« Tina Modotti, ma sœur, tu ne dors pas, non. », tels sont les mots choisis par Pablo Neruda pour orner la tombe de Tina Modotti à Mexico. La vie, les combats et la mort de Tina Modotti, voilà le sujet de l’Ombre Rouge sur un scénario de Jean-Pierre Pécau et les dessins d’Alejandro Gonzalez. Avec une idée de départ surprenante, Jorge Semprun, romancier à succès mais surtout ancien militant communiste se voyant proposer par un mystérieux personnage des clichés de cette photographe dont il connaît le travail, s’engage alors une enquête sur les zones d’ombre des engagements de cette femme au cœur du Mexique révolutionnaire et de la guerre civile espagnole.
Entre la fiction de cette enquête et le récit de la vie Tina Modotti, ce roman graphique mêle les parcours, met en parallèle les engagements communistes des deux protagonistes ainsi que leurs désillusions. Les sujets abordés sont vastes (le Mexique révolutionnaire, la guerre civile espagnole, le meurtre de Trotsky, le Secours Rouge), les figures historiques évoquées également, ce qui peut désarçonner si le lecteur n’a pas quelques repères historiques sur lesquels s’appuyer.
Au delà de l’enquête, on en retient le parcours d’une vie de femme s’inscrivant dans les grands mouvements de son temps. Tina Modotti (1896-1942), fille d’une famille d’immigrés italiens, travaille dès ses 12 ans dans une usine textile en Italie puis comme couturière après son arrivée aux États-Unis en 1913. Sa beauté lui fait passer de l’autre côté du tissu et c’est en tant que mannequin qu’elle va faire la rencontre du monde de l’art et de son mari, le peintre et poète Robo (de son vrai nom Roubaix de l’Abrie Richey). C’est avec lui et à Los Angeles qu’elle intègre un cercle composé d’intellectuels avant-gardistes. Un voyage au Mexique, où elle rejoint son mari qui y mourra de la variole, scelle son destin. Elle y rencontre les muralistes mexicains tels Diego Rivera et décide de ne plus simplement être une muse mais de se servir de la photographie comme un révélateur de l’injustice sociale. C’est également au contact des muralistes mexicains qu’elle commence son engagement communiste. Ses rencontres amoureuses la conduisent jusqu’au jeune révolutionnaire cubain Julio Antonio Mella, dont elle sera soupçonnée d’avoir commandité la mort après son exécution en pleine rue en 1928. En effet le Mexique est le cœur de règlements de compte entre staliniens et trotskystes, le meurtre de Trotsky en étant l’apogée, le 20 août 1940. Durant ces soubresauts Tina est expulsée du Mexique en 1930 et renvoyée sur le vieux continent dont elle est originaire. Récupérée par le Secours Rouge, le roman graphique dépeint son engagement dans la guerre civile espagnole. Son retour sur le continent américain en 1939 est évoqué comme le temps où son questionnement sur le fonctionnement du parti communiste la pousse à un repli, voire une réclusion volontaire. Si elle semble mourir d’une crise cardiaque la nuit du 6 janvier 1942 à 45 ans, l’Ombre Rouge émet l’hypothèse d’un assassinat politique.
Les dessins d’Alejandro Gonzalez sont réalistes, les couleurs choisies en fonction des ambiances, et subliment souvent l’absence de textes. Les dialogues sont courts, efficaces même si le lecteur non spécialiste aurait apprécié des notes historiques pour l’aider dans sa lecture.
Un seul petit regret, le faisceau constamment mis entre les relations amoureuses de Tina Modotti et ses engagements, mettant peut-être trop en avant un récit conditionné par ses liens affectifs avec les hommes, alors que sa vie est également faite de prises de liberté vis à vis des hommes qui l’entouraient.
Une enquête haletante qui ouvre beaucoup plus de portes qu’elle n’en ferme.

Présentation de la maison d’édition (Glénat)
Londres, 1982. Jorge Semprun, ancien militant communiste, romancier et scénariste à succès reçoit une énigmatique invitation à la Tate Gallery. Un musée, lieu de rendez-vous idéal pour les espions et les agents clandestins. Ici, un homme mystérieux lui remet une enveloppe contenant une douzaine de clichés. Des clichés que Jorge connait bien… Ou plutôt, leur auteur : Tina Modotti. Photographe et
artiste italienne immigrée aux États-Unis dans les années 1920 puis militante révolutionnaire et agent du Komintern au Mexique, elle est probablement liée à l’assassinat de Trotsky et à la guerre civile espagnole de 1936. Le 6 janvier 1942, revenue en Amérique, elle décède d’une crise cardiaque. Mais qui était-elle vraiment et quelles sont les véritables raisons de sa mort ? C’est pour élucider ces mystères que, 40 ans plus tard, Jorge va mener l’enquête… Dans ce passionnant roman graphique au souffle historique mais surtout romanesque, Jean-Pierre Pécaud nous raconte l’incroyable destin d’une artiste qui a tout sacrifié pour la Révolution et tente, derrière le fantasme de sa disparition, de livrer sa version des faits. Une histoire de femme et d’espionnage, dessinée par un jeune talent issu de l’école espagnole : Alejandro Gonzalez.