Il analyse la montée progressive de l’Iran comme puissance régionale. Le chah considérait l’Iran comme un pays occidental, puis Khomeiny s’isola de tous ses voisins par son comportement hostile. Ce n’est qu’à partir du début des années 1980 que se dessine un rôle régional avec l’appui au futur Hebzbollah (attentats meurtriers contre les Français et les Américains à Beyrouth), puis le match nul avec l’Irak, concurrent qui disparaît avec l’arrivée des Américains en 2003, arrivée lui permettant au de jouer un rôle dans ce pays. En face, l’Égypte est très affaiblie, notamment par l’âge de son président, les États du Golfe ne sont pas une puissance militaire et la Syrie est alliée.
L’article de Mohamed-Reza Djalili et de Clément Therme porte sur le défi que les crises internes et la nouvelle politique américaine font peser sur l’Iran. Si ce dernier a profité des erreurs de l’administration Bush, notamment en Irak, pour y augmenter son influence, les derniers développements lui ont au contraire fait perdre du terrain. De toute façon le régime est prisonnier de la doctrine khomeyniste et notamment de son dogme pro-palestinien et anti-américain, même si le peuple iranien ne se passionne pas pour la Palestine. Cette doctrine officielle est enseignée en histoire et géopolitique ; elle empêche toute discussion sous peine d’être taxé de trahison. Heureusement ses proclamations extrêmes « n’impliquent pas systématiquement une mise en oeuvre effective ». La diplomatie iranienne a eu néanmoins deux réussites : l’alliance avec la Syrie et le rapprochement avec la Turquie, notamment sur le dos des Kurdes et à l’occasion de l’affaire de Gaza, où le gouvernement islamiste turc s’est trouvé côte à côte à celui de l’Iran pour dénoncer Israël. Comme dans l’article précédent, l’auteur estime que le règlement de la question nucléaire iranienne passe par là dénucléarisation de toute la région, dont Israël… Ce qui suppose d’être en bons termes avec les États-Unis…
L’article de Jean-Michel Verne enchaîne sur les minorités nationales en Iran et en rappelle l’importance : plus de 8 millions de Kurdes sunnites, soit 12 % de la population, plus de 16 millions d’Azéris chiites plutôt bien intégrés, soit 25 %, 2 millions d’Arabes chiites au Khouzistan limitrophe du sud de l’Irak, soit 3 %, et autant de Baloutches sunnites. Si la mauvaise humeur de ces minorités, kurde et baloutchi surtout, est ancienne, il est frappant de voir que leur agitation a commencé de manière coordonnée en 2005, à la suite de conférences les réunissant, et appuyées, voire pilotées à partir des États-Unis. Le résultat pourrait être contre productif pour ces derniers en renforçant le sentiment national iranien.
L’article d’Amin Moghadam sur les Iraniens aux Émirats Arabes Unis nous expose une osmose qui était peu connue du grand public, jusqu’à l’article récent du Nouvel Observateur : « Doubaï, nid d’espions », où se croisent CIA et services iraniens. La concentration d’Iraniens est en effet à son sommet à Doubaï (400 000 ?), où ils jouent un rôle plus important que la moitié de la population de l’Émirat née en Inde. Rôle à nuancer par la fragmentation de la communauté en strates historiquement et politiquement variées, et maintenant par la multiplication des aventures purement individuelles d’émigrés iraniens qualifiés. L’auteur nous donne un historique détaillé de ces migrations, amorcées par les contacts séculaires, voire millénaires, entre les arabophones sunnites des deux rives et qui fait de Doubaï par rapport à l’Iran ce qu’est Hong Kong par rapport à la Chine, tant du point de vue humain qu’économique (dont contrebande) et financier. Et comme Hong Kong, Doubaï diffuse en Iran le rêve d’une société plus prospère et plus libre.
Cet article clôt le dossier iranien de ce numéro de Maghreb Machrek, qui se continue par l’article de Fadime Deli sur les populations frontalières dans le sud-est de la Turquie. L’auteur nous rappelle la genèse des frontières de la Turquie, dont les projets mort-nés d’États arménien et kurde, puis leur fixation après la première guerre mondiale. Suit une étude de géographie humaine d’un district à la frontière turco-syrienne proche de la frontière irakienne. Côté turc, les Kurdes étaient majoritaires avec 67 % devant les Arabes (20 %) et seulement 9 % de turcophones de langue maternelle, auxquels s’ajoutent Arméniens et Syriaques, de langue comme de religion. Kurdes, Arabes, Turcs et chrétiens sont par ailleurs chacun d’obédiences religieuses variées. Tout cela a été relevé dans des recensements antérieurs à 1965, la Turquie n’enregistrant plus cette hétérogénéité, qui a probablement diminué du fait de la répression des Kurdes, du départ vers Israël de la petite communauté juive et de l’exode rural notamment des Kurdes et des Arméniens. L’auteur décrit ensuite les activités frontalières, donc la contrebande « légitime » et les visites familiales qui la génèrent, et qui par ailleurs maintiennent une certaine diversité linguistique et religieuse.
La revue se termine par les comptes-rendus de trois livres sur le Maroc, qui rivalisent de critiques sur ce pays, notamment en matière de démocratie et « droits de l’homme ». Je remarque que la réforme du statut de la femme y est expédiée en deux mots comme un fait mineur, alors qu’elle a été très difficile à lancer du fait de l’opposition islamiste et que sa mise en place bute sur la résistance des traditionalistes. Autre interrogation : le Maroc semble faire de grands progrès en infrastructures, tandis que que la population semble s’ouvrir sur l’extérieur de manière plus rapide que dans d’autres pays. Cela fait trois indicateurs positifs de développement, question qui n’apparaît pas dans ces comptes-rendus. Il aurait pourtant été intéressant d’avoir une idée de l’évolution économique, qui est probablement le premier souci des Marocains.