Après la parution en 1975 de la biographie de Louis XI par Murray Kendall et celle de Jean Favier en 2001, on aurait pu penser qu’une autre publication ne serait pas indispensable. C’est loin d’être le cas pourtant avec cette présentation de Louis XI par Amable Sablon du Corail, que nous avons eu le plaisir de rencontrer au rendez-vous de l’histoire de Blois.
Diplômé de l’école des chartes et de l’école du patrimoine, Amable Sablon du Corail à une approche originale du règne de celui qui a longtemps été considéré comme une « universelle araignée », opposant résolu aux prétentions de Charles le Téméraire, duc de Bourgogne, torturant ses adversaires dans des cages de fer appelées « fillettes ».

L’auteur qui a eu accès à de très nombreuses sources et qui propose d’ailleurs une très importante bibliographie, n’a pas cherché à enjoliver l’histoire. Il le dit d’ailleurs dès son introduction. Louis XI n’était ni un amateur d’art, ni un intellectuel. Il se passionnait pour le pouvoir, la guerre et la politique. Et de ce point de vue, même si la présentation de l’enfance et de la jeunesse du futur Louis XI peut en partie lui donner un semblant d’humanité, on se rend très vite compte que ce jeune homme ne recule devant rien pour atteindre ses buts. Il est possible de considérer que ce que l’on pourrait qualifier d’absence de scrupules relèverait aujourd’hui, en termes modernes, du sens de l’État.

Il faut se remettre dans le contexte du règne de Charles VII, dont la couronne a été vacillante, pour comprendre comment le dauphin Louis a pu estimer que les insuffisances du règne de son père méritaient d’être corrigées. Mais cela se fait, au moins dans les débuts, en utilisant tous les ressorts de la rouerie et de la manipulation. Et avec un sens très élastique de la morale…

Dans la vie personnelle, le jeune Louis est tout aussi dénué de ce que l’on pourrait qualifier de sens moral. Peu sensuel et encore moins romantique, le dauphin avait une conception hygiéniste des rapports intimes. Son mariage avec une des filles du duc de Savoie, Charlotte, correspondait à une volonté de trouver à proximité du Dauphiné une princesse et surtout un beau-père acceptable, mais sans que cela ne soit considéré comme une priorité absolue.

Par contre, et même si le bilan de l’autorité du dauphin Louis sur sa province l’a rendu peu apprécié, il n’en reste pas moins qu’il y a expérimenté quelques méthodes de gouvernement que l’on retrouve ensuite dans le royaume. Il n’en reste pas moins, que l’on assiste à partir de 1450, à une véritable guerre entre le père et le fils. En 1456, craignant que son père ne lui substitue sur le trône son frère cadet Charles, et même le fasse assassiner, le dauphin fait le choix de se rapprocher de Philippe le bon, duc de Bourgogne.

Très clairement, pendant cette période, jusqu’à sa montée sur le trône, le dauphin Louis a été « entretenu » par le duc de Bourgogne. La mort de Charles VII, le 22 juillet 1461, permet à Louis, à 38 ans, de devenir roi de France. Le sacre du nouveau roi a lieu le 15 août, et l’entrée solennelle à Paris le 31.
Dès son accession au trône, Louis XI se lance dans une entreprise de réorganisation administrative parfaitement décrite par Amable Sablon du Corail. Les étudiants pourront y trouver des indications précieuses sur l’organisation du pouvoir à la fin du Moyen Âge.

L’œuvre de Louis XI est très clairement de chercher à faire coïncider les frontières du domaine royal avec les limites du royaume. C’est très clairement de cette façon-là, qu’il va conduire sa politique, en jouant une politique européenne, avec la famille d’Aragon au sud, tout en conduisant une guerre larvée et indirecte contre l’Angleterre qui est depuis 1453 en pleine guerre civile, avec la guerre des deux roses. Charles VII prend parti pour les Lancastre, dont l’emblème est la rose rouge, contre les York, la rose blanche. Pour manifester son opposition à son père, le dauphin Louis renvoie quelques-uns de ses hommes se battre aux côtés des York, mais dès son accession au trône, Louis XI se déclare contre Édouard IV, sans pour autant donner à Marguerite d’Anjou les moyens de le vaincre. Dès 1463, Louis XI se rapproche de son adversaire, ce qui est une façon de prendre en tenaille le duc de Bourgogne.
De la même façon, les princes bretons et bourguignons, qui prennent la tête de l’opposition à la couronne de France, en 1465, cherche à faire payer à Louis XI sa politique de puissance à marche forcée.

Cette période de guerre que l’on appelle la guerre du bien public, n’empêche pas Louis XI de mener à bien une politique de réforme, notamment dans le système fiscal. Opposant Charles VII, le dauphin Louis considérait les impôts royaux trop élevés, une fois sur le trône Louis XI décide de les renforcer et surtout de les rendre plus efficace. Dans le chapitre consacré à Louis XI réformiste Amable Sablon du Corail, présente de façon très synthétique l’organisation fiscale du royaume.
Mais dans le même temps, et c’est sans doute la différence essentielle avec ses prédécesseurs biographes de Louis XI, l’auteur n’hésite pas à porter des jugements assez durs sur son personnage. Il y dénonce le manque de persévérance, l’esprit fantasque assez prononcé, malgré quelques intuitions très « modernes ».

Au moment de la guerre du bien public, contre les Bretons et les Bourguignons, Louis XI est bien près de tout perdre. Dès 1465, les relations se tendent et la bataille de Montlhéry n’est décisive pour aucun des deux camps. Toutefois, en tenant Paris, Louis XI renforce sa légitimité, et au final, parvient, alors que sa situation était loin d’être forte, à mettre un terme à cette guerre du bien public. Toutefois, il parvient à signer une paix séparée avec la Bourgogne, empêcher la jonction des Normands et les Bretons, et au bout du compte aménager l’avenir. Tandis que Charles le téméraire est préoccupé par ses possessions du côté de Liège, Louis XI parvient à diviser les Bretons et les Normands et au final, à s’imposer. Au centre de l’ouvrage on pourra trouver huit cartes historiques très précises qui montrent comment le roi a pu conduire une politique déterminée et efficace pour se rapprocher de cet idéal visant à étendre le domaine royal et à constituer autour du royaume de France une sorte de glacis de principautés plus ou moins redevables du royaume de France.

Livre politique, cette biographie de Louis XI par Amable Sablon du Corail apparait comme un très précieux ouvrage sur la construction du Royaume à la fin du Moyen Age. Louis XI ne mérite ni excès d’honneur ni indignité. Il n’était certes pas le plus gai des compagnons, ni le meilleur des maris ni le plus affectueux des pères, ni même le plus brillant des intellectuels.
Mais au début de l’époque moderne, à sa mort en 1493, il a un bilan de Roi bâtisseur, capable de rebondir malgré les revers. Cette qualité de détermination et sa ruse face à des adversaires plus puissants mais dilettantes, en font un des grands « politiques » de son temps.

© Bruno Modica