C’est un ouvrage très dense, fourmillant de faits précis et qui retrace les grandes lignes de cette période dans le Sud-Est que propose Jean-Louis PANICACCI, président des Amis du musée de la Résistance de Nice et Maître de conférences en Histoire contemporaine à l’Université de Nice-Sophia Antipolis jusqu’en 2007. Ce livre fourmille de faits précis collectés dans des dépôts d’archives français et italiens, et repose sur une importante bibliographie ainsi que sur le recueil de témoignages auprès de personnages de premier plan ou au contraire d’anonymes, la plupart des uns et des autres ayant aujourd’hui disparu. Le livre est construit autour de trois parties de volume inégal, « l’occupation limitée », « l’occupation généralisée », et « la fin de l’occupation », « l’occupation généralisée » demandant logiquement le plus grand nombre de pages.
L’occupation limitée (juin 1940-novembre 1942) fait suite à l’armistice de la Villa Incisa, difficilement négocié et dont certaines des dispositions prévoyaient trois zones. Celle qui était le plus intégrée à l’ensemble italien, se situait à l’intérieur de la « ligne verte » et représentait treize communes et plus de 80000 hectares qui correspondaient aux 840 km2 que l’armée italienne avait occupés pendant la courte et violente guerre des Alpes au cours du mois de juin 1940 (voir dans la cliothèque le compte-rendu de l’ouvrage de Frédéric le Moal et Max Schiavon : Juin 1940, La Guerre des Alpes http://clio-cr.clionautes.org/spip.php?article3042). La plus grande partie de ces territoires était constituée des positions de repli prévues par l’Etat-Major français. Evacuées par leurs habitants dont beaucoup ne revinrent pas, les habitations et les fermes avaient été en grande partie pillées. Avec le retour d’une partie des habitants s’organisa une occupation sous administration transalpine parsemée de frictions entre autorités locales et italiennes. C’était également une période au cours de laquelle planait sur la Savoie et la région niçoise la menace d’une remise en cause des traités de 1860 mais en exploitant témoignages, documents d’archives et écrits existants, l’auteur montre que les prétentions de l’occupant ne s’arrêtaient pas à cela et que contrôler ultérieurement jusqu’à la Durance, voire au Rhône avait fait partie des projets les plus ambitieux des fascistes. L’occupation de ces territoires qui n’avaient pas véritablement été conquis accentua le différend franco-italien que le « coup de poignard dans le dos » porté en déclenchant les hostilités au moment des principaux revers français avait déjà bien développé. Ce n’était pourtant rien par rapport à ce que la généralisation du contrôle italien sur le quart Sud-Est de la France allait provoquer.
L’occupation généralisée (11 novembre 1942-25 juillet 1943)
Tout comme ailleurs dans ce qui fut la zone libre, cette occupation correspondait à la riposte au débarquement des Alliés en Afrique du Nord, ce qui rompait le curieux équilibre méditerranéen qui avait régné jusque-là. Allemands et Italiens ont donc envoyé leurs troupes dans la Zone Sud, craignant un possible basculement de ce qui restait d’Etat français et que l’armée d’armistice dont ils se méfiaient malgré son faible effectif ne puisse pas faire face à un débarquement sur les côtes provençales puisque les Français étaient quasiment désarmés.
Jean-Louis Panicacci montre les dissensions entre responsables italiens et allemands, la course entre les deux armées pour occuper les points intéressants, Toulon étant un objectif privilégié. L’accueil de la population fut plus que réservé, souvent hostile, les souvenirs de 1940 étant ravivés. L’administration du Sud-Est de la France par l’armée d’occupation fut menée parfois avec rigueur, parfois avec davantage de compréhension comme le note l’auteur.alors que la guerre devenait plus présente avec son lot de bombardements et de navires coulés le long des côtes. L’auteur présente dans ce chapitre, grâce à un important croisement de témoignages, le point de vue des occupés et le point de vue des occupants, dont le moral est ensuite examiné grâce aux rapports disponibles. L’ensemble des relations franco-italiennes, que ce soit sur les plans administratifs, économiques, sentimentaux est ensuite détaillé, toujours avec la même impressionnante précision, tout comme pour les réquisitions opérées, matériel ou vivres.
Il aborde ensuite ce qui est une des originalités de la situation créée par l’occupation d’une armée dont les ressortissants étaient en principe soumis à la législation antisémite de 1938 : la façon dont l’armée italienne s’est alors comportée. Les situations sont d’ailleurs variables selon les lieux et le moment et cette armée italienne, accueillie souvent avec soulagement par la population juive, applique en principe la législation existante. Cependant à partir de décembre 1942, les autorités militaires italiennes s’opposèrent de plus en plus fréquemment à l’action de la police française et la résidence forcée devint la solution utilisée pour régler le sort de la population juive, ce qui posa immédiatement pour les localités concernées de nombreux problèmes d’hébergement et d’approvisionnement.
L’armée italienne, dans le même temps faisait la chasse aux maquis, d’autant qu’attentats et sabotages étaient présents en permanence. La répression menée par la redoutable OVRA notamment à la villa Lynwood à Nice, devenue le principal lieu de tortures des résistants ou présumés résistants, débouchait sur des jugements, parfois suivis d’exécution ; l’internement des édiles fut également très pratiqué, notamment pour les maires des communes sur le territoire desquelles des actes anti-italiens avaient été perpétrés. Cette période d’occupation, qui ne simplifia pas les relations entre Italiens installés sur place et le reste des habitants s’acheva brutalement après le coup d’Etat anti-mussolinien du 25 juillet 1943.
La fin de l’occupation (26 juillet-12 septembre 1943)
C’est l’objet du troisième chapitre, plus court que le précédent et dans lequel Jean-Louis Panicacci décrit ce qui a suivi la chute de Mussolini, l’abandon des signes fascistes, la joie des habitants de zones promises à l’annexion , comme à Menton, l’inquiétude de la population juive. Les illusions sur une fin de conflit rapide furent vite dissipées et le problème majeur pour les soldats italiens fut bientôt de rejoindre la péninsule, pour certains d’entre eux en échappant aux troupes allemandes qui les remplaçaient progressivement.
L’auteur s’intéresse ensuite aux contradictions apparentes d’une période complexe au cous de laquelle les attaques des maquis ne cessent pas plus que la rude répression, où les manifestations patriotiques accompagnent les obsèques des condamnés et des aviateurs alliés et où les sentiments anti-italiens s’expriment de plus en plus. Dans le même temps, les efforts du banquier italien Angelo Donati pour faire passer les juifs français et réfugiés en Italie aboutirent à leur regroupement dans la région niçoise dans l’attente d’un transport vers l’Italie.. Dès l’annonce le 8 septembre de la cessation des combats entre Alliés et Italiens, le désarmement des unités italiennes se fit par les soldats allemands qui se heurtèrent en quelques points à des poches de résistances qui alimentèrent quelques combats, en Savoie et en Corse notamment, où le port de Bastia, pris par les Allemands fut repris par les Italiens : des deux côtés des bâtiments de petit tonnage avaient été coulés. La débandade fut plus spectaculaire dans les Alpes-Maritimes alors qu’un peu partout se produisirent des pillages des entrepôts laissés par les Italiens.
Jean-Louis Panicacci accorde également son attention à l’épisode de la marche en altitude d’un millier de juifs étrangers assignés à résidence forcée quittant Saint-Martin Vésubie pour gagner les hautes vallées du Piémont, se délestant progressivement de leurs bagages et accueillis et réconfortés au terme d’une marche épuisante par les militaires italiens gardant la frontière.
Le 10 septembre, il ne restait plus beaucoup de soldats italiens dans le Sud-Est en dehors de ceux qui avaient été capturés par les Allemands.
Les combats furent plus acharnés en Corse, batailles rangées entre troupes, allemandes et italiennes, co-belligérance marquée par des actions communes avec la Résistance corse qui avait décrété à Ajaccio le soulèvement populaire le 8 septembre, ou encore avec les détachements des troupes d’Afrique qui avaient débarqué. Cette situation confuse finit par provoquer la libération de la Corse, avant qu’entre octobre et novembre 1943, 62000 soldats italiens finissent par quitter l’île.
En conclusion, Jean-Louis Panicacci, montre l’écart qu’il y eut entre la présentation par la propagande italienne et la réalité d’une occupation qui dans sa phase généralisée à partir de novembre 1942 avait à compter non seulement avec le puissant allié allemand qui limitait la marge de manœuvre des Italiens mais aussi avec le gouvernement de Vichy soucieux de faire respecter ses prérogatives. Il souligne également que la perception d’une occupation plus bonhomme ne se comprend que par comparaison avec l’occupation allemande qui a suivi ainsi que l’ambiguïté des sentiments éprouvés par la population envers les Italiens. Ils étaient les auteurs du coup de poignard de 1940 et ils avaient occupé des fractions du territoire à partir de 1940, tout le Sud-Est à partir de 1942 mais ils pouvaient aussi être perçus comme « victimes à la fois du fascisme et de l’Allemagne ». Reprenant la documentation et l’historiographie l’auteur montre la diversité des points de vue avant de s’attacher aux destins des personnages cités, aux aspects mémoriels et historiographiques.
Sur un sujet pour lequel peu d’ouvrages existent, ce livre qui est à la fois analytique et synthétique, aussi rigoureux dans la recherche que dans l’écriture, est donc particulièrement utile et complète très efficacement notre connaissance de ces années noires, d’autant qu’il comporte un cahier d’illustrations peu connues, un index des noms de lieux, un index des noms de personnes, une abondante bibliographie et des annexes qui contiennent des textes réglementaires et des extraits de témoignages significatifs.