Pour le second dossier de ce numéro, consacré au terrorisme, on retrouve des articles de Régis Debray, Paul Balta et François Bernard Huyghe.
C’est dire à quel point le lecteur de cette revue ne sera pas déçu par ces articles qui constituent autant de mises aux points actualisées sur les différents aspects de la question de la violence en politique.
Le lecteur pressé pourra se limiter à la lecture de l’article de Pierre Béhar qui dresse une typologie de l’assassinat politique en distinguant les différentes options et en proposant de «véritables études de cas».
– Où L’assassinat est réprouvé
– assassinats personnels
– assassinats collectifs
– Où l’assassinat est toléré
– assassinats institutionnels
– assassinats comme moyen de la guerre civile
– massacres génocidaires
Mais le lecteur pressé se priverait d’une découverte d’un univers de bruit et de fureur qui est un voyage dans le temps des sicaires et des assassins…
L’article de Luciano Canfora consacré au tyrannicide à Athènes et à Rome apporte un éclairage nouveau sur le meurtre d’Hipparque, le tyran d’Athènes, qui aurait permis le passage à la démocratie. Il semblerait, d’après un examen attentif des textes de Thucydide, que le Tyran soit mort pour un banal crime passionnel. Souhaitant séduire Ardonios, ce dernier est tué par Aristogiton, l’amant de ce dernier. Cela relativise l’aspect « démocratique » de ce complot meurtrier. Au-delà du crime passionnel, dont on ne sait s’il est vraiment banal, on s’intéressera sur le traitement fait à ces deux meurtriers, Ardonios et Aristogiton, élevé au statut enviable de combattants de la liberté, et même de martyrs, puisqu’ils sont tués sur place par les gardes d’Hipparque.
Les conséquences de l’assassinat sont d’ailleurs contradictoires. Il semblerait que Hippias, le tyran en titre, en ait profité pour durcir son pouvoir.
Plus connu, le meurtre de César par des sénateurs, lors des ides de Mars en 44 av. n.e. fait, pour l’auteur de l’article la démonstration de son inefficacité. Les sénateurs qui voulaient officiellement défendre la république contre le tyran, n’ont pas retardé l’inéluctable, à savoir la transformation du pouvoir de Rome en un Empire avec à sa tête un prince divinisé.
Luciano Canfora en profite pour s’interroger sur l’impact qu’aurait pu avoir la réussite de l’attentat du 20 juillet 1944 pour émettre des toutes sur son efficacité. On pourrait d’ailleurs opposer à ces arguments la réussite de l’attentat contre le successeur de Franco, Carrero Blanco, qui a sans doute favorisé la transition démocratique en Espagne en privant les franquistes d’un recours.
On notera également que Brutus et Cassius, les assassins de César ont été valorisés dans les ouvrages d’histoire pendant la Terreur.
On est toujours impressionné par l’immense connaissance de l’histoire russe que déploie Hélène Carrère d’Encausse. Cet article « assassinat et politique en Russie, 11 siècles de sang », est une actualisation de son ouvrage « le malheur russe, essai sur le meurtre politique » paru en 1988 chez Fayard.
Le système politique russe est présenté comme une tyrannie tempérée par l’assassinat. Les débuts de la monarchie russe, à la fin du Xe siècle sont marqués par des successions d’assassinats en famille, les frères du souverains se disputant le pouvoir et le souverain éliminant ses frères voire ses fils, éventuels rivaux. De Vladimir en 988 à Iaroslav le sage, qui met fin aux massacres en se soulevant contre son père Vladimir, ce sont des flots de sang qui coulent et qui portent la Russie kiévienne sur les fonds baptismaux.
Le meurtre politique est un art véritable, une façon de gouverner à part entière. Hélène Glinska, la mère d’Ivan le terrible fais assassiner ses beaux frères mais ce sont pour des raisons liées à la préservation de l’ordre successoral.
Ivan le terrible qui ira jusqu’à tuer un de ses fils, inscrit ses pulsions meurtrières dans un projet politique. C’est le meurtre par raison d’État qui est ainsi favorisé. Le temps des troubles qui suit le règne d’Ivan le terrible favorise aussi les assassinats dans les cercles du pouvoir avec un raffinement de cruauté. La menace polonaise est également repoussée par la mobilisation du peuple et de l’Église.
Pierre le Grand accède au trône en ayant vu massacrer une partie de sa famille à l’âge de 10 ans. Il n’est pas différent des autres mais il organise les meurtres pour favoriser la modernisation du pays. Modernisation qu’il impose à l’Église, aux boyards, à l’armée aussi, en les soumettant sans état d’âme. Pour éviter toute illusion de retour à l’ordre ancien, il fait tuer son propre fils, le Tsarévitch Alexis, considéré comme un soutien des conservateurs.
Une tyrannie tempérée par l’assassinat
Le meurtre est préféré à toute autre peine car la mort est définitive. Dans l’immensité russe, les rumeur circulent plus vie que les hommes et, comme aux temps des troubles, les populations sont sensibles aux rumeurs sur le retour du « bon tsar », exilé et miraculeusement sauvé. La mort a l’avantage d’être définitive.
À la mort de Pierre le Grand en 1725, les assassinats reprennent, et la situation se rétablit peu à peu avec l’arrivée sur le trône, après quelques meurtres, de Élizabeth 1ere et de Pierre II, le petit fils de Pierre le Grand.
Pierre III, incompétent et faible est écarté du pouvoir et assassiné dans des conditions encore obscures par Catherine, (la grande). Une fois de plus, c’est une élimination systématique de tous les prétendants éventuels, ayant un lien de sang avec Pierre le Grand, au profit de cette princesse allemande qui aura un grand règne. La Russie a aussi connu son maque de fer avec Ivan VI, emprisonné dès les langes, et assassiné sans doute dans sa prison. Une fois de plus, le caractère définitif de la mort élimine tout risque de recours.
La Russie n’en a pas fini avec les meurtres familiaux mais toujours pour assurer la continuité de l’État. Paul Ier, le Tsar mal aimé est éliminé par Alexandre Ier, son propre fils avec la complicité de ses ministres.
Netchaïev est de retour ?
La Russie connaît aussi à partir de 1825 un développement de sociétés secrètes et des complots multiples. L’exemple venant d’en haut, il est finalement assez logique que ceux qui voulaient transformer l’ordre établi utilisent le meurtre pour faire avancer leur projet. Bakounine et Netchaïev, les nihilistes russes vont multiplier les attentats ciblés contre l’autorité, jusqu’au meurtre réussi d’Alexandre II, le réformateur en 1881.
Le meurtre est aussi pratiqué pour sauver la monarchie avec l’assassinat de Raspoutine en 1916 par un membre de la famille impériale mais cela ne suffit pas, la révolution bolchévique et le massacre des Romanov à Katarinenbourg consacre aussi l’irréversibilité de la Révolution.
Lénine est lui aussi victime d’une tentative d’assassinat et les réactions du leader Bolchévik qui a vu son frère pendu pour avoir organisé une tentative d’assassinat contre le Tsar, a favoris ainsi la création d’un organisme spécialisé de défense du Parti et de ses leaders, la redoutée Tchéka. Avec Staline, et si l’on laisse de côté les meurtres de masse qui ne sont pas l’objet de cet article, la mort politique précède la mort physique sui est parée d’une légalité théorique, avec les procès de Moscou. La mort politique est d’ailleurs consacrée par les aveux des coupables.
D’un certain point de vue, la mort de Staline et l’assassinat de Béria dont parle Jean Tulard, consacrent ce que Hélène Carrère d’Encausse appelle le « tabou du sang ». les dirigeants déchus, à partir de Khrouchtchev ne seront plus éliminés physiquement mais envoyés dans des placards prestigieux (Ambassade de Vienne pour Molotov) ou oubliés (comme Khrouchtchev entre 1964 et sa mort en 1971)
On est quand même un peu déçu pour la in de la période en constatant que si l’assassinat politique commis dans les périodes anciennes est largement traité, les meurtres commis pour raisons politiques dans lesquels la responsabilité du pouvoir actuel ne semble pas absente, ne sont pas traités du tout. Le polonium serait-il politiquement correct ?
On pourra aussi lire avec intérêt le bel article de Jean Favier qui nous fait traverser la guerre de cent ans et son
cortège d’assassinats politiques. Parfois sous couvert d’exécutions légales, comme pour les ministres de Philippe le Bel en 1315, ( Enguerrand de Marigny), parfois par le poignard des gardes comme Charles d’Espagne, tué par les navarrais de Charles le mauvais.
L’assassinat est une façon de consacrer la défaite d’un prétendant au pouvoir, une façon de solder les comptes liés à la lutte pour le pouvoir. C’est ce qui arrive par exemple à la Reine Jeanne Ière de Naples en 1382 du fait des rivalités entre branches de la descendance de Charles d’Anjou.
Histoires d’amour et de pouvoir sont aussi liées comme pour l’assassinat de Édouard II d’Angleterre éliminé par la reine Isabelle et son amant du moment, Mortimer après qu’ils aient pris le pouvoir à ce Roi scandaleux.
Nicolas Le Roux revient pour sa part sur le meurtre, qu’il sépare ou nom de la raison de d’État pendant les guerres de religions. Il est vrai que pendant cette période, le tyrannicide a été justifié par de nombreux auteurs. De la mort d’Henri II en 1559 à l’assassinat d’Henri IV dont il a été question, on a assisté à une « brutalisation » des mœurs politiques. Celle-ci culmine lors de la Saint Barthélémy en 1572 et contribuent aussi à accréditer la justification du meurtre politique. Henri III en 1588, avec l’assassinat de Henri de Guise s’inscrit dans la tradition du meurtre utile, celui qui vise à décapiter le parti adverse au nom de la raison d’État. Henri IV allait en être aussi victime d’un assassinat justifié par la Foi. Toutefois la monarchie moderne s’est construite sur la mémoire des deux régicides d’Henri III et d’Henri IV.
Henry Laurens traite de la culture de la violence au Proche-Orient au XXe siècle, même si à et égard, la tradition semble perdurer au XXIe . Dans le Proche orient Ottoman, avant le XXe siècle la tradition de l’assassinat sur ordre du Sultan, traitée par Gilles Veinstein, rappelle beaucoup la Russie. Le souverain élimine ses rivaux potentiels, ce qui fait quand même pas mal de monde du fait des harems, au nom de la raison d’État.
Par contre pour le XXe siècle, il semble que les pratiques de sociétés secrètes de type carbonari se soient développées contre des égyptiens suspects de collaboration avec le colonisateur. Le Roi Farouk fait assassiner Hassan Al Banna le fondateur des frères musulmans en représailles du meurtre de son Premier ministre.
Sadate est assassiné en 1981 par un jeune officier qui lui ressemblait étrangement. Nasser et Sadate, n’ayant jamais rechigné à utiliser le meurtre pour faire valoir leurs intérêts.
Les Israéliens n’on pas non plus hésité à utiliser l’assassinat ciblé contre les palestiniens mais aussi contre le négociateur de l’ONU, le Comte Bernadotte le 17 septembre 1948.
Les assassinats organisés par les services secrets israéliens sont clairement présentés comme punitifs et dissuasifs. Au moment où ces lignes sont écrites, l’intervention militaire de Tsahal sur gaza montre peut-être les limites de cette tactique.
Le Liban, avec les assassinats successifs des Joumblatt, des Gemayel, jusqu’à Rafiq El Hariri, tout comme la Syrie sont riches de ces pratiques où le meurtre est clairement lié à la volonté d’uune faction de l’emporter sur une autre. C’est aussi ce qui amène le jeune Saddam Hussein à essayer de tuer le Général Kassem en 1959.
André Kaspi présente le paradoxe étasunien d’un pays prospère où la violence politique est une tradition solidement installée. Quatre présidents assassinés, Lincoln, Garfield, Mc Kinley et Kennedy, sans compter les tentatives d’attentats contre Roosevelt ou Reagan, et l’assassinat de Robert Kennedy probable futur vainqueur aux élections, cela fait beaucoup !
À cette liste, il faudrait ajouter les leaders, come Martin Luther King, Malcolm X et tant d’autres.
Cela s’explique sans doute par une culture de la violence favorisée par la libre possession des armes, 250 millions d’armes pour 300 millions d’habitants mais aussi par les caractéristiques de ce pouvoir très personnalisé qui accrédite l’idée que le meurtre changera le cours de l’histoire. C’est faux dans le cas des Etats-Unis dans tous les cas qui sont étudiés. Mais cela ne remet pas en cause ce rapport particulier que le pays dans son ensemble entretient avec les armes à feu.
Dans la tradition japonaise, assassinats politiques et suicides ordonnés sont légion. Michel Vié, professeur à l’INALCO présente cette histoire sanglante qui semble s’être déroulée par vagues. Deux périodes de forte densité d’assassinats se dégagent. De 1858 à 1878 et de 1930 à 1936.
Dans le Japon féodal la pratique de la violence politique n’est pas inconnue non plus. On sait que les Ninja sont des tueurs professionnels, envoyés à un rival pour régler de façon définitive un désaccord. Dans le cas du japon, après 1858, la violence politique est liée à l’attitude de tel ou tel dirigeant par rapport à l’ouverture au monde.
Les partisans de l’ouverture, le Bafuku, sont victimes d’assassinats commis au nom de l’Empereur qui sert d’alibi aux nationalistes hostiles à l’ouverture du Japon au monde.
La période suivante entre 1930 et 1936 s’explique par une réaction d’officiers souhaitant éliminer les cercles dirigeants pour laisser tous les pouvoirs à l’armée en isolant l’Empereur. Ici aussi, les tentatives des tueurs n’ont pas infléchi le cours de l’histoire mais ont contribué à forger une culture politique particulière. Le 12 octobre 1960, un jeune militant nationaliste tue en direct à la télévision le chef dy parti socialiste japonais, Inejiro Asanuma.
Pour le second dossier de ce numéro, consacré au terrorisme, on retrouve des articles de Régis Debray, Paul Balta et François Bernard Huyghe. .
Ces auteurs explorent l’univers du terrorisme de différentes manière, du bilan d’Al Qaida au passage à l’infini relaté par Régis Debray qui permet de découvrir l’univers mental de ce qui est devenu une pratique politique.