Bénédicte Sère, maître de conférences HDR à l’université de Paris Ouest-Nanterre, médiéviste, spécialiste d’histoire politique et d’ecclésiologie, propose un essai original sur l’invention de l’Église politique. Elle constate que confrontée à la modernité, aux demandes de réformes, l’Église cherche sans cesse à justifier ses théories, son organisation et son fonctionnement. L’histoire classique de l’Église correspond à une construction sans cesse remaniée par l’Église elle-même. B. Sère interroge : comment l’Église se met-elle en récit ?

Patiemment, Bénédicte Sère entreprend d’exposer puis de déconstruire les grandes lectures linéaires, continuistes, idéologisantes ou idéalisantes de l’histoire de l’Eglise. Elle retient sept notions essentielles du discours ecclésiologiques : le conciliarisme, le constitutionnalisme, la collégialité, l’antiréformisme, l’antiromanisme, le médiévisme et l’infaillibilisme dont elle propose une généalogie. B. Sère constate que l’historiographie puise dans les textes médiévaux les origines de ces notions. En effet, l’historiographie classique érige le XVe siècle comme le siècle des conciles réformateurs et du conciliarisme. L’Eglise Ce conciliarisme est présenté comme un contre-pouvoir et une limitation du pouvoir absolutiste pontifical qui alimente une sensibilité antiromaniste. Ainsi deux historiographies s’opposent : celle partisane de l’absolutisme pontifical et celle partisane du conciliarisme. Chacune cherche à justifier le pouvoir ou la résistance de l’un vis-à-vis de l’autre. B. Sère montre que les historiographies sont sélectives : les historiens puisent dans le passé médiéval les racines dont ils ont besoin pour créer la linéarité de leur récit, en n’hésitant pas à écarter certains passages ou à surdéterminer leurs interprétations. Ainsi si Pierre d’Ailly et Jean Gerson sont consacrés « conciliaristes », leurs cheminements respectifs révèlent qu’ils ne l’ont jamais été entièrement et jamais dans le sens du conciliarisme contemporain. S’appuyant sur des interprétations renouvelées, B. Sère en conclut que l’historiographie est un enjeu de pouvoir. L’Église manipule le Moyen Âge afin de mieux construire sa tradition.

La lecture de l’ouvrage, riche de références, au style foisonnant, est très stimulante. B. Sère montre que l’étude du Moyen Âge suscite un questionnement pertinent et riche et permet de comprendre le discours perpétuellement reconstruit que l’Église tient sur elle-même. Au-delà de l’étude des interprétations, elle propose une méthode et ouvre des pistes de recherches. Refusant la séparation du discours ecclésiologique des savoirs théologiques et philosophiques, elle invite à confronter les différentes constructions historiographiques entre elles et à réfléchir autrement, en liant les différents champs des savoirs, à la façon dont se pense et se raconte le pouvoir. L’ouvrage intéressera particulièrement les historiens de la philosophie ou du politique.

Jean-Marc Goglin