Publication d’une thèse d’histoire consacrée aux réfugiés de la Révolution Française en Grande-Bretagne à travers les représentations iconographiques d’époque.
Cet ouvrage est la publication, par un retraité ayant fait sa carrière dans les relations économiques extérieure, d’une thèse soutenue à Paris III-Sorbonne en 1996 et consacrée aux réfugiés de la Révolution Française en Grande-Bretagne, vus à travers l’iconographie de l’époque. En dépit du titre plus générique (et plus incitatif ?) donné au livre, son contenu ne propose en fait aucun élargissement significatif de cette problématique originelle. Les sources utilisées sont très caractéristiques de l’approche initiale, compilant presse, caricature et littérature (roman et pièces théâtrales) de l’époque, avec des mémoires et des correspondances d’émigrés. La bibliographie combine références historiques (assez anciennes au demeurant) et esthétiques, avec un intérêt particulier -et bien légitime- pour la caricature anglaise.

Le contenu porte la marque de cette approche plus littéraire qu’historique du sujet. La population étudiée reste assez floue puisque, outre l’émigration royaliste et le clergé réfugié, principaux centres d’intérêt de l’auteur en raison de ses sources, les prisonniers de guerre français sont eux aussi sommairement évoqués de même que, plus singulièrement, la diaspora huguenote, dont l’on retiendra qu’elle semblait avoir conservé au moins partiellement, un siècle après la Révocation, certaines spécificités, sinon une véritable identité. Les évaluations numériques sont floues (lacune qu’aurait sans doute pu combler un effort moins exclusivement compilatoire), l’agencement chronologiquement confus, la composition répétitive et parfois confuse, et certaines interprétations et formulations passablement farfelues (le chasseur de perles relèvera ainsi p.155 le raccourci à tout le moins imprudent prêtant une « culture catholique et cartésienne » (!) aux huguenots du Refuge). Pour comble, l’auteur a cru bon d’insérer périodiquement dans le corps de son étude les épisodes saugrenus d’un palpitant roman-feuilleton à l’ancienne relatant la conversion du comte d’Artois de la galanterie à la dévotion, dont tout porte à croire qu’il s’agit d’un morceau de bravoure de son cru !On l’aura compris, l’historien n’y trouvera pas la solide synthèse que laissait espérer le titre. Cependant il serait excessivement sévère de dénier tout mérite à cet ouvrage. Certains apports ponctuels méritent ainsi de retenir l’attention : un tableau statistique de la répartition professionnelle des patients d’un hôpital français de Londres au XVIIIème siècle semble inédit de ce côté-ci de la Manche, quelques aspects de l’histoire militaire de l’émigration sont rappelés, et l’on peut recomposer par fragments les principaux traits de l’émergence de la caricature, genre nouveau d’expression « de l’image comme langage » dont les Anglais furent les pionniers.

Mais, en fait, le principal intérêt de ce livre est ailleurs, dans ces confins où l’étude des représentations littéraires et artistiques rejoint l’histoire des mentalités. L’auteur, qui a voulu faire oeuvre de « civilisationniste » ainsi que l’affirme la 4ème page de couverture, pose les jalons d’une étude de la perception et de la représentation des Français par les Britanniques de la fin du XVIIIème siècle. Éphémère choc des particularismes, l’émigration constitue de ce point de vue un instant de confrontation charnelle quotidien, quoique temporaire, entre les deux peuples. En retour de l’hospitalité charitable mais méfiante qui leur était accordée, les réfugiés de la Révolution manifestèrent une gratitude réelle. Hélas, la relation entre l’anglophilie des élites françaises et cette expérience de l’exil n’est pas clairement posée : laquelle est la cause et laquelle l’effet ? Si un évident malentendu culturel semble transparaitre de leur cohabitation, à travers des tempéraments et des modes de vie dont les contrastes sont soulignés par l’auteur, celui-ci demeure trop fidèle à ses sources pour y sonder le rapport entre cliché et réalité vécue.

Plus stimulants encore sont les aperçus proposés sur le malentendu politique entre les uns et les autres, les Français étant soupçonnés par l’opinion anglaise d’être les fourriers des valeurs révolutionnaires dont ils étaient pourtant les victimes. Étrangement, en dehors d’hommages de courtoisie au souverain anglais, ces réfugiés semblent quant à eux curieusement hermétiques aux valeurs politiques et au système institutionnel de leur contrée d’accueil. Mais aucune interprétation de cette énigme ne s’affirme clairement : posture traumatique des rescapés de la guillotine, neutralité respectueuse des lois de l’hospitalité, ou bien lacune des sources utilisées ?

S’esquisse ainsi, entre les lignes, une histoire de l’incompréhension entre les peuples. C’est ce qu’il faut chercher dans ce livre dont la fécondité et l’intérêt sont plus dans les pistes de réflexion qu’il ouvre, assez maladroitement, que dans les réponses qu’il apporte. Sous cet angle, le lecteur curieux peut y puiser une provende assez nourricière.

Guillaume Lévêque © Clionautes.