Ce numéro 41 de questions internationales met en débat ce monde occidental sorti victorieux de la guerre froide et qui se heurte désormais dans un conflit de civilisation à d’autres espaces.
Ce monde occidental voit également son hégémonie économique contestée par les pays émergents qui n’adoptent pas forcément ces valeurs qu’il avait sans doute eu le tort de croire universelles de façon incontestable.
Dans Ouverture, les bords mystérieux de l’Occident, Serge Sur, le rédacteur en chef de Questions internationales montre que l’Occident a connu plusieurs métamorphoses passant d’un Occident panthéiste à l’Occident chrétien. Mais dans le même temps il s’est coupé en deux avec l’Amérique du Nord d’un côté, l’Europe occidentale de l’autre. Il faudrait rajouter également l’Occident des antipodes, l’Australie et la Nouvelle-Zélande, terre de ballon ovale, un des rares domaines ou l’hégémonie occidentale ne semble pas vraiment contestée.
Alors s’il existe un monde occidental à cela veut dire qu’il en existe un autre, ennemi souvent, rival incontestablement, avec lequel il faudra entretenir sans doute une relation conflictuelle sur le terrain économique tout au moins.

On disait cela lors de la montée en puissance du Japon, avant que la crise liée à la revalorisation du yen par rapport au dollar et l’explosion de la bulle spéculative ne fasse entrer le pays du Soleil levant dans une longue apathie. Aujourd’hui, les rivaux de l’Occident sont ces pays émergents, riche de leurs multitudes, de leurs capacités créatrices, de leurs investissements en termes de formation, mais aussi de leurs retards sociaux transformés en atouts pour un temps. Le rédacteur en chef de questions internationales s’interroge sur le fait de savoir quelle sera la suite de l’histoire. La vocation universaliste de l’Occident sera-t-elle éternelle. Lorsque Raymond Aron écrivait : « l’aventure suprême de l’Occident, c’est l’aventure de la science». Il avait sans doute raison. Mais aujourd’hui, qui peut prétendre à la vérité de cette affirmation à l’horizon 2025 ?

Dans son article : À la recherche de l’Occident, Frédéric Charillon retrace le parcours de l’Occident forgé par cinq éléments essentiels : il n’est pas inutile de les rappeler ici comme une sorte de récapitulatif de notre civilisation :

– l’invention de la cité de la liberté sous la loi de la science et de l’école par les Grecs
– une l’invention du droit, de la propriété privée, de la personne, de l’humanisme par Rome
– la révolution papale du XIe XIIIe siècle qui établit la synthèse entre Athènes, Rome et Jérusalem.
– Enfin la promotion de la démocratie libérale à la suite des révolutions hollandaises, anglaise, américaine et française, suivie par d’autres pays d’Europe de l’Ouest.
On pourrait s’interroger sur l’absence de Byzance et de son rôle de pont entre l’Orient et l’Occident, mais dans un article suivant Georges Corm réparera cette injustice. Alors si l’Occident est un parcours, il est aussi un projet, celui qui est fondé sur la croyance et même la revendication de la supériorité de ce modèle. Un projet libérateur mais qui a dû se défendre contre le totalitarisme, mais aussi conquérant avec la colonisation. Enfin l’Occident et perception car ceux qui n’y sont pas ont parfaitement le sentiment de ne pas en faire partie, ce qui peut en partie expliquer leur opposition et même dans certains cas leur rejet radical.
On retrouvera également dans cet article un encadré de la rédaction et une carte sur le choc des civilisations, même si l’auteur de l’article discute très largement cette hypothèse. L’occident aurait vocation à se dissoudre dans la globalisation, les alliances, les interdépendances politiques, les mobilités géographiques et les parcours individuels à l’heure des réseaux Transnationaux.

Dans Un ou des Occidents : les divergences occidentale Georges-Henri Soutou, retrace l’histoire des relations transatlantiques et de cette subtile distinction entre l’Occident et l’atlantisme. Le second est né de la guerre froide mais également des relations particulières de nouées lors de cette rencontre du 15 août 1941 entre Churchill et Roosevelt. Roosevelt est d’abord un mondialiste intéressé à l’évolution de la Russie et la Chine. Churchill entend maintenir l’empire dans le cadre du Commonwealth en s’appuyant sur une entente anglo-américaine, l’appel du large.
Forcément le projet européen tel qu’il se définit après la seconde guerre mondiale se situe dans une autre perspective. C’est d’abord l’Occident européen, sous protection américaine avec l’OTAN qui émerge de la période de formation des blocs. Quatre modèles se dégagent pour traiter de l’Occident et surtout de son devenir. L’Occident abstrait porteur de valeurs considérées comme universelles, appelé à se dissoudre dans une mondialisation libérale. Un Occident atlantique, dirigée par les États-Unis. Un Occident capable de prendre son autonomie par rapport aux États-Unis fondé autour d’une Europe puissance, et enfin, une vague communauté culturelle comme avant la guerre froide

Nicole Gnesotto dans l’OTAN et l’Occident revient sur le statut de cette alliance dont la vocation première était de placer l’Europe occidentale sous le parapluie nucléaire américain. L’atlantisme est devenu peu à peu l’idéologie dominante de l’OTAN est le fondement du leadership militaire et politique des États-Unis sur leurs alliés européens. Dans la pratique, cela se traduit par une intégration militaire des forces armées des états membres sous commandement suprême des États-Unis. En dehors du cavalier seul de la France, il n’existait pas véritablement d’autonomie de l’Europe en matière stratégique. Cette posture européenne était finalement assez confortable puisque les États-Unis seuls, ou presque, ont assumé l’essentiel du fardeau de la défense du Vieux continent.
À la fin des années 80, avec la révolution démocratique en Europe de l’Est et l’implosion de l’Union soviétique, la perception de la menace change radicalement. La solidarité occidentale remplace progressivement la solidarité atlantique comme ferment de la pérennité de l’OTAN. Les pays de l’Est qui sortent du pacte de Varsovie, recherche dans l’OTAN une nouvelle garantie face à une Russie post- soviétique qui leur rappelle fortement l’empire russe d’avant la révolution d’octobre. De ce point de vue, leurs priorités sont davantage dans les garanties qu’offre l’OTAN sous commandement américain que dans une union européenne qui ne dispose pas des moyens d’une politique de défense. La phase du triomphalisme étasunien s’interrompt brutalement le 11 septembre 2001. Cette fois-ci, ce sont les valeurs du monde occidental que l’OTAN se doit de défendre, face à une menace multiforme qui associe le terrorisme islamique transnational, l’Iran qui entend se doter de capacités nucléaires, une Corée du Nord imprévisible et peut-être à moyen terme, une Chine conquérante qui entend se doter de tous les attributs de la puissance. La tentation de transformer l’OTAN en une nouvelle alliance des démocraties occidentales.

L’entretien avec Bertrand Badie, L’Occident : une aristocratie contestée, revient sur cette argumentation sur le rôle de l’Occident. L’Occident a été pendant longtemps synonyme de chrétienté, puis jusqu’au premier tiers du XXe siècle, modèle de civilisation, avant d’exister comme faisant face à la menace totalitaire, soviétique jusqu’en 1985. Le fossé entre les deux piliers de l’Occident s’est creusé avec le moment néoconservateurs sous l’administration Bush. L’Occident devient une aristocratie mondiale, porteuse d’un modèle à prétention universelle. Cela pouvait signifier, et c’était le cas à Washington, le maintien d’une hégémonie américaine que les Européens pouvaient peu ou prou contester sans forcément en avoir les moyens. La question qu’il pose évidemment est bien de savoir quelles sont les frontières de cet Occident qui ne peut se définir simplement, ni face à un adversaire, ni d’un strict point de vue géographique.
Heureusement si l’on peut dire, le retour en puissance de la Russie a tout simplement permis de déplacer le rideau de fer 1500 km plus à l’est. L’évolution très récente de l’Ukraine permet d’ailleurs de penser que la frontière entre monde occidental et monde oriental passe à l’Est de Kiev, séparant l’Ukraine occidentale, uniate, de l’Ukraine russophone, celle qui l’a finalement emporté lors des dernières élections.
Enfin pour Bertrand Badie, autour des valeurs contemporaines, droits de l’homme, démocratie, il existait bien un axe de coexistence et de compréhension entre les occidentaux et les autres. Mais aujourd’hui, un effort de réécriture globale de la déclaration universelle des droits de l’homme par exemple est à envisager. Le texte de 1948 a été rédigé exclusivement par des occidentaux, les Africains étant pratiquement absent de même que les Asiatiques. Bertrand Badie présente le monde occidental comme une aristocratie est dans une situation qui rappelle fortement 1788, marquée simultanément par une réaction nobiliaire et par une contestation du tiers état. En dehors de l’Occident, ce dernier est perçu comme un lieu de progrès et de modernité et même ceux qui ne contestent n’ont de cesse de vouloir limiter. Mais dans le même temps, le désir d’Occident ne vaut pas acceptation de la politique occidentale, surtout lorsqu’elle a le visage de l’unilatéralisme et celui de la force militaire, de Bagdad à Kaboul.

Alain Dieckhoff s’interroge également sur le fait de savoir si Israël est bien une composante de l’Occident. Le sionisme qui en fut à l’origine est né du mouvement des nationalités en Europe et il s’inscrivait bien dans une mission civilisatrice exportant en Orient, au nom d’une tradition historique, les valeurs de l’Occident. L’expansion de la culture européenne était considérée comme un bienfait pour le peuple n’en occidentaux. Juifs d’Europe, les nouveaux immigrants deviennent des Européens en Palestine, ce qui explique pourquoi ils sont clairement perçus comme des colons par la population arabe locale.
Pendant très longtemps, et encore aujourd’hui, l’intégration de la société Israélienne passe par l’adoption des références des juifs européens. Les juifs orientaux devant peu à peu s’intégrer à cette culture. Sur le plan des institutions politiques, Israël est bien une démocratie à l’occidentale et ses relations internationales sont prioritairement dirigés vers l’Europe et surtout les États-Unis. Israël n’est pas simplement un État occidental au Proche-Orient. Israël possède deux caractéristiques qui le démarquent nettement de l’Occident. La place institutionnelle de la religion sein de l’État qui se traduit notamment par l’existence d’une législation d’inspiration religieuse. La situation de convivialité permanente de l’État d’Israël en guerre depuis sa fondation. L’armée israélienne occupe forcément une place éminente dans le champ politique, d’autant plus qu’elle conduit encore aujourd’hui des actions d’occupation ou de représailles contre ses voisins plus ou moins proche.
Il est clair que l’État d’Israël pourrait, dans le cadre d’un règlement pacifique du conflit israélo-palestinien, jouer le rôle de passeurs entre sociétés occidentales et monde oriental proche. Mais cette perspective ne semble pas se profiler à court terme.

Existe-t-il un modèle institutionnel occidental ? s’interroge Armel Le Divellec, professeur de droit public l’université Panthéon Assas et spécialiste de droit constitutionnel comparé.
Le modèle occidental réduit à ses principaux traits est triple : il est libéral, démocratique et constitutionnel. La construction de ce modèle occidental est le fruit d’une histoire multiséculaire des pays européens pendant laquelle on a vu se succéder l’affranchissement de l’individu, l’émancipation de la domination des institutions religieuses et enfin un système de pouvoir détaché de ses titulaires. L’État devient une instance incarnant la res publica et dotée du monopole de la contrainte légitime. En contrepartie, le système démocratique et libéral reconnaît une sphère d’autonomie à la société civile.
Cependant, les histoires comparées des pays du monde occidental ont abouti à une grande diversité de cadres institutionnels. Cela a des conséquences sur les systèmes de gouvernement que l’on distingue entre parlementaires présidentiels, et directorial. Les États-Unis et Chypre sont dotés d’institutions de ce deuxième type, tandis que les pays européens, avec une infinité de variantes sont dotés du premier. Le premier système est né de façon empirique en Angleterre avec un système de balance du pouvoir entre l’exécutif et le législatif, ce qui amène à une concentration relative entre les deux. La majorité parlementaire reflétant une majorité électorale soutenant l’action du pouvoir exécutif entre deux élections. Le système présidentiel et directorial est basé sur une stricte séparation des pouvoirs entre le législatif et exécutif, avec un système d’autolimitation de l’un comme de l’autre reposant sur une négociation permanente. On le voit aujourd’hui avec la tentative de réforme du système de santé entreprise par le président Obama.

Frédéric Ramel Les valeurs occidentales : entre décomposition et recompositions
dans cet article Frédéric Ramel professeur de sciences politiques de l’université de Paris XI revient sur les valeurs occidentales. Le triptyque de la pensée occidentale associe la raison, la liberté, l’une et l’autre favorisant le progrès. C’est la reconnaissance progressive de l’individu dont les droits et l’existence même doive être garantie par les pouvoirs publics qui fait la différence de l’Occident avec les autres espaces. Le christianisme dont le cheminement permet à l’individu d’envisager sa survie dans l’au-delà a été la première étape vers l’accomplissement d’un individu dans le monde. De ce point de vue sans doute les racines chrétiennes de l’Europe qui ont été largement rejetées en France lors du débat sur la constitution européenne au nom du principe de laïcité, permettent par contre de définir des racines de la pensée occidentale.
D’après Frédéric Ramel, les valeurs de l’Occident seraient fragilisées notamment par son extension qui crée une large fracture avec leur reste du monde mais aussi entre occidentaux eux-mêmes.
Parmi les éléments de décomposition des valeurs de l’occident : la dérive consumériste moderne, l’apathie politique, l’épuisement du progrès viennent ensemble cumuler leurs effets. De ce fait Occident manquerait de dynamisme, le repli des individus sur eux-mêmes les conduirait à l’indifférence, et par là-même au déclin. Pourtant la vitalité du mouvement associatif, une certaine forme de consumérisme politique basé sur des exigences de transparence, favorisée par les nouveaux médias permette de nuancer cette appréciation pessimiste.
Enfin pour l’auteur, l’universalisation des valeurs occidentales suscite également des lignes de faille entre les occidentaux eux-mêmes notamment à propos du recours à la force armée et de l’élargissement des formes de la vie collective. Pour les Etats-Unis, la guerre préventive, avec comme perspective de changement de régime, permettant d’imposer la démocratie, a été jusqu’à une date assez récente présentée comme la solution pour promouvoir les valeurs de l’Occident. Mais cette politique a été présentée comme animée par un esprit de croisade qui a pu susciter de vifs débats dans le monde occidental et des réactions violentes dans les territoires qui étaient censés bénéficier de ce Wilsonisme botté.
Toujours dans cet article, une réflexion pertinente sur la nation, l’identité nationale et l’exercice de la citoyenneté démocratique, vient éclairer le débat. Est-il possible de délier identité nationale et l’exercice de la citoyenneté démocratique ? L’identité des individus articulerait appartenance nationale et patriotisme constitutionnel, l’universalisation des droits de l’homme et de la démocratie. L’idée serait sans doute de dépasser l’Occident par un universalisme fondé sur l’égalité.

Georges Corm : La notion historique d’Occident, une construction mythologique aux conséquences funestes.
Georges Korn s’interroge sur la réalité historique véritable de l’Occident en se demandant si cette construction n’est pas plus mythologique que réelle. Ce mythe toutefois exercerait des fonctions indispensables pour la vie des sociétés. L’idée d’une unité du monde occidental est le résultat de toutes les vicissitudes et des violences de l’histoire de ce petit continent qui a été à l’origine de deux guerres à dimension mondiale. L’apaisement des tensions héritées de la seconde guerre mondiale, avec la fin de la guerre froide, a au contraire avivé les tensions géopolitiques majeures dans l’environnement de l’Europe, en particulier au proche et au Moyen-Orient. Cette transformation s’inscrit dans la vague de « retour du religieux » affectant le monde postmoderne désenchanté, qu’il s’agisse des sociétés industrialisées depuis longtemps ou des pays nouvellement indépendants.
L’auteur rappelle, et ce n’est pas la première fois que l’origine historique véritable de la notion d’Occident est née de l’opposition avec l’Orient. C’est bien la rupture à l’intérieur de l’empire romain au IIIe siècle qui a été le point de départ de cette délimitation. La naissance de la fracture Orient Occident se fait au sein même de l’aire culturelle greco-romaine et elle n’est donc pas forcément liée à l’apparition de l’islam et aux conquêtes arabes. Et c’est pourtant le mythe qui a prévalu sur l’histoire. Pour l’auteur la notion même d’Occident au sens moderne a pu être attribuée aux conceptions philosophiques et historiques de Hégel, pour qui l’histoire de l’Europe incarnait la montée du souffle de la raison et donc de l’esprit dans l’histoire. Un peu plus tard Max Weber explique pourquoi les spécificités de la religion chrétienne, notamment la version protestante, ont permis à l’Occident de se développer dans tous les domaines. À leur suite, les travaux des linguistes et des anthropologues ont pu donner une justification aux conquêtes coloniales, mais également aux théories raciales.

Gilles Andréani: L’Occident et ses ennemis

Et les contributions de : Jean-Marie Bouissou, Alain Dieckhoff, Cynthia Ghorra-Gobin, Grégory Lecomte, Anna Rochacka-Cherner et Catherine Wihtol de Wenden

Questions européennes

Jean Petaux

Le Conseil de l’Europe : une organisation européenne méconnue

Regards sur le monde

Faillite économique et décomposition politique le Zimbabwe à l’agonie
par François Lafargue

La montée en puissance du Brésil de Lula par Bruno Muxagato
Les questions internationales à l’écran