Cet ouvrage a été écrit par Pierre Prétou, professeur d’histoire médiévale à l’université de La Rochelle. Longtemps spécialisé sur l’histoire de la justice médiévale, il articule ses recherches depuis une dizaine d’années sur la violence en mer et plus précisément sur la figure du pirate dans les espaces atlantiques.
L’antiquité gréco-romaine avait pris le temps d’élaborer un lexique pour désigner l' »ennemi de tous » dans la Mare Nostrum : le pirate. Mais cette figure du pirate (et son lexique) a disparu au Moyen âge, « à la faveur de la fragmentation des littoraux et des entités politiques ».
L’objectif de cet ouvrage est d’analyser la renaissance à la fin du Moyen âge du lexique de la piraterie. Pour ce faire, Pierre Pétrou s’installe sur les rivages du Royaume de France et scrute attentivement la période du XIVe-XVe siècles qui voit l’émergence des Etats modernes et durant laquelle le lexique pirate refait surface.
Pour réaliser ce travail, l’historien se base sur l’ensemble des écritures maritimes rédigées par le royaume de France dans les derniers siècles du Moyen âge. Ce corpus de sources se compose des actes souverains (ordonnances, traités, registres du Parlement de Paris), des coutumes maritimes (les rôles d’Oléron par exemple) et des sources romanesques, religieuses et historiques ainsi que des miniatures.
Les violences médiévales en mer
Du Ve siècle au milieu de Moyen âge centrale (XIIe-XIIIe siècles), le lexique pirate disparaît, en même temps que l’Empire romain d’Occident et le fragile maintien de l’Empire romain d’Orient, mais non la violence sur mer . Durant cette période, une réglementation originale de la violence maritime se met en place : le droit de représailles. Le règlement des conflits qui surviennent en mer se fait de manière pacifique et arithmétique sous la forme de la compensation financière. Le cadre des affaires maritimes semble indépendant du pouvoir des rois et des princes. Ce n’est qu’à la fin du Moyen âge que les souverains font leur apparition sur les rivages de leur royaume. Cette idée est parfaitement développée par Pierre Pétrou avec l’exemple des Rôles d’Oléron. Ceux-ci sont un recueil d’usages (et de jurisprudences) acceptés dans le monde maritime. Ces traditions orales propres au monde marin, qui deviennent les Rôles d’Oléron une fois mises par écrit, sont acceptées dans tout le monde atlantique, des rivages de la Castille jusqu’à la Baltique.
Ces coutumes maritimes sont approuvées de loin par la royauté mais ne sont pas des actes provenant leur propre administration. Ce n’est qu’à partir de la seconde moitié du XIIIe siècle que la royauté s’empare de ces coutumes pour en faire des textes souverains. Les rôles d’Oléron prennent progressivement le nom de Jugements de la mer. On retrouve cette emprise de plus en plus grandissante du pouvoir souverain français sur les rivages de son royaume avec la création de l’Amirauté de France sous le règne de Charles v. Par cet acte (1373), le roi met en place toute une administration dont la fonction première est de lutter contre les violences en mer.
La fabrique du pirate
C’est à la fin de la période médiévale qu’émerge, après une longue absence, le lexique de la piraterie. A la manœuvre, les rois de France créé une figure imaginaire du pirate, ennemi d’un bien commun qui serait incarné par ces mêmes rois. S’ils créent cette figure du pirate, c’est moins pour faire la police sur les mers (le roi de France n’en a pas les moyens) que dans un but bien précis : « contrôler la fidélité des sujets du roi qui s’embarquent sur l’Océan ». Cette invention de la piraterie se fait au terme d’une triple évolution : culturelle, judiciaire et politique. Le lexique pirate se base sur un socle culturel et religieux qui prévaut tout au long du Moyen Âge et qui fait des mers et des océans des espaces maléfiques et diaboliques sur lesquels sévissent des êtres sans foi ni loi. C’est sur ce terreau que le lexique pirate émerge à la faveur de la renaissance des lettres latines, qui touche le royaume de France au XIIIe siècle. On découvre les figure et notion du pirate antique en même temps qu’on découvre les histoires romaines.
C’est par ce biais que le lexique pirate se diffuse au sein de l’aristocratie et des gens de loi et qu’un siècle plus tard, il est utilisé dans les plaidoiries du Parlement de Paris. La troisième et dernière évolution intervient dans le domaine politique avec le passage du lexique pirate du droit à la loi. A la fin du XVe siècle, le pouvoir institutionnalise le crime de piraterie par le biais de traités internationaux et érige l’obéissance des gens de mer comme un devoir universel. C’est ainsi que le pouvoir souverain vient conclure un mouvement qui s’est amorcé sans lui quelques siècles auparavant.
Bien construit, agréable et clair à la lecture, cet ouvrage va devenir une référence essentielle dans le domaine de la piraterie au Moyen Âge. Le seul et petit bémol de l’ouvrage (qui pourrait peut-être modifié lors d’une réédition) concerne la frustration qui prend le lecteur devant la carte – ô combien essentielle – de « L’expansion de la souveraineté du royaume de France sur les littoraux » et qui ne peut l’apprécier à sa juste valeur tant celle-ci est de petite taille.