans jamais en démontrer aucun ». C’est le cas notamment de la date fixée par Andis Kaulins.. Certains auteurs sont qualifiés d’ « herméneutes, notamment ceux que Paul Bahn a surnommés les « chamaniaques ». D’autres sont coupable d’ajouter « glose sur glose ».
J-L Le Quellec pointe aussi quelques biais scientifiques intéressants notamment celui de l’accumulation d’hypothèses qui, même si elles relèvent de ce que les anglo-saxons appelle la « best fit hypothésis » c’est-à-dire l’hypothèse qui explique le plus grand nombre de faits, elles ne sont pas menées avec rigueur dans la plupart des cas (tous les cas ?) : « La multiplication des explications finit par ruiner l’ensemble (…) puisque puisque les derniers éléments cités sont [parfois] faux ».

Enfin, il rappelle que la science doit faire preuve de prudence méthodologique comme l’a fait Alain Testart dans son dernier ouvrageArt et religion de Chauvet à Lascaux, Édition de Valerie Lecrivain, Collection Bibliothèque des Histoires, Série illustrée, Gallimard, 2016. à propos des signes… ce que n’a pas fait Chantal Jacques-Wolkiewiez qui a donc vu « des choses là où il n’y en a pas ».

Soyons donc objectif !

A la suite de cette série de critiques en tous sens, il s’en suit une série d’interrogations sur « l’homme », les « zoomorphes », le « puits » et la « scène » qui seront le début de sa réflexion sur ce que doit être notre interrogation devant cette « scène » : Avant d’être un chasseur ou un chaman, est-ce un homme ? un héros ? un démiurge ? un dieu ? Les « zoomorphes » sont-ils d’ailleurs des animaux ou des attributs de « l’homme » ? Il démontre enfin que le puits n’en est d’ailleurs pas et que la scène n’en est peut-être pas une.

L’auteur démontre aussi que cette scène est un hapax et qu’elle ne peut servir à une généralisation sur l’art du paléolithique (il existe bien trois autres scènes qui pourraient lui être semblables – à Roc-de-ser, Villar, et Laugerie Basse -, mais elles ne le sont pas). Elle n’a ainsi pas d’homologue direct sur l’ensemble de l’art paléolithique même si l’idée semble prévaloir chez les préhistoriens : « 4 représentations sur 7800 zoomorphes n’autorisent pas à parler de régularité et encore moins d’un élément mythologique constant ».

J-L Le Quellec en arrive alors à une première conclusion : il est « impossible de lire » un tel « unicum » réduit à lui-même, c’est-à-dire sans témoignage contemporain. Il rejoint ainsi la position prudente de Leroy-Gourhan dans son ouvrage sur les religions de la préhistoireLeroy-Gourhan, Les religions de la préhistoire, Quadrige, Puf, 1964..

Multiplions les approches !

Il en montre principalement deux qui forment son plaidoyer pour l’utilisation de méthodes scientifiques peu employées au premier abord :

Tout d’abord l’analyse des pigments au microscope électronique à balayage et la micro analyse dispersive en énergieAujoulard et al. « Lascaux : les pigments noirs de la Scène du puits. L’art avant l’histoire, la conservation de l’art préhistorique », in Actes de colloque des 10e journées d’études de la SFIIC, Paris, mai 2002, 2003 et Menu et Vignaud, « la technique des peintres de Lascaux » in F. Goven (dir.), Dossier Grottes Ornées. Monumental, Paris, Editions du Patrimoine, 2006 avec laquelle on a démontré par exemple les différences dans la composition des pigments et dans leur technique d’application et par ce fait, « que le rhinocéros n’était pas de la même main que le reste de la composition », que le cheval sur la paroi d’en face a été réalisé au même moment avec le même « pot de peinture » et pouvait ainsi faire éventuellement parti de la « scène ».
Ensuite, la progression des connaissances en ethnologie animale a aussi permis de dire que toutes les interprétations antérieures à propos de la scène de chasse étaient fausses.

Mais, hélas, le lecteur est de nouveau emmené à prendre connaissance d’autres discussions à propos de l’objectivité des relevés et des points de vue (est-ce un rhinocéros, est-ce une sagaie, est-ce un pénis?) et de découvrir (encore) des reprises d’idées invérifiées qui ne sont donc (encore) que des affirmations gratuites.

Et concluons par une double « morale »

– « les interprétations sont des lectures non scientifiques » au sens où chaque nouvelle se juxtapose aux précédentes et ne suit pas le cheminement de la science qui doit proposer des hypothèses qui « complètent, réfutent ou englobent les précédentes » et il est en outre difficile de prouver qu’elles sont fausses même si elles sont souvent contradictoires.

– le sens originel de la Scène du Puits reste inaccessible.

En conclusion

Cet ouvrage a ainsi vraiment le mérite de démontrer l’inexactitude des nombreuses hypothèses qui jalonnent l’histoire de cette « scène » depuis 1941. Et, même s’il est peut-être rare d’aborder cette scène en classe de 6e, on pensera à éviter d’y voir une scène de chasse ou un chamane et on en restera sur les quelques dernières avancées du savoir qui éclairent à peine le mystère de la signification de l’art du paléolithique.

Tous ces exemples nous montrent aussi l’évolution de la façon dont on « s’interroge sur notre façon de regarder les grottes ». On regrettera vraiment à ce propos l’absence de classement de ces différentes interprétations (soit chronologique, soit thématique), l’auteur préférant une sorte de promenade passant de l’une à l’autre au fil des idées présentées par leurs auteurs.