Les éléments de mesure
Dès que l’on évoque la délinquance au cours du débat public la question qui vient en premier, avant même ses causes, et celle de la quantification. La mesure de cette délinquance est un enjeu crucial pour les politiques en charge, pour ceux qui souhaitent y accéder, pour les professionnels et les commentateurs de l’actualité. La présentation par le ministre de l’intérieur des chiffres de la délinquance est toujours un événement important, largement relayé et surtout commenté.
Les premiers indicateurs sont ceux qui sont officiels, ceux fournis par les services de police et de justice. Mais d’autres sources sont mobilisables, d’autant plus que tous les actes délictueux ne sont pas comptabilisés en tant que tels et par les mêmes services.
Bien entendu, cela est vrai pour les infractions douanières et fiscales qui permettent de délimiter la délinquance économique et financière, qui est un peu le parent pauvre des statistiques policières. Mais cela est vrai également par ailleurs, y compris les fraudes à la sécurité sociale et autres actes délictueux qui ne sont pas traités directement par la police ou la gendarmerie et qui n’apparaissent pas forcément dans ces statistiques.
En France, l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales est un département de l’institut national des hautes études de sécurité et de justice. Ce service a été transféré du ministère de l’intérieur à la tutelle du Premier Ministre.
Les données commentées sont produites ailleurs. Par la direction centrale de la police judicière, (Intérieur), par la sous direction des statistiques et des études, (Justice), par l’INSEE pour les enquêtes de victimation, par les services de santé pour les homicides etc. La délinquance peut même relever des services du ministère de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement avec un observatoire national de la délinquance dans les transports. Les actes délictueux peuvent ainsi être comptabilisés plusieurs fois, ou échapper à un collation globale, ce qui limite l’efficacité globale de cette collecte.
Les tendances dans la durée
Mesurer n’est pas une fin en soi, même si parfois on a l’impression que l’affirmation des chiffres, surtout s’ils sont considérés comme « bons » pour l’autorité en charge, sert à légitimer la parole institutionnelle, que ce soit celle du ministre de l’intérieur ou du chef de l’Etat. Cela est aussi utile pour délégitimer la parole institutionnelle si les chiffres sont considérés comme « mauvais ». En fait tout est question de point de vue et d’instrumentalisation. Mais en réalité, il est peut-être plus utile de définir les tendances et de faire une sorte de diagnostic, tant la délinquance et les formes qu’elle peut prendre apparaît comme une sorte de miroir déformé des sociétés dans le temps.
La plupart des analyses montrent depuis le milieu du XXe siècle une montée en puissance de la délinquance patrimoniale, ce que l’on qualifie d’atteintes aux biens. Cette tendance est actuellement stabilisée, voire orientée à la baisse.
Des violences liées à des appropriations, (vols avec violence), d’émergence plus récente, mais de basse intensité, c’est-à-dire utilisant assez rarement des armes.
Une délinquance routière toujours à un niveau élevé. (Sans doute liée à des contrôles plus rigoureux).
Une forte progression de la délinquance d’ordre public, touchant à l’usage et à la vente de substances prohibées, (Drogues) l’immigration clandestine et les atteintes aux représentants de l’autorité publique. (Y compris des personnels de guichets de services publics,
personnels des transports en communs, services d’assistance aux personnes comme les pompiers et éducatifs comme les enseignants et les éducateurs.)
La délinquance économique et financière en tant que telle est souvent inexistante dans les statistiques ou en tout cas très faible, alors qu’elle fait les gros titres. La sitution est sans doute liée à une absence de mesure globale et de collationnement des faits dispersés dans plusieurs services, fiscaux, douanes etc.
Cet ouvrage intéressant permet de percevoir les grandes tendances en matière de comportements déviants. Ces derniers sont largement imputables aux situations économiques. Le mérite de ce travail de sociologues et de chercheurs du CNRS permet d’éviter les approximations et de prendre de la hauteur sur un sujet à propos duquel les approximations sont nombreuses et les effets délétères.
Bruno Modica