Kathryn Magee Labelle est professeure associée à l’université de la Saskatchewan, spécialiste d’histoire des autochtones de l’Amérique du Nord. Elle est elle-même membre du peuple wyandot1 du Kansas

En introduction l’auteure précise les objectifs de ses travaux de thèse. Il s’agit d’écrire une histoire vue du point de vue amérindien, en l’occurrence oeuendat en proposant une confrontation de la mémoire d’un peuple à une relecture minutieuse des écrits des missionnaires jésuites. Elle prend comme moment clé la dispersion des Ouendats après la guerre contre les Iroquois et la défaite de 1649. Elle s’oppose à l’historiographie générale qui évoque une « disparition » d’une culture et d’un peuple qui a été une puissante nation dans les siècles précédents et les premiers Amérindiens en contacts avec Champlain. L’auteure a choisi de faire une histoire de la diaspora et d’étudier les réseaux de pouvoir et d’alliances entre les peuples amérindiens et avec les Français. Elle cherche, à cette occasion, à mettre mettre en avant certains chefs pour sortir d’une histoire souvent anonyme.

L’ouvrage, organisé en trois parties, suit un cadre chronologique : la résistance, l’évacuation et la réinstallation, la diaspora.

La Résistance

Nous sommes dans les années 1630, moment où les Ouendats sont confrontés à plusieurs menaces et tout d’abord les maladies apportées par le contact avec les Européens qui ont décimé la population y compris les chefs désorganisant ainsi toute la société.

C’est aussi la guerre contre les Iroquois qui conduit à mettre en avant de nouveaux chefs et au développement d’’une culture de guerre.

Pour son analyse, l’auteure s’appuie sur la biographie de quelques personnages comme Taretandé, Aenon ou Ahatsistari…

Cette première partie apporte aussi une description de la société ouendate : la place des femmes, le choix des chefs civils et de guerre, les modes de décision du conseil, les positions diverses face aux Français, la diplomatie ouendate ainsi que les conséquences sociale et politique des conversions au catholicisme pratiquées par les missionnaires jésuites : perte partielle du statut des femmes dans le modèle patriarcale des Français, conversions pour se prémunir de la maladie ou ou pour obtenir des armes à feu. La description des guerres indiennes apporte des informations sur le statut des captifs.

L’évacuation et la réinstallation

Cette seconde partie est consacrée à la migration après la défaite de 1649. Dans un premier temps, court, les Ouendats se sont installés sur l’île d’Ahouêndoé mais contraints par la famine et la peur de nouvelles attaques iroquoises ils décident un an plus tard de se disperser. L’auteure analyse les raisons de ce choix dicté par leur activité d’intermédiaires dans la traite des fourrures entre Français et chasseurs anishinabés, raisonné comme le montre l’invitation faite aux Jésuites de les suivre. L’auteure décrit l’installation, confirmée par les fouilles archéologiques, selon la tradition ouendate de la maison longue2 et de la culture du maïs. Si la petite garnison française accolée à la mission pouvait protéger les Iroquois elle ne pouvait la faire face au manque de nourriture. Les causes de cette situation sont controversées : faiblesse de la main-d’œuvre disponible, sécheresse, manque de semence.

Les chapitres suivants traitent des diverses installations de l’ouest vers le lac Michigan à l’est jusqu’à Québec, et parmi les peuples amis : Anishinabés, Petuns, Ojibwés. L’auteure explique le choix étonnant de la dispersion comme tactique de survie qui leur a permis d’affirmer leur rôle de diplomates et de commerçants en relation avec les Français.

Après l’échec de l’île d’Ahouêndoé, les Ouendats ont cherché refuge chez leurs alliés anishinabés. L’auteure en décrit les éléments, complémentarité entre les cultivateurs de blé d’Inde, les Ouendats, et des chasseurs semis-nomades de la vallée des Outaouais, les Anishinabés, intérêt des deux peuples vivant sur un même territoire, nombreux mariages interethniques. Des groupes ouendats vont s’installer dans des villages anishisnabés.

Après 1651 une seconde vague de migration a conduit les Ouendats vers l’ouest au pays « des gens de la mer » , ils se sont installés (1671-1701) à Michillimakinac, poste de traite, carrefour ethnique, culturel et commerciale, puis plus au sud jusqu’au fort Pontchartrain (site de l’actuel ville de Detroit) où ils se sont fondus dans les populations d’accueil avec des emprunts réciproques au plan culturel.

Dans le même temps un autre groupe a choisi de se diriger vers l’est, la vallée du St Laurent et la colonie française. Ils ont cherché à garder une position de pouvoir sur les autres peuples amérindiens par leur attachement au christianisme, l’affirmation d’une vie chrétienne et leur allégeance à la France. Revenant sur les terres de leurs ancres, c’est là que les premiers Français les ont rencontrés à Hochelaga (Montréal) et Stadaconé (Québec). L’auteure décrit leur installation en divers lieux de 1650 à 1673 (Île d’Orléans, Notre-Dame de Foy, Beauport) avant de se fixer à Lorette3 dont l’organisation même donne une bonne idée du village ouendat. Elle aborde la question des effectifs, les mariages avec les Français, les changements culturels consécutifs à la christianisation et leurs limites comme le montre les rituels de funérailles.

Enfin au chapitre 7 on voit des Ouendats qui choisissent ou sont contraints de s’installer en Iroquoisie. L’auteure montre les intérêts réciproques des deux camps, que l’adoption a pu être vue par les Iroquois comme un retour de parents proches, notamment par la langue qui pouvaient les aider dans leurs guerres. Elle évoque aussi les intérêts français qui y voient une protection contre les attaques iroquoises et une occasion de christianiser de nouveaux Amérindiens. Deux exemples sont présentés, les villages de Gandougaraé et Gandouagué où les Ouendats jouent leur rôle d’intermédiaires entre Français et Iroquois.

La diaspora

Cette troisième partie montre les permanences culturelles, identitaires au sein des divers groupes quelque soit leur lieu d’installation. Les biographies de quelques chefs attestent de l’organisation politique, de la capacité de commandement, de leur rôle au sein du groupe et face aux autres Ils sont aussi, comme figures emblématiques des éléments de sauvegarde de la mémoire collective.

Un chapitre est consacré à la situation des femmes dans la seconde moitié du siècle, leur rôle dans le commerce et leur choix de suivre une instruction fut-elle religieuse qui permet de réaffirmer une place dans les conseils comme le montre l’exemple de Cécile Gannendâris.

Enfin l’auteure analyse les réseaux de pouvoir et d’influence, réinterprétation de relations plus anciennes.

Epilogue

La diaspora aujourd’hui dispersée au Canada et aux Etats-Unis s’est réunis en Ontario, près du centre de Ouendaké au XVIIe siècle, le 10 août 1999 pour la cérémonie de la « fête des âmes ». C’était une réunion de la confédération ouendate visant à renouer avec le passé, à rappeler un sentiment d’appartenance même si la plupart vivent loin de leur patrie d’origine.

Outre la bibliographie, une annexe présente l’historiographie américaine, une historiographie « coloniale », ce que l’auteure nomme le mythe de la destruction du peuple ouendat.

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Voilà un ouvrage qui ouvre de nouveaux horizons sur une histoire des peuples amérindiens écrite par des Amérindiens.

1   Wyandot est le terme américain pour Ouendat qui signifie « insulaire » du fait de leur localisation sur la presqu’île de la baie géorgienne (partie du lac Huron). Le choix de ce terme et cette orthographe sont expliqués dans les notes du traducteur pp XIII-XV). Oeundat plutôt que Wendat ou Huron (Les Français les ont appelés ainsi en raison de leur coiffure qui rappelait la hure (femelle du sanglier).

2   Si vous avez la chance de voyager au Québec le musée Hurons-Wendat situé dans la réserve indienne de Wendake à proximité de la ville de Québec vous permettra un premier contact avec ce peuple et une visite de la maison longue.

3   On pourra se référer à un mémoire de maîtrise de l’UQAM (université du Québec à Montréal) : Mathilde Ninon Bernard, Les Hurons et les autres : l’intégration de l’étranger à travers les pratiques de reproduction familiale au village de la Jeune-Lorette (1761-1801), PDF