Après les montagnes du Qinghai, direction les Alpes

En 2019, l’écrivain-voyageur Sylvain Tesson emmenait son lecteur sur les traces de la panthère des neiges dans la province chinoise du Qinghai. Prix Renaudot 2019, son récit a été adapté dans un très beau documentaire par Marie Amiguet et Vincent Munier.

Atteindre les sommets, grimper un versant, escalader une paroi amènent Sylvain Tesson à fréquemment quitter les talwegs et à se qualifier de « stégophile ». Spécialiste des expéditions au long cours en Russie, Afghanistan, Patagonie, Syrie, il aime également arpenter le territoire national comme en témoigne sa traversée de la France des faibles densités en 2016 (« Dans les chemins noirs ») et le récit de l’ascension de l’Aiguille creuse avec Philibert Humm en 2020.

Dans ce nouveau livre, il nous emmène avec lui, sur les skis, dans une traversée des Alpes depuis les hauteurs de Menton jusqu’à Trieste, en suivant l’arc alpin traversant la France, la Suisse, l’Allemagne, l’Autriche, l’Italie et la Slovénie.

Source : Extrait tiré du livre « Blanc » de Sylvain Tesson publié chez Gallimard, 2022, pages 12-13

En compagnie d’un partenaire, le guide de haute montagne Daniel du Lac, puis du randonneur Philippe Rémoville, Sylvain Tesson use ses peaux de phoque à la recherche du prochain col. Le trio dort dans des refuges, parfois non-gardés, et découvrira les mesures de restriction des déplacements lors du printemps 2020.

Le trente sixième jour.

Du refuge Britannia à la cabane non gardé de Fletschhorn par la station de Saas-Fee, 1200 mètres d’altitude.

Il ne fallait pas prendre la succession des descentes et des montées, des vallées et des cols, des virages et des conversions pour une litanie punitive mais comme un exercice de reviviscence fondé sur la répétition. Le recommencement des choses, à chaque lever du jour, en augmentait la valeur. Le raid à ski valait par ses rituels. On consacrait vingt minutes chaque matin à préparer son matériel selon une liturgie propre que Rémoville appelait protocole et dont chacun cultivait les maniaqueries – de la fixation particulière de son piolet sur le sac à la vérification de son appareil de « détection des victimes d’avalanches », au verrouillage des cales de ski. Puis on s’engouffrait dans le Blanc, comme la veille, poussant la porte à la même heure…

Blanc de Sylvain Tesson, Gallimard, 2022, page 124

De nombreux passages de ce récit d’aventures sont un éloge à une géographie du terrain, qui use à la fois les corps et les esprits devant des paysages majestueux et des situations géopolitiques complexes. L’écrivain-voyageur s’efface devant le géographe de formation qui fréquentait l’Institut de Géographie de la rue Saint-Jacques à Paris.

Nous allions des vallons aux glaciers, des glaciers aux cols et redescendions parfois vers les alpages, plantés de granges closes. La moisson était régulière : plus de 1000 mètres de dénivelé quotidien. L’hiver n’était pas mort ; le Tyrol n’avait pas fondu. Les Tyroliens ne s’étaient pas déchristianisés. Un col, une croix. Un chalet, un médaillon marial. Un pont, un oratoire. La Mitteleuropa continuait à représenter cette campagne réunissant le laboureur finno-ougrien, le protestant sévère et la monitrice catholique, menacés à l’est par la poussée russe, au sud par la barbarie turque et à l’ouest par l’inconséquence française. Ce centre des Empires se souvenait qu’il avait protégé la chrétienté du Turc. Budapest s’était appelé « le bouclier de l’islam » avant que le Turban soit relégué au sud des Balkans.

Blanc de Sylvain Tesson, Gallimard, 2022, pages 205-206

Un écriture sensible, belle et propice à la contemplation au service d’une aventure à ski sur le plus large massif européen.

Pour aller plus loin :

  • Présentation de l’éditeur -> Lien

Antoine BARONNET @ Clionautes