Ce numéro de janvier 2010 de la revue géopolitique, publication de l’institut international de géopolitique, est totalement consacré aux relations entre les médias et les pouvoirs dans le monde. On y trouve deux articles spécifiques à la France mais également des mises au point particulièrement précieuses sur l’Allemagne, l’Italie, le Portugal et le Brésil
Le premier article de François Terré, Potestas, auctoritas, potentia pose évidemment le problème du contre-pouvoir représenté par les médias, de toute nature en s’interrogeant même sur cette définition : « les médias ne constituent ni un pouvoir, ni un contre-pouvoir, mais une réalité, au même sens que l’économie n’est ni un pouvoir ni un contre-pouvoir, mais la réalité même » l’auteur de cet article s’interroge à partir des trois termes latins que l’on traduira rapidement par pouvoir, autorité, puissance. Les médias, au-delà de la réalité économique ou peut-être à cause d’elle sait tout cela à la fois. Les médias interfèrent-ils sur les comportements électoraux ? Les candidats des médias sont-ils systématiquement élus ? Le contrôle des médias par le politique est-il forcément une garantie de succès ? Où finalement les groupes médiatiques n’ont-ils pas vocation, sans qu’un quelconque mandat leur ait été donné par le peuple, à s’imposer en situation de monopole ? C’est l’intérêt de ce numéro de fournir quelques éléments de réponse à toutes ces questions.
Régis Debray dans L’État séducteur rappelle les conditions de naissance d’une opinion publique en France à l’époque des lumières. Un an avant le lancement d’encyclopédie Duclos en 1750 disait : « en France, il est depuis longtemps admis que les gens d’esprit gouvernent parce que la longue forme l’opinion publique, qui tôt ou tard subjugue ou renverse toute espèce de despotisme ». Le simple examen de la situation politique en France montre que les choses ont sans doute bien changé. Plus que les gens d’esprit qui gouvernent, ce sont ceux qui exercent une domination sur les façons de faire l’opinion qui peuvent se retrouver aux affaires.
À propos de la façon de gouverner régis Debray évoque l’hystérie comme recherche permanente de la bonne empreinte. Chacun parlait agit non fonction de ce qu’il éprouve mais de ceux qui croient que les autres vont éprouver en entendant ou en le regardant. L’État n’est plus maître de son ordre du jour est à la remorque de l’actualité, au diapason de ce qui la fabriquent. Il suffit de voir qu’à chaque fait divers on envisage immédiatement de rédiger un projet de loi. Les exemples sont multiples depuis 2007.
Si l’État a perdu l’agenda, il perd aussi le rythme de la mise en oeuvre de son action. C’est bien un gouvernement du court terme avec une absence de mémoire cumulative qui autorise la parole de soi et sur soi qui devient un événement en lui-même. Régis devrait revient également sur l’éclatement lié à la politique de personnalités. Cette recherche de la proximité à tout prix est une façon au bout du compte de dissimuler la vacuité d’une politique ou en tout cas ses véritables ressorts. Le registre du compassionnel à propos des chômeurs en fin de droits permet d’évacuer une politique plus désincarnée mais beaucoup plus prégnante, à savoir les cadeaux fiscaux et autres politiques de clientèle. Enfin troisième caractéristique de cet État séducteur qui instrumentalise les médias autant qu’il est instrumentalisé par eux, la banalisation. Le marketing politique réclame des choix fédérateurs propres à susciter l’adhésion du plus grand nombre, ce qui se traduit par une uniformisation des produits de l’information. La règle du Minimax est devenue absolue.
François-Bernard Huyghe enseigne la stratégie de l’information à l’école de guerre. Dans cet article, L’autorité politique face au quatrième pouvoir, il revient sur les évolutions de la presse papier, plus ou moins soumise aux pouvoirs, aux bouleversements relativement récents de ce rapport entre l’autorité politique est ce qu’il est convenu d’appeler le quatrième pouvoir.
Si la presse écrite peut relativement facilement être contrôlée ou soumise, censure, contraintes techniques, saisies, et corruption de journalistes, il n’en va pas forcément de même des nouveaux médias qui apparaissent et se développent à partir des années 30. La radio n’est pas simplement cette voix unique qui descend du poste autour duquel les auditeurs se rassemblent. Elle permet, en réunissant des auditeurs autour d’elle, un débat susceptible de lui échapper. La première radio internationale, on l’apprend dans cet article, et Radio-Vaticana, fondée en 1931. Elle émet à l’échelle internationale à partir de 1937. Évidemment, la radio joue un rôle essentiel à la fois de propagande, et de mobilisation, pendant la seconde guerre mondiale et pendant la guerre froide. Les deux blocs se dotent de leurs instruments de propagande radiophonique, la guerre radiophonique menée par la CIA est une guerre culturelle visant à promouvoir un monde en couleurs face à la grisaille des pays de l’Est.
Née aux Etats-Unis, la chaîne d’information continue à partir du satellite, est un modèle qui s’est très largement développé dans d’autres horizons culturels. 10 ans après CNN, la chaîne Qatari arabophone, Al Jazeera, se fait le relais d’une vision alternative à celle de l’Occident. Désormais tout état qui prétend exercer une influence à l’échelle mondiale se doit de disposer d’un réseau de ce type avec des émissions en langues étrangères. BBC international, Deutsche Welle, France 24, Russia Today, CCTV.
La classe politique est devenue également totalement dépendante de l’explosion des médias. L’urgence de l’Audimat, la confusion entre représentants du peuple et membre des people expliquent aussi la diffusion d’un scepticisme généralisé qui favorise les rumeurs et parfois certaines théories du complot. Cela est favorisé par la diffusion des nouveaux médias à la portée de tout un chacun, et de ce point de vue Internet a complètement changé la donne. Un
L’entretien avec Philippe Raynaud « La critique permanente est une condition du bon gouvernement » évoque le nécessaire contrôle de l’action des pouvoirs publics, qui ne peut se faire que par une presse libre, susceptible de traduire l’aspiration de l’opinion publique. Mais cette opinion publique dispose d’un pouvoir informel, et pas forcément en mesure de peser sur le processus de prise de décision. Cela est encore plus vrai aujourd’hui, puisque des informations qui auraient pu à certaines époques fait tomber des gouvernements, circulent sur Internet, sans que cela ne soit suivi d’effet. Évoquer sur une liste de diffusion les effets délétères d’une réforme des lycées permet sans doute d’informer mais certainement pas de peser sur le processus de décision si cela n’est pas suivi d’une proposition d’action. Les nouveaux médias peuvent en effet servir de relais de mobilisation, mais certainement pas s’y substituer.
Philippe Raynaud rappelle que d’une certaine manière, les journalistes, dans les sociétés modernes, ont tendance à combler un vide. Ils occupent la place que tenait autrefois le pouvoir spirituel comme directeurs de conscience, ou comme référents lorsqu’ils sont suffisamment connus et introduits. Évidemment, cela ne règle pas le problème de la connivence de certains avec les cercles proches du pouvoir.
Christian Delporte
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